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"Dire qu'une IPA va remplacer un généraliste, c'est nier l'identité des deux métiers"

Attaques sur la liberté d'installation, montée en compétence des paramédicaux, incertitudes autour de la 4e année… Les médecins généralistes traversent une "crise d'identité". À l'approche du Congrès médecine générale France (CMGF), qui se tiendra du 27 au 29 mars à Paris, le Pr Paul Frappé, président du Collège de médecine générale, et le Dr Cyril Bègue, président du comité scientifique du congrès, font le point sur les enjeux auxquels la spécialité est confrontée. 

14/03/2025 Par Aveline Marques
Interview CMGF 2025
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Egora : Quels seront les temps forts de ce 18e congrès ?

Pr Paul Frappé : En ouverture, nous aurons Bernard Thellier, ancien négociateur du GIGN, qui interviendra sur la relation avec le patient. En clôture, le philosophe André Comte-Sponville évoquera le sens du métier, la santé, le bonheur…

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Dr Cyril Bègue : La présentation du référentiel métier du généraliste sera aussi un temps fort important. Pour ceux qui veulent faire le point sur leur pratique, nous proposerons des synthèses de recommandations sur le diabète, sur les troubles du neuro-développement, sur la santé mentale, et il y a des ateliers. On posera des questions sur le numérique, sur les soins non programmés, on abordera les perspectives du dépistage généralisé du cancer du poumon.  Il y aura un point sur l'application concrète de la 4e année de médecine générale sur le terrain, avec une session commune avec l'URPS.

Paul Frappé : On propose aussi un ciné-débat sur le don d'organes. On est là pour lancer des perches, en espérant que les généralistes s'en saisissent. On essaie de répondre aux attentes mais aussi de surprendre, de provoquer la curiosité. 

Paul Frappé (à gauche) et Cyril Bègue (à droite). Crédit photo : Aveline Marques

"Un médecin qui ne fait que du soin non programmé est-il encore un généraliste ?" 

Ce congrès sera donc l'occasion de présenter les travaux d'actualisation du référentiel métier du généraliste. En quoi ce travail était-il nécessaire ?

Paul Frappé : Plusieurs référentiels existaient, d'abord à l'international puis en France – portés par des syndicats comme MG France ou par le CNGE [Collège national des généralistes enseignants, NDLR]. Cette fois, on a une dimension collégiale et ça a représenté un gros travail.

L'objectif de ce référentiel est de se mettre au diapason par rapport aux évolutions du métier – qui s'est diversifié – et par rapport aux attentes de la société. La demande a évolué, en quantité comme en "qualité" : la population a vieilli, les habitudes de consommation de soins ont changé. Les sciences et les technologies ont également évolué et ça interpelle sur le métier. Beaucoup de questions ont émergé : un médecin qui fait 100% de téléconsultations est-il encore un généraliste ? Si on ne fait que du soin non programmé ? Si on travaille à 100% en PMI ?

Le référentiel va permettre d'affirmer certains points, de proposer des engagements. Il se veut utile pour tous les acteurs, aussi bien les institutions que les autres professions.

L'accès au médecin généraliste est un vrai sujet de société qui fait couler beaucoup d'encre. Les politiques sont amenés à prendre des décisions et on sent bien qu'il y en a qui n'ont pas dû voir leur généraliste depuis un certain temps… ou qui en ont une idée qui ne correspond pas à la réalité de la médecine générale en France. Il faut redire : voilà ce qu'est une offre de médecine générale pour la profession.

Cyril Bègue : Ces dernières années, il y a eu une crise d'identité du généraliste et ce référentiel y répond.

Paul Frappé : On l'a vu avec les négociations conventionnelles. Il ne s'agit pas seulement d'obtenir un meilleur revenu. La question derrière, c'est aussi : sur quoi on fait augmenter les revenus ? Sur quoi on met la valeur ? Qu'est-ce qui fait la valeur d'un généraliste ? Le référentiel est aussi là pour dire où se concentre la valeur, pour nous, dans notre métier. 

