Dans cette lettre ouverte, le Dr Isabelle Luck, médecin généraliste francillenne et polémiste de talent, interpelle le probable prochain ministre de la Santé, et se fait la porte-parole de ses confrères, comme elle, durement éprouvés par le quinquennat qui s'est achevé dimanche dernier.
"Monsieur et cher confrère, Les Français ont dans leur choix présidentiel donné Emmanuel Macron gagnant et je me permets de m’adresser à vous qui êtes pressenti comme son Ministre de la Santé. Ce choix m’a paru personnellement, plus que tout autre par le passé, particulièrement difficile au vu de l’affaiblissement de notre système de santé que le gouvernement en place a précipité. L’élection d’Emmanuel Macron a heureusement permis d’éliminer la candidate du Front National qui, malgré ses propos de soutien habiles envers les travailleurs et les patriotes, véhicule des idées extrémistes de discrimination raciale auxquelles aucun médecin ne devrait pouvoir adhérer. Le but de ce courrier est qu’il renforce, dans vos propositions aux professionnels de santé et à leurs patients, la légitimité du vote Emmanuel Macron que vous avez prônée. Les soignants ont été malmenés par les gouvernements qui se sont succédés pour mettre sur rail puis voter (sans souci de concertation ni avec les assurés ni avec les professionnels) la loi dite de "modernisation" de notre système de santé qui, sans amendement, va continuer de mettre à mal le système de soins. Aujourd’hui, tous les professionnels de santé sont échaudés, inquiets et sceptiques, ils constatent chaque jour les conséquences néfastes des politiques de santé centrées sur la maîtrise comptable, sur la qualité des soins et sur la sérénité de leur exercice. Ces décisions politiques, imposées contre l’avis même des soignants, n’œuvrent ni pour la qualité ou l’accès aux soins qui se raréfient et se déshumanisent, ni pour le droit à être soigné en toute liberté par l’introduction des réseaux de soins, ni en toute solidarité et transparence financière par rapport aux cotisations de sécurité sociale et de complémentaires qui ont été imposées aux Français par voie législative. Car, malgré ce que l’on a fait croire aux Français, il n’y a aucune philanthropie ni efficience humaine dans les lois Le Roux et Touraine. Aux yeux des soignants, elles ont été soigneusement finalisées pour des raisons purement comptables puis votées alors qu’Emmanuel Macron était ministre et que vous-même souteniez (et soutenez encore ?) le travail de Madame Touraine. La désaffection pour la médecine de soins ces dernières années et la dégringolade du système de soins de la première à la vingt-quatrième place l’attestent. Dans nos cabinets, les patients, incrédules nous interrogent sur le "Comment en est-on arrivé là avec tout ce que le gouvernement dit faire pour nous ?", ils vivent partout les déserts médicaux et le burn-out de leurs soignants, les délais d’accès aux soins et les refus de remboursement, la hausse de leur reste à charge et des coûts de leurs cotisations. Vous savez très bien que ces lois ont, pour la première, instauré l’obligation d’une complémentaire ouvrant la porte aux réseaux de soins et par conséquent sur le contrôle comptable du soin au profit des assurances privées et des mutuelles dont l’opacité des comptes est toujours permise par le gouvernement actuel, et pour la seconde, ordonné l’état comme décisionnaire de l’organisation de la santé en France (article 1) et décrété le tiers-payant généralisé qui enterre l’indépendance des médecins et les soumet financièrement (comme l’a fièrement clamé Madame Brigitte Dormont). Si l’on considère votre propre parcours politique de médecin qui a contribué au vote de la loi santé de Marisol Touraine alors qu’elle contredit le code de déontologie médicale, on peut s’interroger sur le programme de santé qui serait le vôtre si le nouveau président vous en confiait l’exercice. Nous avons pourtant lu sur egora.fr du 24/04/2017 vos pistes sur l’organisation de la santé voulue par Monsieur Macron, et vos propos se veulent rassurants envers les professionnels de santé, vous déplorez dans l’administration ou la politique "la lenteur, l’inertie, et la difficulté à prendre des décisions" à l’antithèse de ce qu’est effectivement le métier de médecin. Mais de