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"Il m'a montré ce qui lui prenait du temps" : la numéro 2 de l'Assurance maladie raconte son après-midi aux côtés d'un généraliste

Après avoir suivi une infirmière libérale en tournée cet été, Marguerite Cazeneuve, directrice déléguée à la gestion et à l'organisation des soins à la Caisse nationale de l'Assurance maladie (Cnam), a passé une demi-journée au cabinet du Dr Bruno Sauteron, généraliste à Paris, en pleine épidémie de grippe. Elle raconte, en exclusivité pour Egora, cette expérience "enrichissante".

27/02/2025 Par Louise Claereboudt
Assurance maladie / Mutuelles
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Tout est parti d'une invitation lancée sur les réseaux sociaux. L'été dernier, Marguerite Cazeneuve, numéro 2 de la Caisse nationale de l'Assurance maladie (Cnam), a suivi Janis, une infirmière libérale, durant toute une tournée, et en a fait le récit sur LinkedIn. Le Dr Bruno Sauteron, généraliste dans le 14e arrondissement de Paris, saute sur l'occasion. "Je vous propose la même chose (passer une journée de consultation avec un MG et avec l’accord des patients bien sûr) à mon retour de vacances ?", écrit-il en commentaire du post de la directrice déléguée à la gestion et à l'organisation des soins à la Cnam.

Infirmier de formation, il est retourné sur les bancs de la fac il y a un peu plus de vingt ans pour entamer des études de médecine. Aujourd'hui muni d'un stéthoscope, il s'efforce de défendre sa profession, et de comprendre le système de santé dans son ensemble. Marguerite Cazeneuve accepte naturellement sa proposition d'immersion dans son cabinet. "Cet exercice qui consiste à aller voir les professionnels de santé pour qu'ils nous racontent leur quotidien, c'est quelque chose que nous faisons beaucoup avec Thomas Fatôme [directeur général de la Cnam]. On parle régulièrement avec leurs représentants syndicaux, mais on fait aussi beaucoup de déplacements. Dès qu'on se rend dans un département pour visiter une CPAM, on organise des échanges à bâtons rompus avec des médecins de terrain", explique-t-elle.

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"Mais l'étape d'après, de prendre le temps de se poser avec un professionnel pour le regarder travailler, apporte des choses en plus ; ça rend concrets certains problèmes qui nous sont remontés à l'Assurance maladie, poursuit la haute fonctionnaire, précisant que ça n'est pas seulement important "pour la crédibilité" de l'institution. J'avais adoré me rendre en pharmacie auprès d’Agnès Leygue Mauroux ou suivre Janis Francazal, infirmière libérale. Mais il faut pouvoir dégager du temps : on ne peut pas le faire tout le temps." Contraintes de calendrier obligent, la date est fixée au mercredi 15 janvier. En pleine épidémie de grippe.

 

"Ce qui se passe entre un professionnel et son patient, on ne peut le comprendre qu'en assistant à ce dialogue"

"C'était super enrichissant parce que son cabinet est situé dans une partie assez populaire de Paris, il a donc une patientèle très variée", relate Marguerite Cazeneuve, qui est restée "trois heures environ" aux côtés du généraliste et a pu assister "à sept ou huit consultations", très différentes les unes des autres ; "du petit garçon venu se faire vacciner avec son papa à la personne très âgée". "J'étais assise dans un petit coin derrière le bureau du Dr Sauteron. A chaque fois, il leur demandait leur autorisation pour que je puisse être présente. Et dès qu'il y avait un examen clinique je me tournais. Je ne suis jamais intervenue durant la consultation. Au bout de quelques instants, le patient m'avait oubliée."

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Crédit : Marguerite Cazeneuve

Marguerite Cazeneuve raconte avoir été "frappée" par une patiente, "qui a déménagé mais ne veut surtout pas être lâchée et revient exprès à Paris pour voir le Dr Sauteron". Elle souffrait d'une infection urinaire. "En sachant qu'elle s'était déplacée pour le voir, le docteur l'a prise sur le tard. J'ai pu voir le test Trod fait en direct dans le cabinet", explique la directrice déléguée de la Cnam. "J'ai trouvé que c'était un médecin très attentionné. Et il y avait une vraie confiance de la part des patients", souligne la numéro 2 de la Cnam, ravie de pouvoir prendre la mesure de ce colloque singulier. "Ce qui se passe entre un professionnel et son patient, on ne peut le comprendre qu'en assistant à ce dialogue."

