Qui se cache derrière le Pr Agnès Buzyn, nouvelle ministre de la Santé ?
Pour une surprise, c'est une surprise. La nomination du Pr Agnès Buzyn, la présidente de la Haute Autorité de santé, à la tête du gros ministère des Solidarités et de la Santé, septième sur la liste protocolaire d'un gouvernement resserré de 18 ministres et quatre secrétaires d'Etat, a déjoué tous les pronostics. Majoritairement, les professionnels de santé réagissent avec hâte et enthousiasme à cette nomination.
Pas une seule fois le nom du Pr Buzyn, éminente hématologue, n'avait été avancé depuis la nomination d'Edouard Philippe (LR) à Matignon, mardi dernier où, en revanche, circulaient avec insistance ceux d'Olivier Véran, neurologue grenoblois, pilier d'En Marche depuis la première heure. Ou plus récemment d'Arnaud Robinet, pharmacologue hospitalier, bras droit d'Alain Juppé aux Républicains, pour tenir le maroquin de la Santé. Ni l'un ni l'autre n'ont obtenu une place dans le nouveau gouvernement, où l'on note l'importance accordée au secrétariat d'Etat aux Personnes handicapées, directement rattaché au Premier ministre. Le jeu délicat de la parité (10 femmes ministres et deux femmes secrétaires d'Etat), du poids respectif des ralliements de diverses sensibilités politiques à la République en Marche et tout dernièrement, l'épreuve de la commission de la transparence, qui a scanné les déclarations de patrimoines à l'aune des conflits d'intérêt potentiels, aura eu raison des équilibres initialement prévisibles. Ces personnalités médicales évidemment déçues auront peut- être droit à un tour de rattrapage après les législatives, où un nouveau rapport de forces politiques devrait sortir des urnes. Très classe, Olivier Véran a immédiatement salué sur twitter la nomination d'Agnès Buzyn au poste qui aurait pu lui être destiné : "La nomination du Pr Agnès Buzyn est une excellente nouvelle pour le monde de la santé. Bravo'". Il faut maintenant attendre la publication du décret d'attribution du nouveau ministre pour connaître la délimitation de son autorité. Se pose en effet la question sensible de la tutelle sur la Sécurité sociale, qui peut aussi échoir au ministère de l'Economie, tenu par Bruno Lemaire, une "prise" issue des Républicains.
"Un équilibre à trouver entre médecine de ville et hôpital"
Agnès Buzyn prend la succession de Marisol Touraine après un quinquennat au même ministère, où cette dernière n'aura pas réussi à se concilier les faveurs du corps médical. Pire: ces relations se sont envenimées au fil des réformes passées au forceps. Force est de constater que le dialogue est rompu entre les professionnels de santé et leur ministère de tutelle. "L'attente est immense, a reconnu la nouvelle ministre lors de la passation hier soir. Il y aura un équilibre à trouver entre médecine de ville et hôpital". "Nous allons travailler d'arrache pied. Nous sommes dans un gouvernement qui n'a pas le droit à l'erreur", a analysé le Pr Buzyn qui n'aurait "jamais imaginé être là un jour". "C'est le travail d'une vie", a commenté émue la nouvelle ministre. La femme qui succède à Marisol Touraine, ministre qui l'a nommée à la Haute Autorité de santé (voir encadré), devra donc s'employer à renouer ce dialogue cassé car tous ses futurs interlocuteurs le demandent, à commencer par le Conseil national de l'Ordre des médecins, qui se dit prêt à "servir ce dialogue et la nécessaire réforme du système de santé, dans un esprit de coopération avec l'ensemble des acteurs".
Les sceptiques
Néanmoins, certains affichent leur déception ou leurs doutes. Il en va ainsi de la CSMF, non signataire de la convention, qui attendait du changement de gouvernement, l'ouverture d'une fenêtre de tir qui lui donnerait l'occasion de revenir à la table des négociations. Immédiatement, son président, Jean-Paul Ortiz s'est dit "inquiet et sceptique. Agnès Buzyn a été nommée à la HAS par Marisol Touraine, sur proposition de François Hollande. Elle est dans la mouvance de la ministre partante. Son passage à la HAS s'est concrétisé par la disparition des médecins libéraux du collège, et nous avons vivement protesté". Le Pr Buzyn est, de plus, "issue du CHU. Sans faire de procès d'intention, nous pensons que le dialogue sera extrêmement difficile à renouer avec la médecine libérale", critique Jean-Paul Ortiz, le président de la Confédération. Non signataire lui aussi de la convention, le SML note que cette nomination signe la fin d'un quinquennat "d'incompréhension et de conflits inédits". Le syndicat attend un "changement de méthode, nécessaire au rétablissement de relations de confiances", et la renégociation de chantiers qui ne le satisfont pas, tels la convention médicale, l'accord interprofessionnel pour le travail en équipe de libéraux de santé, l'insécurité des médecins ou la télémédecine. Chantiers auxquels le syndicat veut apporter une contribution "constructive et pragmatique". Sobre, sans enthousiasme.
