Ce qui se cache derrière les pénuries de médicaments

03/10/2018 Par Aveline Marques
Médicaments

Le phénomène n'est pas nouveau mais il ne cesse de prendre de l'ampleur. Interpellés par la multiplication des pénuries de médicaments et vaccins essentiels, aux conséquences parfois dramatiques pour les patients, une mission d'information du Sénat vient de rendre public un rapport alarmant sur la perte d'indépendance sanitaire de la France. Parmi leurs 30 propositions, dont certaines pourraient faire l'objet d'amendements au PLFSS 2019, figure la possibilité pour les pharmaciens de substituer des médicaments sans demander l'avis du médecin.

  Amoxicilline, Di-Hydan, vaccin contre l'hépatite B, ou plus récemment Valsartan et Sinemet… Les ruptures et tensions d'approvisionnement de médicaments se sont multipliées ces dernières années. Le nombre de signalements effectués par l'ANSM, concernant les seuls médicaments d'intérêt thérapeutique majeur, a ainsi été décuplé entre 2008 et 2014, pour atteindre 438. En 2017, un nouveau record de 530 signalements a été atteint. Et le Brexit risque d'allonger encore la liste : pas moins de 108 médicaments sont en effet importés du Royaume-Uni.   Problème grave   Mais au-delà de cette hausse quantitative, la "nature" même des produits concernés  apparaît comme "particulièrement préoccupante", souligne dans son rapport la mission d'information du Sénat sur les pénuries de médicaments et de vaccins : anti-cancéreux, anti-infectieux, anesthésiants, médicaments du système nerveux central,  médicaments dérivés du sang et vaccins sont les produits les plus touchés. Les produits indispensables ou de niche thérapeutique, pour lesquels il n'est pas toujours possible de mettre en place une alternative, ne sont pas les seuls concernés. Les pénuries affectent également les médicaments d'usage quotidien. "Je ne soupçonnais pas que le problème soit aussi grave que nous l'avons découvert", confesse Jean-Pierre Decool, sénateur du Nord (groupe Les Indépendants), et rapporteur de la mission. Si la situation est grave, c'est parce que ces "pénuries" (ruptures de stock ou tensions d'approvisionnement, voir encadré) peuvent entraîner des pertes de chance pour les patients, avec des situations "potentiellement dramatiques en oncologie". "Il est possible que des pertes de chances, des progressions, des effets indésirables, voire des décès soient aujourd'hui liés directement ou indirectement à ces tensions ou ruptures", alerte l'INCa. D'après le Dr Yann Neuzillet, chirurgien urologue à l'hôpital Foch de Suresnes auditionné par la mission, la pénurie de BCG (arrêt de production du BCG ImmuCyst par Sanofi, remplacé par des bio-équivalents) a ainsi été associée à une "augmentation du nombre d'interventions justifiées par des récidives de tumeur de vessie et à leur progression au stade infiltrant le muscle vésical". De même, le protocole modifié de traitement de la maladie de Hodgkin, recourant au cyclophosphamide, affiche une probabilité de survie sans événement à deux ans inférieure à celle du traitement usuel à la méchloréthamine, en rupture de stock (75% contre 88%). Les associations de patient alertent par ailleurs sur les "bricolages" de posologie potentiellement dangereux auxquels peuvent se livrer des patients démunis face à une situation de pénurie. Sans compter le temps consacré pour les professionnels, pharmaciens en tête, à gérer les pénuries : pas moins de 16 équivalents temps plein par semaine y sont consacrés à l'AP-HP. Quant aux pénuries de vaccins (26 en 2017), elles remettent en cause "la fragile adhésion à la stratégie vaccinale", pointe Jean-Pierre Decool, et alimentent encore la défiance vis-à-vis de l'industrie pharmaceutique.   Délocalisations   A qui la faute ? "Les responsabilités sont partagées", constate prudemment le rapporteur, qui pointe la "fragilité" des chaines de production des médicaments, largement délocalisées en Asie, où les coûts de production sont réduits et les exigences réglementaires moindres : en 2017, 80% des fabricants de substances pharmaceutiques actives utilisées pour des médicaments disponibles en Europe étaient situés en dehors de l'Union européenne, contre 20% il y a 30 ans. Le rapport souligne d'ailleurs le "décrochage" de la France en la matière, régulièrement pointé par le Leem : 170 sites de production de médicaments étaient recensés sur le territoire national en 2015, contre 224 en 2013, soit une baisse de 24%. Seuls 22% des principaux médicaments remboursés en ville sont produits en France, détaille le Leem, qui souligne par ailleurs le manque d'attractivité du marché français. En cas de tensions d'approvisionnement, les entreprises pharmaceutiques auront tendance à privilégier les pays où les prix des médicaments sont les plus rémunérateurs ou les pays émergents. La concentration des capacités de production, la production de masse à flux tendu, la raréfaction des fabricants de substances pharmaceutiques actives sont autant de failles pointées par le rapport. Avec les résultats que l'on connaît : le défaut de qualité d'un site chinois de fabrication du principe actif utilisé dans certaines spécialités à base de valsartan a conduit 9 laboratoires à rappeler des lots, occasionnant des tensions d'approvisionnement.   Réserves stratégique   Pour "recréer les conditions d'une production pharmaceutique de proximité", notamment de médicaments et de substances essentiels, les sénateurs appellent à la mise en place d'un "programme public de production et de distribution de quelques médicaments essentiels", afin de constituer "des réserves stratégiques", à l'image de la Suisse ou des Etats-Unis. La production pourrait être confiée à la pharmacie des armées. La mission plaide également pour l'instauration d'exonérations fiscales et d'aides à l'embauche pour les industriels qui s'engagent à investir dans l'implantation en France de sites de production. Pour Jean-Pierre Decool, il faudrait également pouvoir augmenter le prix de certains médicaments anciens mais néanmoins utiles, dont la production risque d'être arrêtée faute de rentabilité suffisante, à l'instar d'Extencilline par Sanofi en 2013. Tout en se gardant bien de trop stigmatiser les labos, les sénateurs se désolent en effet de voir les contraintes de rentabilité financière prendre le pas sur "l'éthique de santé publique". Les exportations parallèles et la pratique des quotas imposés par certains laboratoires, qui pourraient être à l'origine d'une partie des pénuries, doivent être sanctionnées financièrement, insistent-ils. Pour plus de transparence, la mission souhaite rendre public sur le site de l'ANSM, pour chaque entreprise, l'historique des ruptures de médicaments et les plans de gestion des pénurie mis en œuvre.   Indépendance sanitaire   Pour faciliter la gestion au quotidien de ces pénuries, les sénateurs préconisent enfin d'autoriser, à titre expérimental, la rétrocession de stocks entre officines et de permettre aux pharmaciens, comme au Québec, de substituer les médicaments concernés sans avoir à recueillir l'accord préalable du médecin. "Les médecins ne sont pas toujours joignables", argumente Jean-Pierre Decool. Mais le véritable enjeu reste pour les membres de la mission de restaurer l'indépendance sanitaire de la France. Et de reprendre les propos de François Caire-Maurisier, pharmacien en chef de la pharmacie centrale des armées : "La France est aujourd'hui, dans un des domaines de contremesures contre le risque nucléaire et radiologique, dépendante d'un laboratoire étranger. Nous ne devons pas rester dépendants de laboratoires étrangers car, en cas de tensions, nous serons servis en derniers."  