 

Des prises de position récentes ont remis en cause l'allongement des études de médecine, notamment la nécessité d'une 4e année de médecine générale. Quelle est votre position ?

Paul Frappé : La 4e année, ce n'est pas allonger pour allonger. Il faut rappeler que dans le premier rapport, il était proposé de supprimer une année dans le 1er ou le 2e cycle. Il s'agit de rendre les études plus pertinentes. Plutôt que d'apprendre aux futurs généralistes le cycle de Krebs, on aura des études plus professionnalisantes qui leur permettront de toucher un peu plus du doigt la réalité d'une installation.

Cyril Bègue : Le référentiel montre bien la complexité qu'a atteint le métier, cette année va leur permettre d'acquérir les compétences diverses et variées qu'on attend aujourd'hui d'un généraliste. 

 

Certains vont jusqu'à remettre en cause la nécessité de former toujours plus de généralistes, alors que le partage d'actes se développe et d'autres professions montent en compétence…

Paul Frappé : Présenter un métier comme le remplaçant d'un autre, c'est nier l'identité des deux métiers. C'est un non-sens que de dire qu'une IPA va remplacer un généraliste. De même que l'intelligence artificielle ne va pas remplacer le généraliste… C'est un outil que l'on va s'approprier.

L'IPA va faire certaines tâches que fait le généraliste et le généraliste va pouvoir faire des tâches qu'aujourd'hui il ne fait pas. Les métiers évoluent, mais ils ne remplacent pas les uns, les autres. Ou alors ça voudrait dire que les infirmières, les kinés, les pharmaciens ne servent à rien ! C'est un peu insultant.

Si on pousse ce raisonnement de comptoir, tous les métiers de santé doivent disparaître ! Les patients n'auront qu'à taper leurs symptômes sur internet pour avoir leur diagnostic et à commander leurs médicaments sur Amazon. C'est la négation du système de santé et du rôle de soignant. Il y a beaucoup de choses qui sont niées : le regard extérieur, l'expérience, la responsabilité qu'on endosse… 

Cyril Bègue : Prises séparément, les tâches peuvent paraître simples, mais il faut les considérer dans leur globalité. Et il y a aussi la question de la coordination, de comment on fait les choses ensemble. Exemple avec la vaccination : plusieurs professions peuvent la faire et malgré cela, les taux de vaccination ne se sont pas envolés. Chacun a sa place dans le système de santé, il n'y a pas de concurrence. 

 

 

L'Assemblée nationale a voté lundi 10 mars une proposition de loi visant à reconnaître le rôle des infirmières. Elle acte la consultation infirmière, consacre la notion de "diagnostic infirmier" et étend leur droit de prescription. Comment voyez-vous ces évolutions ?

Paul Frappé : L'idée derrière est bonne, mais il n'y a aucune visibilité et ça, c'est catastrophique. 

Les infirmières prescrivent déjà. Etendre leur champ de prescription ? Très bien. Après tout, les infirmières australiennes prescrivent autant qu'un généraliste en France… Quant au diagnostic, il s'agit souvent de diagnostics de situation. "Diagnostic", c'est un grand mot, certains pensent que c'est l'apanage des médecins. Il ne faut pas se leurrer. Le kiné fait un diagnostic kiné, le pharmacien un diagnostic pharmacien. Il n'y a pas de raison que l'infirmière ne fasse pas un diagnostic infirmier. Il n'y aucun souci pour leur reconnaître cette compétence.

Mais après, dans quel sens on va ? Comment se répartissent les rôles et les responsabilités ? On n'a pas les réponses !

Le soin, c'est quand même des parcours apaisés, en pluriprofessionnalité. Si on les fait évoluer en attisant les corporatismes et les oppositions, ça va être contre-productif.

Cyril Bègue : Les médecins sont prêts à avancer, mais il faut le faire de façon concertée. Si on n'explique pas ce qu'il y a derrière "diagnostic" et "prescription", on ne peut qu'alimenter les inquiétudes de chacun. 

