Le casse-tête des prescripteurs continue. Alors que l’ancienne formule du Levothyrox est de nouveau disponible dans l’attente des nouveaux médicaments à base de lévothyroxine, le Pr Patrice Rodien, vice-président de la Société française d'endocrinologie (SFE) et coordonnateur du centre de référence des maladies rares de la thyroïde et des récepteurs hormonaux au CHU d'Angers, jette un regard critique sur la gestion des troubles liés au Levothyrox.
Egora.fr : Avez-vous constaté des problèmes liés à la nouvelle formule du Levothyrox chez vos patients ? Pr Patrice Rodien : Jusqu’en août, aucun. Des petits ajustements ont été nécessaires chez quelques personnes, mais rien d’inhabituel. En revanche, les patients ont commencé à nous appeler lorsque l’affaire a éclaté dans les médias. Beaucoup étaient inquiets, mais allaient très bien. Une minorité se plaignaient de symptômes, tels que ceux décrits dans la presse : fatigue, vertiges, crampes, tristesse… Seul un cas de sous-dosage important nous a été signalé, la semaine dernière. Pour les autres patients, les troubles n’étaient pas associés à des variations hormonales significatives. On peine à expliquer ces symptômes par la biologie. Ils semblent toucher des patients hypersensibles, pour lesquels tout changement de traitement est source de difficulté d’adaptation et d’anxiété. Le scénario peut être résumé ainsi : quelques personnes ont des troubles, parfois liés à un réel déséquilibre hormonal ; ces cas, lorsqu’ils sont révélés, créent un emballement médiatique et déclenchent des réactions d’anxiété chez les plus fragiles. Je pense que l’effet nocebo de masse a joué un rôle important. Il faut accompagner cette minorité de patients, qui ont des symptômes indiscutables, très difficiles à rattacher à une cause particulière, avec beaucoup d’écoute et d’explications. Ce type de problèmes a-t-il été observé dans les autres pays ? La France est le premier pays à avoir introduit cette nouvelle formule de Levothyrox. Une autre marque de thyroxine avait été modifiée, il y a pas mal d’années, en Nouvelle-Zélande, au Danemark et en Israël. Un scénario similaire s’était passé : après une période de plusieurs semaines ou plusieurs mois sans événement particulier, quelques personnes s’étaient plaintes de symptômes, qui avaient été médiatisés, déclenchant un emballement terrible. Les symptômes de sur- ou de sous-dosages ne sont-ils pas plus caractéristiques que ceux décrits par les patients ? Si, quand il y a de grandes variations hormonales. Mais ce n’est pas toujours aussi simple. Par exemple, une hypothyroïdie modeste peut se manifester par une sensation de "flou cérébral", de flottement, qui peut être qualifiée de vertiges par le patient. Et l’hyperthyroïdie peut donner l’impression d’être fébrile, de trembler, d’être instable. L’étude de bio-équivalence réalisée pour le passage à la nouvelle formule a été vivement critiquée, notamment parce qu’elle a été réalisée uniquement chez des sujets sains et après une prise unique de Levothyrox. N’est-on pas allé trop vite pour effectuer cette substitution ? Nous sommes nombreux à penser qu’il aurait fallu mener une étude croisée en double aveugle, incluant des sujets hypothyroïdiens, sur une longue période : 6 semaines à 2 mois de la nouvelle forme contre 6 semaines à 2 mois de l’ancienne forme. Cela aurait permis de déterminer si les deux formules sont vraiment équivalentes en termes d’efficacité et de tolérance, ou si certains patients éprouvent des perturbations transitoires sans variations de l’équilibre hormonal. Cela nous aurait aidés à répondre avec des arguments scientifiques à l’inquiétude de nos patients. L’étude de bio-équivalence réalisée ne renseigne pas, non plus, sur d’éventuelles interactions médicamenteuses. Les mises en garde concernant les interactions avec l’ancienne formule ne devront-elles pas être réajustées ? Peut-être faudrait-il distinguer les personnes qui gardent une activité thyroïdienne et celles qui n’ont plus de thyroïde du tout. Cela pourrait contribuer à expliquer les variations de tolérance. Nous discutons avec les autorités pour mettre en place une telle étude dans la "vraie vie". Quel jugement portez-vous sur la manière dont a été gérée cette crise ? Nous nous sommes heurtés, dans cette affaire, à un retard d’informations précises. Quand a été évoqué le fait que les nouveaux excipients (mannitol et acide citrique anhydre) pourraient être responsables des troubles