Si les consultations se sont enchaînées, Marguerite Cazeneuve a pu constater le "réel accompagnement" par le généraliste. "A chaque fois, il y avait une vraie intention de développer la prévention, au-delà de l'acte médical seul. Par exemple pour le petit garçon venu se faire vacciner, le médecin l'a pesé et a constaté qu'il était un peu en dessous des courbes de poids. Son papa est reparti avec des recommandations sur les repas. Pareil pour une jeune fille venue pour un certificat médical : on peut se dire que c'est un peu le rendez-vous 'inutile', mais ça a permis au médecin de lui poser des questions. Elle est repartie avec une prescription d'examen de biologie parce qu'elle était anormalement fatiguée."

La numéro 2 de la Cnam a aussi pu voir en direct l'intérêt des relations avec l'Assurance maladie. "Le Dr Sauteron a reçu une patiente complexe avec plusieurs pathologies chroniques. Il a passé au moins 30 minutes avec elle. Il y a d'abord eu l'examen clinique, puis la recherche de tous les historiques, où elle en était dans ses pathologies. Cette dame avait un sujet administratif pour son ALD. L'hôpital où elle avait été prise en charge dernièrement avait fait une demande d'ALD pour qu'elle puisse avoir accès à un traitement. Mais cette demande a été refusée. Le généraliste, en tant que médecin traitant, a refait la demande devant moi en écrivant au service médical depuis Ameli pro", raconte-t-elle. Bruno Sauteron lui écrira plus tard pour lui dire que la demande a finalement été acceptée.

Durant l'après-midi, la haute fonctionnaire a aussi été confrontée à une situation que l'Assurance maladie s'est donnée pour mission de régulariser. Le Dr Sauteron a en effet reçu une patiente ne faisant pas partie de sa patientèle médecin traitant. Marguerite Cazeneuve le comprend au fil de l'entretien et une fois celui-ci terminé, demande au généraliste pourquoi il ne l'a pas intégrée dans sa patientèle. "Il m'a expliqué qu'il ne voulait pas faire de forcing auprès des patients, qu'il considérait que cela relevait du libre choix du patient… Que s'il le revoyait toutefois, il pourrait alors lui poser la question. J'ai trouvé cette démarche assez éthique."

Les "galères" des médecins généralistes

Cette immersion a aussi été l'occasion pour la numéro 2 de la Cnam de comprendre les difficultés auxquelles sont confrontés les généralistes dans leur quotidien. Le Dr Sauteron avait laissé des "trous" entre ses consultations pour pouvoir débriefer. "Il avait pas mal de questions sur l'ergonomie d'Ameli pro. Il m'a aussi montré dans son logiciel ce qui lui prenait du temps. On a regardé comment aller dans le DMP pour retrouver un résultat de biologie d'une patiente. Ce n'était pas très lisible", reconnaît Marguerite Cazeneuve. "La vague 2 du Ségur du numérique en santé est faite pour que le DMP soit beaucoup plus ergonomique en lecture pour le médecin. J'ai mesuré l'intérêt pour le professionnel."

"Comme tout médecin traitant, le Dr Sauteron est très attentif au temps qui peut être gagné", il était aussi "intéressé par tout ce qu'on allait pouvoir faire dans le cadre du nouveau forfait médecin traitant en 2026", poursuit Marguerite Cazeneuve. L'Assurance maladie met au point un service qui permettra aux médecins d'avoir accès aux indicateurs sur leurs patients durant la consultation : est-il vacciné ? a-t-il fait ses dépistages ? "L'Assurance maladie nous envoie déjà des listing de patients non vaccinés. Mais tel quel c'est difficilement exploitable. Vous ne pouvez pas les rappeler un par un derrière…", précise le Dr Sauteron. "Aujourd'hui les médecins n'ont pas le temps de refaire tout l'historique avec le patient. Sans une fiche récap, c'est difficile de savoir…", abonde la haute fonctionnaire, pour qui cette nouvelle convention "fait vraiment le pari à 100% des médecins traitants". "On a renforcé la place du médecin traitant, ce qui est cohérent avec le fait de ne plus avoir de patients en ALD sans médecin traitant. C'est là où on a un pari collectif à jouer. Il faut que ça marche", insiste Marguerite Cazeneuve, se disant "confiante".

