Prépa Marseille

A Marseille, l'"écurie" Médenpharmakiné accueille 110 étudiants de Pass et de LAS. Crédit : Le Sel de la vie

Réussir médecine sans payer 8000 euros : à Marseille, une "prépa sociale et solidaire" relève le défi

Ouverte en 2020, elle fait de plus en plus parler d'elle. Première prépa quasi gratuite, "l'écurie" Médenpharmakiné, comme on l'appelle à Marseille, accueille 110 étudiants de Pass et de LAS. Pendant un an, ces derniers préparent le concours d'admission aux filières de santé, épaulés par des tuteurs omniprésents. La clé de la réussite ? 

17/02/2025 Par Pauline Bluteau
Reportage PASS/LAS
Prépa Marseille

A Marseille, l'"écurie" Médenpharmakiné accueille 110 étudiants de Pass et de LAS. Crédit : Le Sel de la vie

Ce mardi 14 janvier, le ciel s’est mis aux couleurs de l’Olympique de Marseille. Ce soir, la cité phocéenne accueille le Losc pour un match de Coupe de France. Mais ce n'est pas l'ambiance du Vélodrome qui nous amène à Marseille ce jour-là. À quelques stations de métro du stade de foot se dresse un immense bâtiment blanc. Sur l'une des façades, on peut lire "Urgences adultes". Il est un peu plus de 16h , et l'hôpital de La Timone semble bien calme. "On va passer par là", coupe Aïssa Grabsi. Ce professeur de sciences économiques et sociales au lycée, grand et chauve à lunettes, est aussi le fondateur de l'association Le Sel de la vie et de la première "écurie sociale et solidaire", Médenpharmakiné. Aïssa Grabsi nous entraîne dans les entrailles de La Timone. Une porte, puis deux, puis trois, de longs couloirs, quelques blouses blanches au passage et, enfin, l'amphithéâtre HA2.

"Ça va, tout le monde ?" À peine intimidés, les étudiants, emmitouflés dans leurs gros pulls, saluent l'enseignant et lui serrent la main. L'amphithéâtre de l'hôpital, déjà assez sombre, n'est pas chauffé. "On nous a dit qu'il y avait un petit problème de chauffage", murmure Alexane, étudiante en deuxième année de médecine. "L'écurie" n'a pas encore commencé, le temps pour les tuteurs de faire le point sur les séances à venir. Deux fois par semaine, le mardi et jeudi, ces étudiants de deuxième et troisième année - qu'ils soient en médecine, pharmacie, dentaire, maïeutique ou kiné - organisent "l'écurie". "C'est une pédagogie informelle", précise Aïssa Grabsi. Pas d'enseignant pour faire cours, ce sont les étudiants qui, par binôme, préparent la "colle" du jour. "Aujourd'hui, il y a 20 questions qui portent sur l'éthique en médecine, c'est le cours de sciences humaines et sociales", détaille Baptiste, lui aussi étudiant en deuxième année de médecine à Aix-Marseille Université.

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Nathalie Hanseler Corréard

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Des entraînements fondés sur les cours de la fac

Peu avant 17h , une bonne dizaine d'étudiants attendent déjà devant l'amphi. Ce soir, "l'écurie" est dédiée aux élèves de Pass : 35 d'entre eux y participent ce jour-là, dont une grande majorité de filles. "C'est représentatif des études de santé", admet Aïssa Grabsi. Une fois installés, la "colle" commence : pendant une heure, les étudiants planchent sur les QCM. Place ensuite à la correction où chacun est libre de participer. Résultat : seuls 12 étudiants jouent les prolongations. "Il y a ceux qui viennent juste pour s'entraîner et préfèrent réviser de leur côté et ceux qui assistent à toute 'l'écurie' pour qu'on puisse répondre à leurs questions... sachant qu'ils ont tous accès à la correction en ligne", explique Alexane. Silencieux au milieu de toutes les étudiantes, Nathan prend des notes. "Je pense que c'est bien de participer à la correction. Ça nous aide à mieux comprendre ce qu'attendra le prof au moment du concours', assure l'étudiant de 19 ans.

