"J'ai beaucoup de chance", écrivait en juillet 2013 le professeur Jean-Louis Mégnien à son "mentor" Alain S. "Peu d'équipes peuvent s'enorgueillir d'avoir pour seul souci la qualité du travail, le déjeuner du midi et parfois le goûter". Deux ans et demi après, Jean-Louis Mégnien, professeur en cardiologie de 54 ans et père de cinq enfants, se jetait par la fenêtre de son bureau du septième étage de l'hôpital européen Georges-Pompidou (HEGP). Alain S., deux autres professeurs responsables hiérarchiques, la directrice de l'époque de l'hôpital, et l'AP-HP, sont jugés pour harcèlement moral devant le tribunal correctionnel de Paris. "Comment en est-on arrivé là?", s'est interrogé un témoin à la barre. Pour essayer de comprendre, le tribunal décortique depuis la semaine dernière la vie de ce petit service de médecine préventive cardio-vasculaire, le fonctionnement de l'AP-HP (Assistance publique - Hôpitaux de Paris), et la "violence" qui peut parfois y entourer les nominations à des postes stratégiques ou prestigieux. Au coeur du conflit, le remplacement d'Alain S., qui a atteint l'âge du départ, à la tête du service. Le Pr Mégnien est le candidat naturel mais Alain S. choisit plutôt de pousser son collègue, le docteur Gilles C., pourtant moins gradé. Un inhabituel accord de chefferie tournante - sans aucune valeur légale - est signé à l'été 2012 par les trois hommes: Gilles C. prendra la tête du service, tout en s'engageant à laisser sa place quatre ans plus tard au Pr Mégnien, qui restera entre temps associé aux prises de décisions.
"Problème Mégnien"
Un accord qu'il a accepté "sous pression", et qu'il vit en silence comme une "humiliation", décrit la présidente, citant des mails et témoignages. Jusqu'au "clash" d'octobre 2013 avec Gilles C., devenu chef, lors d'une réunion de service. "DEBUT DU CONFLIT +++", écrit dans son agenda Jean-Louis Mégnien, qui note tout. Il sent qu'il est "mis au placard", "exclu de tout" depuis des mois, retrace le tribunal. "Absolument pas", rétorque à la barre Alain S., qui connaît le dossier par coeur et cite de tête des mails prouvant le contraire. Selon lui, "Jean-Louis" était dans un "combat très dur" pour "prendre la place" de Gilles C. "C'était une guerre ouverte, j'ai découvert une personne que je ne connaissais pas", soutient celui qui déjeunait quasiment tous les jours et travaillait "depuis 23 ans" avec le Pr Mégnien. Comme ses coprévenus, il nie tout harcèlement, assure qu'il ne cherchait qu'une "solution" au "Problème Mégnien" - l'intitulé d'un mail -, pour "pacifier" le petit service. Quand le Pr Mégnien tient selon plusieurs témoins - il l'a contesté - de graves propos diffamatoires sur les pratiques sexuelles de son rival, ces professeurs organisent la "sortie" du service de celui devenu selon eux "ingérable", "nuisible". Face à ces responsables qui n'ont "rien vu" de la détresse du professeur, le tribunal relit mails et témoignages de collègues. "Au secours", écrit le Pr Mégnien au doyen de la faculté de médecine, "Alain S. veut me détruire, le rouleau compresseur est en marche". Dans d'autres mails : "Je suis obsédé par ce qui va encore me tomber dessus"... "ils me poussent à bout, à commettre des actes irréversibles"... "JE CRAQUE. JE N'EN PEUX PLUS !"... "Que dois-je faire demain, m'occuper de mes patients, contacter mon avocat ou me jeter par la fenêtre ?" La présidente rappelle aussi les propos "incohérents" décrits par des collègues, la "bouche sèche", la "grande anxiété" du Pr Mégnien, qui visiblement "n'allait pas bien". Elle demande à l'ex-directrice de l'hôpital si elle n'avait rien décelé de tout ça. "Je ne suis pas médecin...", élude-t-elle, avant que la magistrate ne la coupe : "Est-ce qu'il y a besoin d'être médecin pour repérer la souffrance de quelqu'un Madame?". Le procès se poursuit jusqu'au 7 juillet.
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