observés, nous avons dû batailler pour connaître la concentration de ces excipients dans les nouveaux comprimés. Cela nous manquait pour pouvoir dire que, scientifiquement, il n’y a pas de raison de craindre de tels risques. Maintenant nous pouvons l’affirmer car nous avons recherché ces informations. Les comprimés contiennent moins de 100 mg de mannitol et la quantité absorbée est inférieure à 20 % de la dose ingérée. Le seuil à risque d’effets digestifs est de 1g. Bien sûr on ne peut exclure, a priori, que les nouveaux excipients provoquent de vraies allergies. Mais ces cas seront très rares, compte-tenu de l’expérience large de leur utilisation dans d’autres médicaments. L’ancienne formule est à nouveau disponible ce lundi 2 octobre. La décision de remettre à disposition les stocks de cette ancienne formule est-elle une bonne idée ? C’est, peut-être, une bonne idée politique à court terme, mais pas médicale. Cela va calmer l’anxiété, mais imposer de nouveaux changements qui vont pouvoir être à l’origine de difficultés. Le problème est que les stocks sont limités et Merck a annoncé qu’il ne reviendrait pas à l’ancienne formule, parce qu’ils ont investi dans cette nouvelle formule qui, d’un point de vue chimique et pharmacologique, est meilleure. Nous avons une réunion à l’ANSM avec des représentants des généralistes et des pharmaciens pour décider comment va être gérée la période de transition. De nouvelles spécialités de thyroxine vont arriver. Je ne suis pas sûr que ce soit une bonne idée d’avoir trop de marques différentes sur le marché. Il faudra dire au patient de vérifier que le pharmacien lui délivre le médicament auquel il est habitué. Quand un générique a été commercialisé, il y a quelques années, sans que les spécialistes soient prévenus, nous avons eu des problèmes de dosage chez nos patients, qui nous ont conduits à inscrire "non substituable" sur nos ordonnances. Que doit faire le généraliste devant un patient qui se plaint de troubles ? Il doit d’abord vérifier l’équilibre du traitement, en respectant bien un délai de 6 semaines à 2 mois après le passage de l’ancienne à la nouvelle formule. Faire un contrôle biologique immédiat chez un patient qui vient de changer de traitement n’a pas d’intérêt compte tenu de la demi vie de cette molécule. Ensuite, il faut chercher s’il n’y a pas une autre cause aux troubles observés. Par exemple, certains patients qui se plaignent de maux de tête ont une hypertension méconnue ou négligée. Enfin, il faut préciser si d’autres traitements ont été récemment introduits ou modifiés. S’il n’y a pas de déséquilibre patent, si l’on n’a pas identifié d’autres explications aux troubles et si la personne se sent vraiment gênée dans sa vie quotidienne, on peut proposer de passer à une autre marque de thyroxine, lorsqu’il y en aura une disponible. Il faut bien expliquer au patient que le retour à l’ancienne forme, qui serait transitoire, l’exposerait à une plus longue période d’instabilité puisqu’il faudrait secondairement changer de nouveau de thyroxine. Les patients sont prêts à attendre encore un peu, lorsqu’on leur explique cela en toute transparence. Mais cela demande beaucoup de temps, de patience et d’énergie. Dans une tribune, le Pr Jean-Louis Wémeau dénonce "l’explosion des prescriptions, passées en 15 ans de 400 000 à près de 3 millions aujourd’hui". Qu’en pensez-vous ? Pendant longtemps, on avait pour principe de normaliser la TSH chez tous les patients. Aujourd’hui, nous sommes revenus à plus de prudence et nous ne traitons les personnes de plus de 65 ans que si leur TSH est franchement élevée. Les études récentes montrent que le risque cardiovasculaire associé à l’hypothyroïdie concerne plutôt les personnes plus jeunes. Nous devons également aller vers une désescalade des traitements chirurgicaux, notamment en opérant moins de microcancers papillaires. Il faut aboutir progressivement à moins de prescriptions. Le Pr Patrice Rodien déclare avoir bénéficié de la prise en charge par la société Merck-Serono de frais de voyage et d’hébergement lors de congrès internationaux, ainsi que d’honoraires pour communications lors de réunions scientifiques et médicales.
La sélection de la rédaction
Les complémentaires santé doivent-elles arrêter de rembourser l'ostéopathie ?
Stéphanie Beaujouan
Non
Je vois beaucoup d'agressivité et de contre vérités dans les réponses pour une pratique qui existe depuis 1,5 siècle . La formatio... Lire plus