Comme les prépas privées, Médenpharmakiné s'appuie sur les cours de Pass délivrés à l'université. 'La première année, nous avons racheté les cours d'une étudiante, et désormais, ils sont réactualisés tous les ans par nos tuteurs. Ils vont assister aux cours de première année pour compléter", explique le responsable de la prépa. Les tuteurs construisent ensuite les QCM en fonction des annales des autres années, mais aussi de leur vécu. "On connaît mieux les attentes des profs et on peut anticiper ce qui est susceptible de tomber à l'examen, précise Baptiste. On essaie d'être au plus proche de la réalité." Et pour cette première "écurie" du semestre, il y a débat. "Non mais je ne comprends pas, c'est pas ce qu'il y a écrit dans le cours et ce n'est pas ce que le prof a dit!", avance Feriel. "Ah bon? Attends, réexplique doucement", s'interpose Nathan, près de l'estrade. "Mais si, c'est ce qu'il a dit, il faut juste le comprendre autrement", renchérit Ambryn, juste derrière. Les questions sur l'éthique soulèvent des discussions : rien ne sert de savoir qui a raison ou tort mais plutôt ce que l'enseignant à l'origine du cours a dans la tête. "C'est un peu de la philo, donc forcément les avis divergent", reprend Feriel, 18 ans. L'étudiante en Pass est connue pour sa participation. "J'ai ma propre connaissance du cours, je pense que c'est acquis... mais en fait, pas du tout !", s'exclame-t-elle.

 

"Quand on arrive, on est complètement démuni, on sent la compétition à la fac, alors qu'ici, il y a une sérénité, on croit en nous, on est valorisé"

Pour l'étudiante, qui envisageait depuis le collège de devenir kiné, la prépa ne faisait pas vraiment partie de ses plans. "Ma sœur aînée a fait une Paces sans prépa et a réussi à intégrer la maïeutique du premier coup. Pour moi, la prépa n'était pas une question. Mais plus les années avançaient et plus je réalisais les enjeux, raconte Feriel. J'ai été contactée par plusieurs prépas privées et j'ai entendu parler de cette prépa publique. Je m'y suis inscrite pendant la terminale." Si elle préfère se concentrer sur le bac, Feriel comprend que la prépa peut lui apporter à la fois un environnement de travail et un soutien. "On passe du lycée, où on est cocooné, à l'université, où on est juste des numéros. La prépa m'offrait une sécurité et un moyen de ne pas être seule." En Pass, l'étudiante voit nettement la différence. Plus que de lui apporter un entraînement quotidien au concours, la prépa lui a permis de reprendre confiance en elle. "Quand on arrive, on est complètement démuni, on sent la compétition à la fac, alors qu'ici, il y a une sérénité, on croit en nous, on est valorisé. J'avais besoin d'être rassurée, et désormais, je ne suis plus du tout la même personne qu'au lycée, je relativise beaucoup."

Pourtant, le premier semestre n'a pas été à la hauteur de ses ambitions. L'étudiante souhaite intégrer médecine et garde l'odontologie et la kiné en plan B. Mais son classement actuel ne lui permet pas d'accéder à une deuxième année de santé. "Ça a été un choc, j'étais au plus bas après les résultats. J'ai eu besoin d'être secouée par les tuteurs." Finalement, elle change complètement sa méthode de travail : pour ce second semestre, elle suit tous les cours de l'université. "Je suis remotivée, je pense que je peux gagner quelques places et j'espère aller à l'oral. Sinon, je vise une LAS 2", assure-t-elle.

 

Un soutien rassurant et reboostant

Pour les tuteurs, comme Alexane et Baptiste, déjà passés par ces phases de doute, le soutien psychologique apparaît essentiel. "On a tous une façon différente de les aider parce qu'on a tous une expérience différente de notre année", explique Alexane. L'étudiante a d'abord suivi une année de Pass puis de LAS 2 Sciences de la vie avant d'entrer en médecine. "Je connais les deux parcours et je sais qu'intégrer une filière peut se jouer à quelques places près. Alors, quand on voit le classement de certains, on leur dit qu'il ne faut pas abandonner, mais on leur dit aussi que ce ne sera pas possible d'y arriver. On ne veut pas leur donner de faux espoirs." Pour elle, sa mission est avant tout de maintenir les étudiants de première année dans le système : en faisant en sorte qu'ils poursuivent en LAS ou qu'ils se réorientent. "Moi, j'ai très vite pris le rôle du tuteur sévère, s'amuse Baptiste. Au premier semestre, les résultats n'étaient pas bons, on a fait une mise au point avec eux et j'ai été assez direct. Les autres tuteurs étaient là pour arrondir les angles. Je pense qu'il faut les deux pour que ça fonctionne parce que ça dépend vraiment des caractères de chacun. Les étudiants le savent et nous choisissent aussi comme référents pour ces raisons."