Ruptures

Le terme générique de "pénuries" de médicaments, largement repris par les médias et le grand public, recouvre deux types de situation bien définies :
-la rupture de  stock est l'impossibilité pour un laboratoire de fabriquer ou d'exploiter (non-conformité aux exigences de qualité) un médicament ou un vaccin.
-la rupture d'approvisionnement est définie comme l'incapacité pour une pharmacie d'officine ou une pharmacie hospitalière de dispenser un médicament à un patient dans un délai de 72 heures après avoir effectué une demande auprès de deux distributeurs.

Faut-il mettre fin à la possibilité pour un médecin retraité de prescrire pour lui-même ou pour ses proches ?

Albert Dezetter

Albert Dezetter

Non

A partir du moment où il entretient ses capacités professionnelles, le médecin âgé conservera sa capacité à prescrire pour lui-mêm... Lire plus

0 commentaire
2 débatteurs en ligne2 en ligne





 
Vignette
Vignette

La sélection de la rédaction

Enquête Hôpital
Pourquoi le statut de PU-PH ne fait plus rêver les médecins
14/11/2024
9
Concours pluripro
CPTS
Les CPTS, un "échec" à 1,5 milliard d'euros, calcule un syndicat de médecins dans un rapport à charge
27/11/2024
10
Podcast Histoire
"Elle aurait fait marcher un régiment" : écoutez l’histoire de Nicole Girard-Mangin, seule médecin française...
11/11/2024
0
Histoire
Un médecin dans les entrailles de Paris : l'étude inédite de Philippe Charlier dans les Catacombes
12/07/2024
1
Portrait
"On a parfois l’impression d’être moins écoutés que les étudiants en médecine" : les confidences du Doyen des...
23/10/2024
6
La Revue du Praticien
Addictologie
Effets de l’alcool sur la santé : le vrai du faux !
20/06/2024
2