Les indulgents
Pourtant, en majorité, cette nomination plaît. Ainsi à la Fédération des médecins de France, où son président Jean-Paul Hamon lâche qu'elle "aura du mal à faire plus mal que Touraine". Estimant qu'il n'est plus temps de faire "de la politique politicienne car il y a des dossiers prioritaires sur la table", il liste " avant même le tiers payant généralisé et la politique vaccinale", qu'il faut s'atteler à la "désertification médicale et l'inflation du reste à charge des patients, qui paient de plus en plus cher avec la réforme de la complémentaire pour tous et sont de moins en moins bien remboursés". Pour la président de la FMF : "Il faut redonner de l'attractivité à la médecine générale et redéfinir le rôle de l'hôpital". A MG France, cette nomination est très bien accueillie. Le Dr Claude Leicher, qui connait "très bien" Agnès Buzyn pour l'avoir côtoyée lorsqu'elle était présidente de l'INCa puis à la HAS et au Haut Conseil pour l'avenir de l'assurance maladie, se dit "réjoui" de travailler avec elle. "C'est une femme très attachante, à l'écoute, attentive. Elle parle avec un calme remarquable, et avec gentillesse. Avec elle, le dialogue va être extrêmement facile", réagit le président de MG France. Son expérience professionnelle non plus ne "prête pas à discussion", estime-t-il. "Elle connaît le système de santé de l'intérieur. Il n'y aura pas de phase d'apprentissage, de compréhension des difficultés", souligne le syndicaliste, avant de balayer les accusations d'"hospitalo-centrisme". "Elle a une vision systémique du système de santé, elle a compris qu'il ne fallait pas mettre tous les moyens sur l'hôpital, qui a déjà beaucoup reçu."
"Elle vient d'être nommée, on ne va pas déjà la critiquer"
En tant que présidente du Collège de la HAS, Agnès Buzyn a "décidé d'orienter les travaux de la HAS sur les soins primaires", met-il en avant. Quant à la polémique sur l'absence de médecin libéral dans le collège de la HAS, elle "n'a pas lieu d'être". "Des médecins libéraux ont fait l'objet de propositions, qu'ils ont déclinées. Et de toute façon, ce n'est pas Agnès Buzyn qui fait les nominations mais un décret présidentiel." Si le Dr Leicher valide la personnalité, il attend de voir la politique qu'elle mettra en œuvre. "Est-ce qu'elle sera consacrée à l'organisation des soins primaires ? A la problématique de la désertification médicale ? C'est un problème majeur qui doit être pris à bras-le-corps. On n'a que trop attendu." Jérôme Marty, le président de l'UFML, est lui aussi content de cette nomination surprise. "Agnès Buzyn est un médecin, une technicienne et une experte, c'est bien. Elle vient d'être nommée, on ne va pas déjà la critiquer. En revanche, on l'attend face à l'épreuve de la réalité." Le président du jeune syndicat estime que "son expérience à la HAS lui a permis d'avoir une vision transversale du public et du privé. C'est une experte du système de soin". Il pense qu'elle "mènera sûrement son ministère dans le sens de la médecine et non dans celui de l'économie comme cela a été le cas avec Marisol Touraine. C'est un soulagement que Marisol Touraine soit partie. Cela n'aurait pas pu être pire". A l'entendre, l'expérience de la présidence du collège de la HAS a permis à la professeure hospitalière d'avoir une aussi bonne connaissance du secteur libéral que du secteur hospitalier. "En tant que ministre de la Santé, Agnès Buzyn devra répondre à des urgences incontestables. Tout d'abord celle des médecins agressés comme c'est le cas en ce moment avec le Dr Goidin à Dunkerque. Elle devra aussi répondre aux drames que vivent l'ensemble des professionnels de santé liés à la pénibilité du travail et au burn out. Enfin, elle devra gérer en urgence la problématique de l'aménagement du territoire et des déserts médicaux". Il ajoute, comme un bémol après ce concert de louanges, que l'UFML sera "extrêmement vigilante vis-à-vis des liens que pourrait avoir Agnès Buzyn avec l'industrie pharmaceutique. En tant que patronne de la HAS, elle ne s'est pas particulièrement battue contre les conflits d'intérêts avec les laboratoires" ajoute-t-il. Et d'ailleurs, une heure après la lecture de la liste des nouveaux membres du gouvernement, les internautes ressortaient un papier de Mediapart, pointant du doigt la proximité de la nouvelle ministre avec les laboratoires pharmaceutiques, écrit à l'occasion de sa nomination à la HAS en mars 2016…