Le généraliste lui a aussi fait part des autres "galères que peuvent rencontrer pas mal de médecins" : des locaux trop petits pour accueillir un assistant médical, les bugs informatiques, la paperasse administrative… Autant de choses qui "nous sont remontées à l'Assurance maladie". "Comme tous les professionnels, les médecins ont des revendications qui sont légitimes. Mais il y a des choses qui ne sont pas liées à l'Assurance maladie : quand le logiciel métier ne fonctionne pas, ce n'est pas la faute de l'Assurance maladie, insiste Marguerite Cazeneuve. Mais cela alourdit la charge mentale du médecin, et on est un peu le déversoir de tout ça. C'est notre boulot de faire en sorte de ne pas en rajouter."

"C'était super intéressant", conclut la numéro 2 de la Cnam, qui a aussi suivi plus récemment des infirmières de prestataires à domicile, et aimerait faire de même "avec tous les professionnels avec lesquels on conventionne".

 

"Un partenariat plutôt qu'un affrontement"

Bruno Sauteron ressort lui aussi très satisfait de cette expérience : "Je n'avais surtout pas envie que ça se transforme en séance de renégociation conventionnelle. C'était surtout une prise de contact. Aujourd'hui, on est dans une relation étatisée. L'Assurance maladie assure un peu la tutelle [de l'Etat], et on devient d'une certaine façon des employés, des ouvriers du soin. Le système français a du mal à promouvoir les acteurs de terrain pour les faire accéder à des postes de responsabilités, et ceux qui sont en responsabilités ont généralement suivi des études d'excellence. Il peut y avoir une connaissance du terrain finalement assez limitée. L'idée, c'était d'ouvrir une perspective de relation différente de celle, un peu conflictuelle, qu'on a depuis ces dernières années, notamment depuis la négociation conventionnelle. Une perspective de partenariat plutôt que d'affrontement."

"Par définition, la négociation met en face deux parties prenantes qui ne défendent pas exactement les mêmes intérêts. Ce sont toujours des discussions un peu tendues. Après on a des jouxtes avec les syndicats, mais dans la réalité ça se passe très bien", assure Marguerite Cazeneuve. "On est dans le même bateau, on se doit d'améliorer la santé des patients. Après, comme on est aussi le contrôleur, le payeur et le régulateur, il y a une partie de notre action qui n'est pas agréable. Mais les médecins savent aussi que l'on développe de super services, que les agents de l'Assurance maladie sur le terrain les aident dans leurs projets, à construire des MSP…"

Pour le généraliste parisien, cet échange est un "premier pas" positif. "Ça me semble important que ceux qui décident sachent comment on travaille et quels sont les points de blocage, de manière à avoir des décisions qui tiennent compte de cette réalité." Et inversement… souligne-t-il. En master Gestion et politiques de santé à Sciences Po, Bruno Sauteron aimerait à son tour faire une immersion à la Cnam. 

Photo de profil de Marc Jouffroy
488 points
Débatteur Renommé
Médecine générale
il y a 29 jours
Une énorme demi-journée, sept patients ? Waouh ! Quel effort de la part d'une technocrate désoeuvrée, surpayée, bourrée de convictions pré-établies, qui ne changera pas un iota à la politique de la sé
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il y a 1 mois
Et que penser de l’Assurance maladie qui se désengage des centres de santé en secteur 1 ? L’assurance maladie a osé faire un audit strictement financier du centre Stalingrad à Paris, pour constater
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il y a 1 mois
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