Pénurie de médicaments indispensables : il y a urgence, pour l’Académie de pharmacie
Alors que le Sénat vient de créer une mission d’information sur la pénurie de médicaments et de vaccins, dont les premières auditions ont lieu les 5 et 6 juillet, l’Académie nationale de pharmacie réclame des mesures d’urgence, pour atténuer immédiatement le phénomène de rupture. Ces mesures s’ajoutent à d’autres, envisagées à plus long terme pour les prévenir.
L’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (Ansm) a en effet observé une hausse inédite de 30 % du nombre de médicaments d’intérêt thérapeutique majeur en rupture de stock ou en tensions d’approvisionnement en 2017, dans les officines et à l’hôpital. Et "malgré des mesures législatives, réglementaires et professionnelles pour mieux informer les pharmaciens et les patients de ces ruptures d’approvisionnement et la mise en place effective de plans de gestion de pénurie (PGP) pour les médicaments d’intérêt thérapeutique majeur (Mit), début 2017, on constate au niveau français, comme au niveau européen, une dégradation plutôt qu’une amélioration de la disponibilité́ de médicaments, notamment les anticancéreux, les antibiotiques et les vaccins, couvrant des aires thérapeutiques essentielles" souligne l’Académie de pharmacie, qui vient de publier un rapport assorti de recommandations sur ce sujet. Une multiplication des risques Les causes sont multiples, d’ordre économique, industrielle et réglementaire. Ainsi, pour certains médicaments anciens, les prix n’ont pas été actualisés et les marges sont trop faibles pour que les industriels investissent dans les structures de production. Le différentiel de prix entre les Etats européens est aussi souvent un handicap pour la France. En outre, au niveau hospitalier, les appels d’offres peuvent induire une situation de mono-source. Par ailleurs, "la mondialisation a bouleversé le circuit du médicament" affirme l’Académie de pharmacie : délocalisation souvent vers l’Asie, complexification de la chaine logistique, centres de décisions éloignés de l’Europe…, augmentent les délais et les risques dans la chaine de production. Enfin, "Les normes BPF (bonnes pratiques de fabrication) et réglementaires (sans compter les normes environnementales) sont en constante augmentation depuis 20 ans" constate l’Académie. S’y ajoutent une complexification des traitements administratifs post-autorisation de mise sur le marché (AMM) sans coordination entre Etats. Au final, chaque modification du dossier d’AMM peut prendre "jusqu’à cinq ans jusqu’à la dernière approbation (exemple des vaccins)" affirme le rapport. Pour les auteurs, "la commercialisation des médicaments anciens à bas prix s’avère progressivement impossible, en dépit de leur intérêt thérapeutique évident". Il faut trouver les moyens, de façon concertée, de sortir de ce cercle vicieux pour assurer la mise à disposition régulière et sans faille de ces molécules reconnues comme essentielles par les praticiens notamment en cancérologie, pour les maladies infectieuses et pour les vaccins, et dont le gouvernement, à juste titre, souligne régulièrement l’importance pour la population. Des solutions organisationnelles, économiques et réglementaires Dans ce contexte, l’Académie de pharmacie propose tout d’abord des mesures d’urgence, qui concernent les aspects de gouvernance, économique et réglementaire. Elle souhaite la désignation d’un coordonnateur chargé de mettre en place en place un "groupe élargi" (constitué des représentants des administrations et agences concernées, de l’industrie, des pharmaciens hospitaliers et officinaux, et des académies), de recenser les "médicaments indispensables", et de définir le plan d’action pour chaque produit identifié. Ils prônent une révision du prix, lorsque cela est le facteur limitant, et la révision urgente des conditions d’appels d’offres en : encourageant la multiplicité des fournisseurs, et en imposant des quantités contractuelles prévisionnelles. Sur le plan réglementaire, il apparait important de respecter les délais d’enregistrement réglementaires (AMM et variations d’AMM), et de prévoir un système d’accompagnement et de dialogue avec les industriels, "sur un mode de flexibilité réglementaire à l’instar de ce qui a été mis en place par les États-Unis en 2013" précise le texte. Concernant les mesures de prévention à moyen et à long terme, les académiciens souhaitent la création d’un comité stratégique au niveau de la Commission européenne, visant, en particulier à limiter les effets de « dumping » entre les États membres. Ils veulent par ailleurs "créer les conditions d’une relocalisation de la synthèse des substances actives […] en Europe, pour atteindre, par paliers, une indépendance de l’Europe […] pour les "médicaments indispensables"". Il s’agit par exemple de créer une taxe à l’importation en Europe des substances actives fabriquées hors Europe ; de développer un crédit d’impôt-production pour encourager la relocalisation de l’outil industriel pour les matières actives et les formes pharmaceutiques injectables ; d’encourager la recherche française et européenne ; et de promouvoir l’harmonisation des formes et des formules pharmaceutiques au niveau européen pour les "médicaments indispensables" identifiés. En outre, les experts prônent une plus grande implication de la Commission européenne et de l’agence européenne du médicament (EMA) "dans une démarche d’harmonisation internationale" et de "faciliter les démarches des industriels visant à la convergence des conditionnements primaires et des notices des médicaments anciens au travers de l’Europe". Vaccins : harmoniser et anticiper Enfin, concernant le cas particulier des vaccins, les académiciens encouragent à réduire "au strict nécessaire" les contrôles de libération lot par lot réalisés par les autorités réglementaires ; informer l’industrie le plus en amont possible des changements de recommandation vaccinale (calendrier et obligations) ; rechercher une harmonisation des calendriers européens des vaccinations ; et harmoniser le plus possible les conditionnements et les notices.
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