là à être confiants dans vos promesses et à partager votre optimisme sur l’amélioration rapide de la réalité catastrophique du terrain, il y a un fossé redoutable à franchir. Il serait bon de vous entendre au plus vite sur les preuves de votre ouverture envers l’indépendance des professions médicales, la sérénité à retrouver dans le monde hospitalier, la survie des entreprises libérales sans pression extérieure car il y va de la qualité de la médecine française et de notre vocation de soin guidée par notre code de déontologie au service du patient. Et il me semble qu’un système de soins sans médecin n’est pas gage du meilleur... Comment pouvons-nous accepter de renier notre indépendance nécessaire à la qualité de nos soins au service individuel de chaque patient, d’obéir à des algorithmes décisionnaires sur des données statistiques, de formater notre exercice à un encadrement comptable (…) de travailler de plus en plus vite devant l’afflux de patients ne trouvant plus de médecin traitant, de refuser les nouveaux patients sous peine d’épuisement, de prendre de moins en moins de temps humain qui est la base de nos vocations de soignants, de nous estimer respectés devant le tarif de base d’un acte de soin, qui à 23 ou même 25€, reste au plus bas de l’échelle européenne (et il en est de même pour nos infirmières ou nos dentistes) ? Pourtant, certaines de vos idées lues sur egora sont séduisantes, telles que vos propositions sur la prévention en faveur des patients. Vos reproches aux médecins sur leur défaut d’investissement dans la prévention montrent que vous connaissez mal la médecine générale. Il est certes sensé de vouloir la valoriser la prévention mais elle fait déjà partie intégrante de l’exercice d’un médecin traitant qui la met en pratique presque à chaque consultation, à un tarif défiant toute concurrence (d’ailleurs, il n’y a plus de concurrence entre médecins tant ils deviennent rares…). Imposer à chaque assuré une consultation spécifique annuelle de prévention tout comme valoriser le tarif de l’acte à hauteur de la moyenne des pays européens sont aussi des solutions pour rendre cette prévention efficace et suivie. Ne pas écarter le médecin traitant des décisions de prévention (comme cela a été fait avec le vaccin antigrippal avec la chute du nombre de vaccinés) serait plus efficace que d’envoyer aux assurés un courrier de conseils ou un simple bon pour un vaccin. Par ailleurs, vous avez pris conscience de l’excellente formation que reçoivent les internes de médecine générale et la grande compétence qu’ils acquièrent en stage chez le praticien, et que cet accompagnement pourrait être un facteur de leur implantation sur ce territoire s’il redevenait attractif sans les contraindre à leur lieu d’installation. La maîtrise de stage en cabinet est le parent pauvre des étudiants de cette spécialité puisque la grande majorité de leurs stages se fait dans les hôpitaux qu’ils participent à faire tourner. Soyez remercié de vouloir renforcer la filière de médecine générale, qui, pourtant plébiscitée par les politiciens, a du mal à attirer leur reconnaissance et la mise à disposition de vrais moyens. Soyez remercié de vouloir une meilleure revalorisation des maîtres de stage. Mais les promesses se succèdent sans effet depuis tant de temps qu’il est légitime de ne plus croire ceux qui les énoncent… Comment croire que le Président Macron montera la rémunération universitaire au-delà des 100€ nets mensuels que je perçois aujourd’hui sans aucune augmentation depuis son existence ? Comment croire qu’il existera encore assez de cabinets pouvant accueillir les internes quand le taux d’installation est à moins de 10 % et quand les médecins retraités n’ont jamais été aussi nombreux ? Et au fait, où trouverez-vous ces 40 000 étudiants que vous voulez mettre en manœuvre de prévention et en télémédecine dans les EHPAD, les écoles, les lieux de travail ? Vous parlez d’encourager les projets territoriaux et de faire confiances aux acteurs de terrain, de leur redonner décision sur l’organisation de la santé sur leur territoire (malgré cet article 1 qu’un seul candidat sur les onze voulait abroger), cela me semble du bon sens et en cela, j’aimerais aussi pouvoir vous faire confiance (…). « La politique conventionnelle