Pour Elwan, étudiant en première année de kiné, être tuteur, c'est aussi et surtout aider les étudiants à ne pas reproduire leurs erreurs. "Au début, on ne sait pas comment réviser, on se dit qu'on ne pourra jamais tout apprendre, mais il faut beaucoup de discipline et on est là pour leur montrer." Un avis partagé par Lina. Aujourd'hui en deuxième année d'odontologie, l'étudiante revient de loin. Après une année de Pass puis de LAS 2 psycho, elle n'était pas très disciplinée. Elle est devenue tutrice "pour rendre la pareille" à ceux qui en ont besoin. "J'ai moi-même bénéficié deux ans de cette prépa et je sais que si j'ai réussi, c'est grâce à mes deux tutrices, Chirac et Karima", sourit-elle. L'étudiante finit par être admise à l'oral lors de sa deuxième année, en LAS 2. "Mes tutrices ont été avec moi du début à la fin : elles se levaient avec moi tous les matins pour m'encourager et m'aider à travailler. Je me rappelle les avoir appelées en pleurs juste avant l'oral..." "Elle était pénible", rigole Chirac, en l'écoutant. "Mais maintenant, je n'hésite pas à dire à mes tutés s'ils vont dans le mur, l'enjeu est trop important, on n'a pas le temps de prendre des pincettes !", s'exclame Lina.

 

"Au début, je trouvais ça bizarre de payer 8000 euros pour des prépas privées et quasiment rien pour celle-ci"

Pour Feriel, l'accompagnement des tuteurs est un vrai plus. "Rien que la semaine dernière, j'étais à la BU et je ne comprenais rien à la bio cellulaire. J'ai demandé à ma tutrice, elle était en cours et elle me répond qu'elle me rejoint à 17h45 pour m'expliquer. Ça a duré cinq minutes, mais j'ai pu rentrer chez moi sereinement." Pour Aïssa Grabsi, cette entraide fait la force de la prépa. "Pendant cette première année, les étudiants grimpent l'Everest. C'est l'image que je leur donne en début d'année. Et pour y arriver, ils ont besoin de sherpas." À côté, la prépa dispose donc de psychiatres, psychologues et sophrologues. Des rendez-vous sont aussi organisés avec les parents. "On veut qu'ils comprennent qu'ils sont les premiers coachs et que, non, leur enfant n'a même pas le temps de faire la vaisselle", ajoute le responsable de la prépa. Autant de précautions qui ne sont pas toujours prises par les autres prépas. "Dans le privé, les parents sont là juste pour payer", admettent les étudiants. À Marseille, elles sont une dizaine à se faire concurrence. Au moins six sont répertoriées juste en face de la faculté de médecine, près de La Timone. "Quand j'ai commencé à me renseigner sur l'année de Pass, tout le monde me parlait de prépa", explique Nathan. Le bouche-à-oreille conduit l'étudiant à tester Médenpharmakiné en terminale puis pendant son année de Pass. "Au début, je trouvais ça bizarre de payer 8000 euros pour des prépas privées et quasiment rien pour celle-ci. Je me suis vraiment demandé pourquoi c'était moins cher alors qu'aujourd'hui, je ne vois plus de différence." En plus de la prépa du Sel de la vie, l'étudiant suit aussi le tutorat de l'université et s'est inscrit à une prépa privée en ligne pour s'exercer.

