La suspension de la toute première séance de négociations entre la Caisse nationale de l’Assurance maladie et les syndicats de médecins libéraux, le 9 novembre dernier, laissait présager des échanges tendus. Cela n’a pas manqué. Après plus de trois mois de discussions – soit au total 90 heures de négos, les représentants de la profession et l’Assurance maladie ne sont pas parvenus à se mettre d’accord sur un texte conventionnel. Le projet de convention à 1,5 milliard d’euros défendu par le DG de la Cnam, Thomas Fatôme, a été tué dans l’œuf. Et ce, avant même la fin officielle des négos, prévue ce mardi soir. La quasi-totalité des syndicats l’a en effet déjà rejeté. C’est le cas de MG France – premier syndicat dans le collège des généralistes, d’Avenir Spé-Le Bloc – premier syndicat dans le collège des spécialistes, de l’UFML-S, du SML, et de la FMF. Seule la CSMF ne s’est pas encore officiellement positionnée – son assemblée générale extraordinaire n’étant programmée qu’au 12 mars prochain. Mais son président, le Dr Devulder, a rappelé à Egora que ses "cadres généralistes et spécialistes sont très opposés" à cette convention, laissant peu de doutes sur l’issue de cette AG. "Si la réponse était attendue avant, il aurait fallu que la Cnam nous donne un texte bien en amont, comme en 2016. Or le texte final est arrivé samedi…" Seule, la CSMF ne pourrait de toute façon pas signer la convention, puisque celle-ci n’est valide que si elle est approuvée par une ou plusieurs organisations reconnues représentatives et ayant réuni au moins 30% des suffrages exprimés au niveau national, dans chacun des deux collèges. Travailler plus, vraiment ? Le spectre du règlement arbitral pesait sur les négociations conventionnelles depuis plusieurs semaines déjà. L’opposition de deux visions ne permettait pas d’entrevoir un accord satisfaisant les deux parties. Les syndicats se sont en effet élevés dès le départ contre la politique de "donnant-donnant" défendue par la Cnam, et par ailleurs prônée par le Président de la République. Le "contrat d’engagement territorial" (CET) – réduit dans le projet final à "engagement territorial" (ET) – était jugé "injuste" et "humiliant" par les représentants de la profession, dont la démographie est en nette baisse, qui réclamaient un vrai "choc d’attractivité".
Outre une revalorisation générale des consultations de base de l'ensemble des spécialités à hauteur de 1,5 euro à compter du 1er octobre 2023, l’accès à des niveaux de tarification supérieurs (niveau 1 à 30 euros pour les généralistes/35 euros pour les spécialistes, niveau 2 à 40 euros et niveau 3 à 60 euros), à compter du 1er octobre 2024, se voyait conditionné à un engagement territorial. Pour gagner plus, les médecins auraient ainsi dû remplir plusieurs objectifs en faveur de l'accès aux soins parmi une liste (atteindre un certain niveau de patientèle ou de file active, participer à la PDSa ou au SAS, ouvrir son cabinet le samedi matin, etc.). "Dire qu'il faut qu'on s'engage, ça veut dire qu'on ne le fait pas, c'est absolument inaudible pour la profession", a lâché la Dre Agnès Giannotti, ce dimanche, lors d’une conférence de presse exceptionnelle. Pour la Cnam, pourtant, cette proposition représentait une réelle opportunité pour les médecins. Un médecin généraliste traitant pourrait bénéficier de 9522 euros d’honoraires supplémentaires* par an en 2024 grâce au nouveau tarif du C de base à 26,50 euros, avançait Thomas Fatôme la semaine dernière. En s’engageant sur le territoire, il pourrait même prétendre à une revalorisation totale chiffrée à 20 700 euros en 2025. "C’est une reconnaissance de l’engagement des médecins, et la reconnaissance d’un effort pour répondre aux besoins de santé de la population", a commenté l’entourage du ministre de la Santé. "Depuis quelques jours, on entend beaucoup dire que l’on demanderait à des médecins qui faisaient déjà beaucoup de choses d’en faire encore plus. Ça n’était pas le contenu de cette proposition de convention. L’idée n’est évidemment pas de pousser au burn out des médecins qui font déjà beaucoup, a tenu à réaffirmer l’entourage de François Braun. On sait que d’ores et déjà un peu plus de 40% des médecins remplissaient les conditions posées par cet engagement territorial." Pas suffisant pour le Dr Patrick Gasser, président d’Avenir Spé : "signer une convention pour même pas 50% de nos collègues, ce n’est pas possible." "Il est vrai que ça demandait un effort aux autres", a assumé l’entourage du ministre. La revalorisation du forfait médecin traitant (FMT), la mise en place d’une nouvelle consult’ à 60 euros pour l’inscription d’un nouveau patient MT en ALD, ou encore la facilitation de l’aide à l’emploi d’un assistant médical, n’ont su effacer les inquiétudes et la colère des syndicats vis-à-vis de cet engagement territorial.
Lecteurs d'Egora, nous vous avons demandé votre avis sur l'issue des négociations conventionnelles entre les médecins libéraux et l'Assurance maladie. La question posée était la suivante : faut-il aller au règlement arbitral ? Vous êtes plus de 1000 à avoir participé à ce débat. 87% d'entre vous ont répondu "oui" à la question, rejetant de fait les propositions de la Cnam.
