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Manifestation contre la 4e année de médecine générale, en octobre 2022. Crédit : Louise Claereboudt/Egora

"J'ai l'impression d'être encore un interne que l'on veut exploiter" : l'angoisse des futurs docteurs juniors de médecine générale

Longuement retardée, la publication des textes encadrant la quatrième année d'internat de médecine générale est prévue ce printemps. Rémunération des docteurs juniors, lieux de stage, thèse…  Les internes sont dans le "flou" depuis près de deux ans. Trois d'entre eux, issus de la première promotion concernée par la réforme, témoignent à Egora des nombreuses incertitudes qui planent encore au-dessus de cette année supplémentaire. 

24/04/2025 Par Chloé Subileau
Docteur Junior 4ème année de MG Internat
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Manifestation contre la 4e année de médecine générale, en octobre 2022. Crédit : Louise Claereboudt/Egora

"L'idée initiale de la quatrième année d'internat de médecine générale est bonne, mais son application est catastrophique", lâche Thibaut, 27 ans. "Nous, les internes, on n'est tout simplement pas une priorité", juge l'apprenti médecin généraliste, en fin de troisième semestre. Et pour cause : depuis près de deux ans, lui et ses co-internes attendent les décrets d'application de la réforme de la quatrième année, adoptée en décembre 2022 par 49.3 dans le cadre de la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2023.

En août 2023, la maquette du nouveau DES de médecine générale a bien été publiée. Mais depuis, les textes encadrant spécifiquement la quatrième année d'internat traînent. D'abord promis pour "mars ou avril" par le ministre chargé de la Santé, Yannick Neuder, ils devraient finalement être dévoilés "avant l'été". Leur absence, qui ne cesse de s'allonger, laisse pourtant les internes de médecine générale dans le flou. "Je ne suis pas particulièrement en colère, c'est plus du dépit", souffle Thibaut, qui fait partie de la première promo qui réalisera cette quatrième année. "J'ai l'impression qu'il y a un fossé entre ce que l'on fait au quotidien en termes de soins et les discours et considérations politiques."

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Lorsqu'il a choisi son internat à l'été 2023, le jeune homme savait qu'il devrait faire cette année supplémentaire en tant que docteur junior. "Je savais [surtout] que je voulais faire de la médecine générale", précise l'interne parisien. "Mais au fur et à mesure, on ne peut pas dire que les conditions dans lesquelles on est mis en termes d'informations [sur cette réforme, ndlr] nous rassurent pour la suite de notre exercice", ajoute-t-il. 

Avec l'annonce de cette quatrième année, Loïc* et son épouse, également étudiante en médecine, se sont eux posés quelques "questions". "On n'a pas exclu de choisir d'autres spécialités", reconnait l'interne en troisième semestre à Poitiers. Comme de nombreux carabins, il pointe l'absence d'informations sur cette quatrième année qui doit débuter en novembre 2026. "On est tous un peu dans l'attente de voir ce qu'il adviendra. Ce n'est pas très serein comme climat, car on a aucune information sur notre rémunération, sur nos conditions d'exercice [durant cette année]…", glisse le futur généraliste. "Pour l'instant, c'est très flou, alors que c'est quand même très proche de nous. C'est un peu inquiétant parfois."

 

"Il n'y a pas de statut, de décret…"

Pour ce père de deux enfants, qui a déjà un projet précis d'installation, la question de la rémunération des docteurs juniors est pourtant importante. "On a voulu acheter une maison sur notre futur lieu d'installation avec ma conjointe pour s'implanter. Même si on a des salaires corrects, la quatrième année ajoute une année de forme de "précarité", et c'est un statut qui n'est pas très clair pour les banques. On ne savait pas dire exactement au banquier en quelle année on allait pouvoir s'installer et quels seraient nos revenus durant la quatrième année. Autant les autres années d'internat, on sait combien on touche et on peut faire des prévisionnels, mais cette année en plus il n'y a pas de statut, de décret… […] Cela fait partie des raisons pour lesquelles l'emprunt nous a été refusé", raconte Loïc.

Début 2023, François Braun, alors ministre de la Santé, avait tranché en faveur d'une rémunération en partie à l'acte des futurs docteurs juniors de médecine générale, avec part fixe d'environ 1900 euros nets mensuels à laquelle s'ajouterait une rétrocession de 20% sur les actes réalisés. Une position soutenue début 2025 dans le rapport "d'accompagnement et de suivi" de la réforme de la quatrième année, commandé deux ans plus tôt par le Gouvernement. Les auteurs de ce document préconisent d'établir à 25% la part de rétrocession et de fixer entre 10 et 25 le nombre d'actes quotidiens réalisés par chaque interne.

Mais rien ne dit que le Gouvernement soit toujours du même avis. "Mon appréhension, c'est que cette année ne soit qu'une année supplémentaire d'internat où on ne sera ni mieux ni plus formés, et rémunérés à un niveau qui reste dérisoire par rapport à l'investissement que l'on fait dans ces études", craint Thibaut. Renald*, interne en médecine générale dans le centre de la France, va plus loin : "Que ce soit 25% ou 0% de rétrocession, j'ai l'impression d'être encore un interne que l'on veut exploiter. Cette rémunération ne va pas me motiver dans mes consultations ou à rester [sur mon lieu de stage après cette année de docteur junior, ndlr]." C'est pourtant là l'un des objectifs de la réforme, qui veut pousser les futurs généralistes à s'implanter dans les territoires.