Pour Ambryn, au contraire, le choix d'une prépa privée ne s'est même pas posé. "Je n'ai même pas eu besoin de m'y intéresser... les prépas venaient à nous à la sortie du lycée alors que j'étais à Martigues!" Pour son année de Pass, l'étudiante doit donc déménager et payer son loyer. "Je n'avais pas les moyens de me payer une prépa et je trouve que dès qu'il y a de l'argent en jeu, ça met encore plus de pression pour réussir. Mais en même temps, je trouvais bizarre de ne rien payer. Si c'est gratuit... c'est louche!" Médenpharmakiné a finalement été un bon compromis pour l'étudiante. "J'ai fait une journée dans une prépa privée et j'ai bien compris que c'était pour l'argent, j'ai senti beaucoup de dédain, je n'ai jamais voulu y remettre les pieds." Des remarques qui n'étonnent pas les tuteurs : si près des trois quarts ont eux-mêmes bénéficié de la prépa quasi gratuite, ceux rencontrés avaient choisi une prépa privée pendant leur première année. "Je ne regrette pas mon choix, même si je trouve que la mission de celle-ci me ressemble davantage", plaide Alexane. "Avec le recul, je pense que je réfléchirais à deux fois avant de prendre une prépa...", poursuit Baptiste.

 

Une réussite à la hauteur des prépas privées?

En arrivant en première année d'études de santé, les étudiants sont, en effet, assaillis de chiffres. Avec 80% de réussite en LAS et 40% de réussite en Pass en 2024, la prépa n'a pas à rougir de ses résultats. Sur les sites des prépas privés, les taux affichés sont bien plus élevés et avoisinent les 90 ou 95% de réussite. Des chiffres impossibles à vérifier. "On sait qu'elles disent de nous que nous sommes bidon, mais nous avons des comptes à rendre parce que nous sommes une association, tout est publié", précise Aïssa Grabsi. Si Ambryn ne pense pas obtenir sa place en médecine cette année, elle espère intégrer une LAS 2 et poursuivre avec la prépa. "Si je n'y arrive pas, ce ne sera pas dû à la prépa : j'ai eu plusieurs problèmes personnels cette année, j'ai dû déménager trois fois depuis la rentrée et je pense aussi que je n'ai pas trouvé ma méthode de travail. Ce sont mes erreurs, pas celles de la prépa", tranche-t-elle.

Pour Aïssa Grabsi, sa réussite est ailleurs : "On a la même finalité que les autres prépas mais pas la même base. On travaille à niveler le terrain des inégalités: ici, beaucoup viennent des quartiers prioritaires de Marseille et souhaitent exercer dans ces quartiers populaires ensuite. On apporte une solution aux déserts médicaux." En cinq ans, l'association a réussi à convaincre les collectivités. "Nous avons le soutien financier et logistique de l'Europe, la région, le département, la préfecture, la métropole, la ville, la mairie du XVe-XVIe, de l'AP-HM et de l'hôpital Saint-Joseph et même de France Travail, de l'ARS et des missions locales." Au total, les subventions s'élèvent entre 20000 et 40000 euros. Et si en 2020, la prépa accueillait 12 étudiants, ils seront plus de 200 élèves de Pass, LAS et désormais lycéens à la rentrée 2025. Car comme les prépas privées, Médenpharmakiné poursuit son ascension et s'étend désormais à d'autres publics. Seule Aix-Marseille Université reste en retrait. "On a contacté pendant deux ans le doyen... aucune réponse." Une prépa resterait donc... une prépa aux yeux de certains.

En attendant, une autre "écurie" sociale et solidaire pourrait ouvrir prochainement ses portes dans les Hauts-de-France, accompagnée par Le Sel de la vie. 

11 débatteurs en ligne11 en ligne
Photo de profil de Sabine Mauge
12 points
Gériatrie
il y a 1 mois
Ce système de prépa « gratuite » existe déjà depuis des années à la faculté de Bordeaux avec le tutorat, 50€ de cotisation annuelle, des tuteurs qui font un travail colossal pour les tutorés
Photo de profil de Diego Delavega
352 points
Débatteur Renommé
Psychiatrie
il y a 1 mois
Comment faire semblant de révolutionner quelque chose qui existe depuis des décennies dans d'autres facultés : le tutorat! Qui m'a permis de réussir d'ailleurs. Il suffit de rajouter un zeste de bien
Photo de profil de Laurence C
994 points
Débatteur Passionné
Autre spécialité médicale
il y a 1 mois
Bravo ! Super ! ...si l'on met de côté le risque de recrutement communautariste qui est pourtant déjà évoqué dans l'article.
 
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