Paul Frappé : Et celui qui perd à la sortie, c'est le patient. Reprenons l'exemple de la vaccination… Il n'y a pas mieux pour que chacun se renvoie la balle : "Ils l'ont voulu ? Je les laisse faire !" A la fin, chacun s'en défait et c'est la santé publique qui trinque. 

"J'attends de voir l'étudiant qui choisirait la médecine générale parce qu'il y a une année de son internat où il serait mieux payé" 

La rémunération des futurs docteurs juniors de médecine générale fait encore débat. Les doyens se sont encore récemment positionnés contre la rémunération à l'acte. Le CMG y est-il attaché ?

Cyril Bègue : Nous sommes attachés à des principes : une rémunération équitable, valorisante, qui évite les effets d'aubaine… Chacun donne son avis, mais il faut trouver une solution et rapidement : il va falloir trancher ! Les étudiants ne savent toujours pas dans quelles conditions ils feront cette 4e année, dans un an et demi. Et les départements de médecine générale ne savent toujours pas ce qu'ils doivent dire pour recruter des maitres de stage.

Paul Frappé : Si je voulais les taquiner, je dirais que cette 4e année a aussi le bénéfice de faire découvrir à certains doyens la réalité de la médecine de ville. Les universités doivent former à l'exercice tel qu'il est. On n'est pas obligés d'adopter une rémunération à l'acte complète, mais avoir une part variable, c'est quand même important.

Les doyens s'inquiètent du niveau de la rémunération qui en découlerait pour le docteur junior ambulatoire et d'un éventuel appel d'air… J'attends de voir l'étudiant qui choisirait la médecine générale parce qu'il y a une année de son internat où il serait mieux payé que les collègues des autres spécialités. Sur les montants, les simulations présentées dans le dernier rapport montrent qu'on est dans les fourchettes comparables à celle de l'hôpital, ce n'est pas le double, le triple ou le quadruple. Un docteur junior en médecine générale dans la fourchette basse [10 actes par jour, NDLR] gagnera moins qu'un docteur junior hospitalier. Dans la fourchette haute [25 actes par jour], il gagnera plus. Mais ce n'est pas extravagant… Tout le monde peut être rassuré. Et cette notion de part variable existe déjà à l'hôpital : plus on fait de gardes, plus on est payé.  

 

Les étudiants s'inquiètent du manque d'encadrement de cette 4e année. Quelles sont les lignes rouges ?

Paul Frappé : Je pense qu'on peut très vite arriver à trouver les encadrants. Ce n'est pas comme accueillir un externe ou un interne de niveau 1 ; les docteurs juniors auront déjà fait un certain nombre de stages en ville. Maintenant, pour pouvoir recruter, il faut qu'on sache quelles conditions seront proposées. C'est ça, l'urgence.

L'idée est que ce ne soit pas à perte pour le maitre de stage, mais pas non plus que ça s'envole…

Cyril Bègue : Ils ont besoin de comprendre. Si, par exemple, le médecin loue un bureau supplémentaire pour accueillir le docteur junior, quel est le niveau de rémunération qui va lui permettre de financer ça ? Qu'est-ce qui se passe si au bout d'un an, il n'a plus de docteur junior ? Il faut plusieurs années pour amortir du mobilier, les logiciels…

Il faut éviter les effets d'aubaine, mais il faut quand même valoriser la fonction pédagogique, valoriser cette fonction d'encadrement. Ça doit être une vraie 4e année encadrée, il n'est pas question de les lâcher dans un désert. Pour cela, il nous faut des moyens et de la visibilité. 

 

Je vous pose la question chaque année… Où en est-on de la certification ?

Paul Frappé : On attend que le référentiel paraisse. On l'a confié il y a plus d'un an à la DGOS, qui nous a déjà fait un retour. L'instabilité ministérielle n'a sans doute pas aidé…

Au niveau de la commission professionnelle des médecins, il y a quand même une volonté d'avancer en bonne intelligence pour clarifier les rôles entre ordre et CNP.