"Impatient de tourner la page"
A leurs tours, les internes de l'Isni saluent favorablement cette nomination et listent leurs dossiers en attente dont la remise en question de la réforme du 3ème cycle; les futurs généralistes de l'ISNAR-IMG rappellent notamment à la nouvelle arrivante la promesse de son prédécesseur de permettre aux jeunes de siéger es qualité aux négociations conventionnelles. Quant à la Fédération des hôpitaux français (FHF), elle se dit "sensible à la nomination d’une personnalité qui connaît parfaitement les enjeux et la complexité du secteur de la santé, dans un moment où les attentes des Français comme des professionnels sont fortes". La FHF ne doute pas des "relations de confiance, d'écoute et de dialogue" dont elle saura faire montre avec la communauté hospitalière". La Fédération s'engage à être pour la ministre un "partenaire constructif et vigilant". La tonalité est aussi enthousiaste à la Fédération de l'hospitalisation privée (FHP), qui relève qu'en tant que présidente de la Haute autorité de santé (HAS) "madame Agnès Buzyn, professeure de médecine, est une fine connaisseuse des questions de santé. Elle est parfaitement au fait des enjeux et des défis à relever pour transformer et pérenniser notre système de santé, et notamment des questions de qualité et de sécurité des soins". Dans un communiqué, Lamine Gharbi, le président de la fédération des cliniques, se dit "impatient de tourner la page d'un quinquennat qui a marqué une hostilité sans précédent vis-à-vis de l'hospitalisation privée et de la médecine libérale et qui, plus largement, a divisé les acteurs de santé". Il reprend à son compte les propos du président de la République, insistant sur la nécessité de travailler ensemble, de décloisonner et de rééquilibrer les approches en matière de santé. "Nous ne pouvons que souscrire à cette approche pragmatique qui prend en compte les rôles et réalités de terrain", poursuit Lamine Gharbi. Enfin, Michèle Delaunay, députée membre de l'Alliance contre le tabac, se réjouit de la nomination de l'ancienne présidente de l'INCa, vue comme un atout pour la lutte contre le tabagisme.
La nouvelle ministre des Solidarités et de la Santé est professeur d’hématologie à l’Université Pierre & Marie Curie Paris VI, où elle a conservé une activité de consultation d’hématologie à l’hôpital Saint-Antoine, même après sa nomination à la Haute Autorité de santé, en mars 2016. Elle était, au préalable et depuis 2011, présidente de l'Institut national du cancer (INCa).
Ancienne interne des Hôpitaux de Paris, Agnès Buzyn a réalisé la majeure partie de son parcours de clinicienne hématologue et d’universitaire à l’Université Paris V-Hôpital Necker où elle a été responsable de l’Unité de soins intensifs d’hématologie adulte et de greffe de moelle de 1992 à 2011. Nommée Professeur d’Université en 2004, elle a enseigné l’hématologie et l’immunologie des tumeurs et de la transplantation dans plusieurs modules universitaires.
Ses nombreux travaux dans les domaines de la greffe de moelle, de la leucémie aiguë lymphoblastique (LAL) et de la leucémie myéloïde chronique (LMC) ont donné lieu à plus de 150 publications originales dans des revues scientifiques en langue anglaise.
Agnès Buzyn a exercé de nombreuses fonctions au sein de sociétés savantes et de conseils d’administration : membre du conseil médical et scientifique de l’Agence de la biomédecine (ABM), membre du conseil scientifique de l’Etablissement français du sang (EFS), présidente du conseil scientifique de la société française de greffe de moelle et de thérapie cellulaire (SFGM-TC).
Au sein des agences de l’Etat, elle a exercé les fonctions de présidente du conseil d’administration de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) de 2008 à 2013, et a été membre du Comité à l’énergie atomique, de 2009 à 2015. Nommée membre du conseil d’administration de l’Institut national du cancer en 2009, puis élue vice-présidente en octobre 2010, elle en est devenue présidente par décret du président de la République en date du 27 mai 2011.
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