Je ne me projette aucunement

Autre flou persistant : le nombre de terrains de stages disponibles en novembre 2026. Car, si le recrutement et la formation de maîtres de stage universitaires (MSU) s'accélèrent ces dernières années, les internes craignent de retourner à l'hôpital durant cette quatrième année, faute de cabinets suffisants pour les accueillir. Si c'est le cas, "on aura seulement 25% de nos stages en ambulatoire" pendant notre internat, calcule Loïc, "alors que ce sera le cœur de notre métier". "Je ne vois pas quel serait l'apport de cette quatrième année sur le plan pédagogique", ajoute l'apprenti médecin, qui espère pouvoir réaliser son année de docteur junior dans le cabinet où il souhaite s'installer avec son épouse. "Mais on ne sait même pas si les médecins sur place [qui sont déjà MSU] vont pouvoir nous accueillir ou si on va devoir aller ailleurs", en particulier à l'hôpital "ce qui n'aurait pas tellement de sens pour nous", déplore le carabin, qui a souscrit à un CESP et est également engagé auprès du département de la Charente-Maritime pour y exercer une fois diplômé.   

Pour les étudiants, difficile donc d'anticiper. "C'est impossible, tranche Thibaut. Mes prévisions s'arrêtent à la troisième année, ensuite je ne me projette aucunement sur 'où je serai', 'qu'est-ce que je vais faire'…"

Le délai de soutenance de la thèse pose aussi question puisqu'il est désormais réduit à trois ans après le début de l'internat – avant d'obtenir le statut de docteur junior – contre six ans auparavant. "Ce n'est pas ce qui est [le plus] stressant pour moi", nuance Thibaut qui pointe surtout les difficultés à trouver un directeur de thèse. "On est seuls et on doit se débrouiller", déplore l'étudiant parisien. "Autour de moi, j'ai plus l'impression que les internes choisissent des sujets de thèse proposés un peu par facilité, car il y a une pression sur le fait de la réaliser. Cela jouera, je pense, énormément sur la qualité des thèses produites […] Et surtout, on se retrouve dans des situations où des directeurs de thèse doivent encadrer entre sept et onze étudiants en un an et demi, ce qui va sûrement jouer sur la qualité de l'encadrement", résume-t-il.

Et si le Gouvernement a promis une dérogation sur le délai de passage de la thèse pour les premières promos impactées par la réforme, Thibaut ne compte pas dessus. "Il y a de grosses 'holà' sur cette dérogation dans les facs d'Ile-de-France, elle n'est absolument pas acquise. Comme pour tout, on a aucun texte" sur lequel s'appuyer, rapporte l'étudiant.

Je ne me vois pas faire une carrière complète en France

Pour lui, le report de cette quatrième année est inévitable. "Je ne vois pas d'autres solutions que de la décaler à minima d'un an", estime Thibaut, qui se dit toutefois "assez lucide" : "Je pars du principe que cette quatrième année va avoir lieu."

Renald plaide, lui, pour un report d'aux moins deux ans "pour vraiment tout mettre au clair". "En France, comme il y a une lenteur administrative, que les textes ne sont pas sortis et le temps qu'ils soient appliqués… Ils vont essayer de tout faire à la va-vite", prédit l'étudiant. "Le report serait ce que l'on peut obtenir de mieux, pense également Loïc. Mais si je vais plus loin, je suis pour que cette réforme ne soit pas mise en place pour les promos suivantes. Car, [si elle est reportée puis appliquée l'année suivante], on n’aura rien gagné."

Au-delà des retards autour de la quatrième année, les internes s'indignent des débats sur la régulation de l'installation, relancés début avril lors de l'examen de la proposition de loi Garot. Ce texte et la gestion de la réforme de l'internat "ne correspondent pas à l'idée que je me fais de la médecine, du soin…", regrette Thibaut. Le manque de "considération, et l'image transmise dans certains médias [selon laquelle] nos études seraient payées, me découragent à exercer la médecine en France. J'ai une formation, je parle plusieurs langues… Si à un moment donné le climat n'est plus agréable, je ne me vois pas faire une carrière complète en France. Je ne me posais pas cette question avant, mais elle commence à émerger depuis quelques mois", explique l'interne.

"On a besoin de reconnaissance", et ce dès "nos études", abonde Renald, qui envisage d'exercer en Suisse à la fin de son internat. Pour le carabin, partir à l'étranger serait une façon de se "venger", prévient-il, pour avoir autant "contribué" et être maintenant "mal considéré". 

 

*Le prénom a été modifié. 

7 débatteurs en ligne7 en ligne
Photo de profil de Philippe Leroy
473 points
Débatteur Passionné
Médecins (CNOM)
il y a 3 jours
L'esclavage médical ou comment exploiter ad vitam les médecin !
Photo de profil de Maude Z.
11 points
Médecine Aérospatiale
il y a 3 jours
Très bon article.
Vignette
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