Levothyrox : un MG porte plainte et appelle ses confrères à se secouer
C'est pour pouvoir enfin répondre aux questions de ses patients, souffrant du changement de formule du Levothyrox, que le Dr Nicolas Bouvier a décidé de porter plainte contre X, pour tromperie aggravée. Généraliste et ancien pharmacologue au CHU de Reims, il appelle ses confrères à l'imiter et à porter plainte.
Egora.fr : Pourquoi avoir porté plainte ? Dr Nicolas Bouvier : Le mérite d'une plainte, c'est de pouvoir générer une enquête. Beaucoup de choses ont été dites, par tout le monde. On a eu beaucoup d'atermoiements. J'ai considéré que face à cette confusion qui régnait, il fallait mieux mettre un peu d'ordre et demander qu'une enquête précise puisse être conduite par les autorités judiciaires afin de pouvoir séparer le bon grain de l'ivraie et savoir de quoi il retournait. Ce changement de formule calamiteux a quand même porté préjudice à des milliers de patients. Oui, mais des patients ont déjà porté plainte… Il est essentiel que les médecins soutiennent leurs patients. Je pense que c'est le minimum qu'un médecin puisse faire. Les médecins ne doivent pas avoir une attitude passive et obéir à la philosophie du renoncement qui est de perdre pied dans le débat sur la santé et céder à une sorte de laisser- aller. Une attitude qui voudrait que l'on se demande à quoi bon se plaindre, continuer à tout supporter, à tout laisser faire en se disant que l'on verra bien ce qu'il adviendra… Je ne suis pas du tout dans cette optique. Je pense que le généraliste a un rôle central dans le système de soins, que les patients sont les premiers concernés et qu'il est souhaitable d'associer tout le monde dans l'amélioration du système de santé en France. J'ai considéré que s'il y avait une plainte des patients, il était logique que des médecins aient également accès à l'enquête et qu'ils ne soient pas les grands oubliés et les grands absents de cette problématique. C'est pour cela que j'ai déposé plainte. Quel est le motif de votre plainte et contre qui est-elle déposée ? C'est une plainte contre X, qui vise à connaître le motif du changement de formule du Levothyrox. C'est une plainte pour tromperie aggravée. On considère que quand on a un médicament qui vous est imposé il est souhaitable qu'il soit de qualité et ne soit pas porteur de difficultés très importantes sur le plan thérapeutique au point que des patients soient encore plus malades une fois qu'ils ont reçu le médicament qu'avant. C'est une tromperie. On vous dit que le changement de formule aura peut-être une incidence relative. Mais là, on a des patients qui se plaignent depuis des mois avec des troubles qui ne cessent de s'aggraver, qui sont malades au point que j'ai dû en faire hospitaliser une et que j'ai eu des dizaines d'autres très embêtés… Ça ne va pas, ça ne peut pas durer. Que répondez-vous à ceux qui mettent les troubles sur le compte d'un réglage de dose, ou d'un effet nocebo ? Je dirais que ces gens sont de grands savants. Ils ont une connaissance du médicament, de ses effets et de la pharmacologie extraordinaire. Et considérable. Est-ce qu'il y a eu des études sur les patients qui ont souffert des troubles ? Est-ce qu'il y a eu une évaluation de leur statut endocrinien ? Est-ce qu'il y a eu des dosages biologiques ? Est-ce qu'il y a eu une prise en compte sérieuse des troubles qu'ils présentaient ? Non. Alors nous avons des gens qui font des diagnostics comme ça, à la volée. On a des médecins, ou des experts médiatiques, qui font des commentaires… Moi, je ne vis pas dans le commentaire. Je vis dans le terrain, tous les jours, avec des patients qui sont en face de moi et qui ne s'occupent pas de ce qui est dit dans la presse. Ils vivent au quotidien avec leurs douleurs, et me demandent à moi, médecin de terrain, de leur apporter une solution. Et la solution ne repose pas sur des commentaires ou des considérations sur l'effet nocebo ou sur l'angoisse supposée d'un patient, ou sur une adaptation qui durerait des mois… A force de s'adapter, on finit par ne plus supporter. Alors peut-être qu'on va nous dire qu'il faut qu'on soit patient. Alors oui, les patients patientent mais il ne faudrait pas que l'attente soit trop longue. Un certain nombre de patients ont perdu patience, ils ont porté plainte et finalement les autorités ont dû rétropédaler et de redonner l'ancienne formule.