Petite avancée, dans ce référentiel il y a les formations reconnues pour la certification. Il y a bien sûr les formations DPC, mais également des DU. On va publier une première liste. Il y en a des milliers donc c'est compliqué de faire le tri, et ça bouge beaucoup. On aura un moteur de recherche avec l'ensemble des DU de France, on pourra consulter leur programme et voir spontanément ceux que le collège estime pertinents pour la médecine générale. 

 

Du fait des difficultés d'accès au deuxième recours, des généralistes se forment à la dermatologie, à l'échographie, à l'interprétation des ECG… Soutenez-vous ces formations "express" qui peuvent être critiquées par les syndicats de spécialité ?

Paul Frappé : Il faut les rassurer. Un généraliste qui fait de la dermatologie ne sera jamais dermatologue… ou alors c'est qu'il ne fait plus de médecine générale. Avoir des compétences en dermatologie "de tous les jours", ça peut quand même éviter des adressages inutiles, et de les prioriser. 

Le référentiel va permettre d'affirmer que le généraliste répond à tous les motifs de consultation. On ne défend pas l'idée de créer des mini-spécialistes qu'on rassemblerait dans une maison de santé : un MG orienté cardio, un autre orienté gériatrie ou pédiatrie, etc. Ça, c'est une négation de la médecine générale.

Cyril Bègue : L'objectif quand on se forme 48 heures sur la dermato ou sur l'ECG, ce n'est pas de devenir dermatologue ou cardiologue. Ces formations "complémentaires" - rappelons que les généralistes sont déjà formés - visent à renforcer nos compétences, améliorer nos prises en charge, affiner nos diagnostics pour permettre d'adresser les patients qui en ont besoin. Les outils numériques y participent : un généraliste qui s'équipe d'un dermatoscope numérique va pouvoir faire une photo plus précise de la lésion qu'il adressera au dermatologue.

Ces deux spécialités sont overbookées… Et ils le disent : aujourd'hui ils ont des patients qui ne nécessitent pas leur expertise. Un patient qui a une acné, il faut qu'il soit géré par le généraliste. Il ne s'agit pas de remplacer, mais d'optimiser les prises en charge de chacun. 

 

Dans une session "controverse" [samedi 29 mars, à 9 heures], vous poserez la question : "Le médecin généraliste est-il le plus malheureux"? Globalement, médecin généraliste, c'est une bonne ou une mauvaise situation en 2025 ?

Cyril Bègue : L'idée nous vient de Marguerite Cazeneuve [numéro 2 de la Cnam, NDLR] qui, à deux reprises, a dit qu'il faut qu'on arrête de se plaindre car ce n'est pas attractif. On a voulu creuser. Il y a du vrai : effectivement, il faut qu'on puisse donner envie, mais pour ça, il faut que notre métier soit enviable. Personnellement, ce qui m'anime, c'est le lien avec les patients. Mais on voit bien que toutes ces incertitudes sur l'avenir, ces différences de rémunération entre spécialités, les attaques portées par les propositions de loi - qui concernent surtout les généralistes - pèsent. Pour donner envie, je crois qu'on a aussi besoin de lisibilité, pour savoir vers quoi on projette nos étudiants. 

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Débatteur Passionné
Médecine générale
il y a 1 mois
"un médecin qui fait 100% de téléconsultations est-il encore un généraliste ? Si on ne fait que du soin non programmé ?" Et n'oublions pas d'étendre la question au médecin qui ne fait que du "soin pr
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326 points
Médecine générale
il y a 1 mois
Les infirmiers de pratique avancée font un bon travail en oncologie.  Leur rôle est amené à se développer dans les années à venir, en réponse à l’augmentation du nombre de patients atteints de ca
Photo de profil de B M
5,3 k points
Débatteur Passionné
Médecine générale
il y a 1 mois
Encore un article-provoc. Les couteuses IPA de ville spécialistes des gens qui vont bien, remplaceraient les généralistes pas couteux.... Et les IPA néphro? vont remplacer le néphro. Les IPA cardio?
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