doit être respectée », dites-vous sur egora. Arriverez-vous à donner aux syndicats les moyens qu’ils demandent pour sauver la médecine à la française et la laisser innover ? Laisserez-vous le directeur de la CNAM accéder à des demandes plus que raisonnables pour la reconnaissance de nos professions sinistrées, aussi bien en ville qu’à l’hôpital, plutôt que les forcer à empiler des pansements peu incitatifs à l’épanouissement des soignants au service de leurs malades? "EM souhaite un meilleur remboursement des dépassements d'honoraires par les complémentaires santé. Il ne remet pas en question le secteur 2". Aurez-vous plutôt le courage de créer le Secteur Unique à tarif non déconnecté du réel coût de la prestation? (…) Pensez-vous que les jeunes médecins avec leurs compétences remarquables puissent se contenter d’un tarif au plus bas de l’échelle européenne lorsqu’ils sortent d’études que vous avez, comme eux, vécues comme les plus difficiles et les plus éprouvantes qui soient (…) ? Oui, les complémentaires sont riches et elles doivent participer à la qualité des soins donnés par chaque médecin en remboursant un tarif décent. Les cotisations servent à cela et non à sponsoriser courses de bateaux, stades de foot ou vignes… Si Monsieur Macron, joue, sans tricher, le jeu qu’il promet, la consultation de base en France doit rattraper au plus vite le niveau moyen chez nos voisins d’Europe et les Français lui en seront reconnaissants en retrouvant l’accès à une médecine de haute compétence qui pourra redevenir attractive et donc accessible. Lorsque vous déclarez vouloir accompagner les professionnels dans leur désir de regroupement dans 2000 maisons médicales, aussi bien dans leur aménagement que dans leur fonctionnement, pourquoi pas, pourvu que le médecin garde l’entière indépendance de son exercice qui ne doit pas lui être dicté par les assureurs ni les financeurs. Une ubérisation de la profession avec des cadences à tenir, des prescriptions contraintes par des budgets limités et des contreparties intenables devant l’éthique ou les responsabilités de la profession est possible et vouera la qualité des soins au low-cost. Le médecin s’il est respecté et s’il reste le seul décisionnaire de son exercice pourra envisager de rentrer dans de telles maisons dont l’organisation doit faire preuve de souplesse et d’innovation sur chaque territoire. Sinon, elles risquent de rester vides… Enfin, il me semblerait insupportable d’avoir voté pour Monsieur Macron s’il s’entourait des mêmes hommes et femmes politiques issus des gouvernements précédents et s’il ne prenait pas la mesure du mal que fait l’ingérence administrative et comptable dans le soin, aussi bien en médecine hospitalière que privée. Le fait que vous souteniez le bilan de Madame Touraine me semble déjà compromettre ce choix car sa loi de modernisation de santé donne une ingérence délétère de l’administratif sur le médical et ce gouvernement a donné beaucoup trop de pouvoir au monde de la finance et de l’assurance contre l’aspect humain et individuel de la médecine. Monsieur Macron serait sage de montrer qu’il sait s’entourer, pour la réflexion sur notre système de soins, de citoyens issus du terrain, à l’esprit neuf et sans conflit d’intérêt, et de politiciens ayant pris conscience, apparemment comme vous si j’ai bien compris le sens de votre interview du 24/04/2017 à egora , la nécessité d’une médecine raisonnable, humaine et relationnelle exercée par des soignants respectés. Espérant de votre part une réponse qui pourra conforter le bulletin de vote que les soignants Français ont posé avec espoir dans l’urne et qui attendent de nouvelles conditions de l’exercice dévoué à leurs patients digne de la médecine à la française du vingt-et-unième siècle, je vous prie d’agréer, Monsieur et cher confrère, l’expression de mes confraternelles salutations." Ce texte a initialement été publié sur ufml-asso.org *Docteur Isabelle Luck, spécialiste de médecine générale secteur 1 installée en libéral à Elancourt(78) depuis 1986. Maître de stage universitaire. Médecin coordonnateur de la permanence des Soins dans les Yvelines. Elue URPS Ile-de-France. Membre de l’UFML (Union Française pour une Médecine Libre).
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