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Ce retour à l'ancienne formule reste temporaire… Ça, on va voir. Il y a plusieurs plaintes, il va y avoir des expertises pour savoir enfin pourquoi les patients qui ont pris la nouvelle formule sont malades, et on verra comment la situation évolue. Je ne suis pas sur les genoux des Dieux. Je ne sais pas comment le laboratoire Merck a conçu et réalisé les études de mise au point du médicament, quel est le sérieux de ces études. En tant que praticien, je n'ai pas été informé de tout cela. Je suis dans l'inconnu. C'est aussi pour cela que j'ai déposé plainte, pour qu'on me donne des réponses aux questions que me posent les patients. Je ne suis qu'un intermédiaire, au fond. Je soutiens mes patients parce qu'ils souffrent. Je veux pouvoir leur apporter des réponses parce qu'ils se posent des questions auxquelles moi, praticien, je suis incapable de répondre. Je me heurte au mur de la communication, qui est très bien organisée mais qui n'apporte réellement pas de réponses. On me dit que c'est la faute à l'habitude qui n'est pas bonne, la faute à pas de chance, la faute à l'esprit des gens qui seraient dérangés… On me dit beaucoup de choses mais on ne sait toujours pas pourquoi les gens ont ces troubles-là. On ne sait pas quels mécanismes physiopathologiques, quels désordres biologiques ont entraîné ces problèmes. On ne le sait pas. J'aimerais bien qu'un grand savant me le dise. Vous allez loin, vous allez jusqu'à parler de "prise d'otage des patients". Oui. Ce médicament est fabriqué par un seul laboratoire, qui a le monopole pour une molécule essentielle à la vie. Quand vous êtes amené à fabriquer et distribuer ce médicament-là, votre responsabilité en termes de santé publique est d'autant plus grande. Et votre devoir, associé à votre responsabilité, est de mettre au point une formule qui soit d'une grande qualité. Le laboratoire Merck est pluriséculaire. Il a mis au point un certain nombre de médicaments, depuis des années. Je suis très étonné qu'il y ait de telles difficultés pour ce médicament-là. Comment se fait-il qu'en 2017, nous soyons confrontés à de tels problèmes, alors qu'on dispose d'outils modernes en Europe et dans le monde pour mettre au point des médicaments et vérifier leurs effets ? Alors que dans quatre pays -le Danemark, la Nouvelle-Zélande, la Belgique, Israël- on savait très bien que dans les années précédentes, il y avait eu des difficultés dues à un changement de formule. Les faits étaient connus. Il y avait des milliers de personnes impactées. Tout cela était parfaitement connu des autorités sanitaires et du laboratoire. Pourquoi est-ce que compte tenu de ces précédents et de ces antécédents épidémiologiques il n'a pas été tenu compte de la difficulté qu'il y avait à changer une formule et qu'il fallait prendre des précautions ? Quelle est votre explication ? Mais je n'en sais rien. C'est pour cela que je dépose plainte et que je demande une enquête. Un médecin doit se poser des questions et aboutir à un diagnostic. C'est ce qu'on nous apprend à la faculté. On nous apprend à avoir l'esprit critique et à se poser des questions. Moi je n'apporte pas les réponses aux questions que je pose. C'est à l'enquête de le déterminer. J'ai toute confiance dans les autorités sanitaires françaises, et dans la justice française pour m'apporter les réponses. Je ne suis pas juge. Je suis médecin, confronté à la souffrance des patients. Quelles ont été les réactions de vos confrères et de vos patients à l'annonce de votre plainte ? Je ne cesse d'avoir des réactions positives, de la part de patients de toute la France qui m'envoient des messages. J'ai une dame qui vient me voir, qui n'est pas une patiente à moi, qui est venue me voir. Des médecins, notamment retraités, m'ont adressé des mails de félicitations ; ils veulent travailler avec moi pour explorer les circonstances et les causes des difficultés que les patients ont rencontrées. Je ne peux qu'être content des soutiens qui me sont manifestés. Avez-vous connaissance d'autres médecins qui auraient porté plainte ? Non. Mais je souhaite que d'autres praticiens le fassent pour que la vérité soit établie. D'ailleurs, ma plainte réclame que les patients ou les praticiens de santé soient davantage impliqués dans la mise au point des dossiers d'accord d'AMM et qu'il y ait une concertation beaucoup plus forte. Cette AMM ne doit pas être réservée aux simples experts, nommés par les autorités de santé. Je pense qu'il faut que cela soit beaucoup plus ouvert, avec un esprit plus participatif dans les décisions qui sont mises en œuvre, lors du renouvellement d'AMM par exemple. Je pense qu'il faut une transparence encore plus forte, puisqu'on ne cesse de parler d'éthique, de moralisation.
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