"Aucune 'évolution' amenée par les 'propositions' de la Cnam n'est souhaitable ni réalisable, ni éthiquement ni économiquement pour la profession. C'est une mascarade. On annule tout et on recommence tout depuis le début, cette fois en étant sérieux. Ou alors on repense entièrement le système et on se donne le temps de trouver d'autres modes de fonctionnement qui respecte l'indépendance du médecin et la confiance qui lui est accordée pour organiser le soin, en s'affranchissant de la tyrannie administrative", a estimé un Egoranaute.
Le ministre regrette une occasion manquée C’est une occasion manquée, a regretté ce lundi matin le ministre au micro de France Inter, estimant que les syndicats refusant de signer cette convention "ne sont pas responsables". François Braun, "regrette que les syndicats n’aient pas cet effort" en faveur de l’accès aux soins des Français, a ajouté son entourage, et que "certains d’entre eux sortent de la négociation avec exactement la même position que celle dans laquelle ils sont entrés"...
"C’est une occasion manquée : pour les Français, d’abord, mais aussi pour les médecins, car beaucoup d’entre eux nous ont dit que cette valorisation de leur effort était pour eux importante." "J’ai une responsabilité car je suis négociateur, mais l’autre négociateur, en face, a lui aussi responsabilité", a rétorqué le Dr Gasser, qui s’est dit "déçu" de cet échec. "Je pense qu’on a été pollués par le politique", a-t-il également ajouté. "On regrette d’en être arrivés là, mais on ne regrette pas les positions et le cadrage qui ont été pris", a exprimé l’entourage de Braun. "La revalorisation sans condition n’était pas une option", a-t-il martelé, citant notamment la revendication d’un C à 30 euros sans condition portée par MG France qui "n’était pas acceptable" pour le ministère. "On estime aujourd’hui qu’on a le droit de poser des conditions à ces revalorisations parce que 1,5 milliard d’euros est une somme colossale. C’est l’argent des Français", a soutenu l’entourage du ministre, pour qui cette convention "aurait constitué un investissement important sur le premier recours et les soins de ville". "Avoir une enveloppe si différente entre les généralistes et les spécialistes, ce n’était pas possible, a de son côté regretté le Dr Gasser. Plus d’1 milliard pour les généralistes et 400 millions pour les spés..." Le président d’Avenir Spé a par ailleurs pointé la trop "faible" revalorisation hors ET, celle-ci ne représentant "pas 6% pour la médecine spécialisée". Un règlement arbitral d’ici trois mois, et après ? S’engage désormais une procédure de règlement arbitral, comme en 2010. L’arbitre Annick Morel, désignée par l’Assurance maladie et les syndicats de médecins, aura pour mission d’entendre l’ensemble des parties prenantes et de proposer dans un délai de trois mois un règlement arbitral au ministre, qui "vaudra convention" pour une période de cinq ans. Les partenaires conventionnels devront engager de nouvelles négociations "au plus tard dans les deux ans". "J’attends le règlement arbitral et, dans trois mois, je demande au directeur de l’Assurance maladie de rouvrir des négociations conventionnelles", a fait savoir le Dr Gasser, qui se dit "force de propositions".
MG France s’est également dit prêt à reprendre le dialogue social, si les conditions suivantes sont réunies : "pas d'irruption du législateur sur le contenu de la négociation, une lettre de cadrage ministérielle qui ne soit pas hors sol, et évidemment une enveloppe suffisante qui laisse entrevoir la possibilité de réparer l'absence d'investissement sur les soins primaires dans notre pays", a développé la Dre Agnès Giannotti. Dans l'attente de nouvelles négos, l’incertitude plane sur le contenu du règlement arbitral, ainsi que son montant. A ce sujet, l’entourage du ministre n’a pas avancé de chiffres, l’arbitre étant indépendante dans le cadre de ses propositions, mais a toutefois déclaré : "On ne peut pas considérer que le ministre ait complètement envie de donner la même chose dans un règlement arbitral que dans une négociation qui aurait abouti à la signature de la convention." De son côté, le Dr Gasser ne "se voile pas la face" : "Il n’y aura probablement pas de majorations", présume-t-il. Alors que les négos conventionnelles entre la Cnam et les kinés ont, elles aussi, capoté, la stratégie de l’Assurance maladie et du Gouvernement est remise en cause. Pour l’entourage du ministre de la Santé, le modèle conventionnel demeure le modèle de référence et "on a tous intérêt qu’il vive". "On veut croire que l’échec de la négo n’est pas l’arrêt de tout travail de coopération pour répondre aux besoins de santé des Français, a-t-il ajouté. Le ministre veut croire que la responsabilité des médecins aujourd’hui dans les territoires va se poursuivre […] et que tout n’est pas qu'une question de tarif de la consultation."
Si les négociations conventionnelles viennent de tomber à l’eau, ce vendredi 3 mars vont s’ouvrir les Assises du déconventionnement organisées par l’UFML-S. Un moyen, selon le Dr Jérôme Marty, de "faire pression" sur l’exécutif. "On a bien sûr entendu cette menace", a commenté l’entourage du ministre de la Santé, espérant "qu’elle ne sera pas mise à exécution parce qu’elle prendrait en otage les Français". Si plusieurs milliers de médecins sont attendus à cet événement, François Braun espère que le nombre de ceux qui décideront de couper leurs liens avec l’Assurance maladie "sera faible". "On sait que quelques médecins ont posé la question à leur CPAM mais c’est un nombre très petit", a ajouté l’entourage du ministre, précisant qu’à ce jour il y a "un peu moins d’1% des praticiens" non conventionnés.
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