Déconfinement : ces patients qui ne viennent plus vous consulter

13/06/2020 Par Marielle Ammouche
Santé publique
Les médecins alertent sur la véritable "bombe à retardement" que constitue le déficit voire la rupture de soins des patients atteints de maladies chroniques depuis le début de la crise du Covid-19, qui a persisté en partie malgré le déconfinement. Ils se mobilisent autour d’une campagne de communication : #revoirsonmédecin.

Depuis le début du déconfinement, de nombreux praticiens, généralistes et spécialistes alertent sur un risque de déficit de recours aux soins voire de rupture de soins des patients chroniques. Le confinement a, en effet, bouleversé le suivi de ces patients, au nombre de 20 millions en France (dont 15 millions de patients cardio-métaboliques). Avec des conséquences majeures dans les semaines et mois à venir, et le risque de voir apparaître un regain de morbidité et une surmortalité, comme le suggère une étude récente réalisée en Ile-de-France (The Lancet Public Health, 27 mai 2020). Ses auteurs établissent, en effet, qu’au pic de l’épidémie, l’incidence des arrêts cardiaques a doublé par rapport à ce qui était observé à la même période les années précédentes. Cette surmortalité serait directement liée au Covid dans un tiers des cas, mais les autres deux tiers correspondraient à des « décès collatéraux », par manque d’accès rapide aux soins adaptés. Pour le Pr Jean-François Thébaut, Vice-président de la Fédération Française des Diabétiques (FFD), il existe un risque de «troisième vague». Pour bénéficier de données plus précises, la FFD et ses quatre partenaires, Alliance du Coeur, le Collectif National des personnes atteintes d’Obésité (CNAO), la Fondation pour la recherche sur l’HTA (FRHTA) et la Société Française de Santé Digitale (SFSD) ont fait réaliser un sondage par l’Institut B3TSI, qui a porté sur 2.400 personnes touchées par une maladie chronique en France (du 29 mai au 8 juin 2020) au niveau national et régional.

Les résultats confirment les craintes puisqu’ils mettent en exergue que, depuis la fin du confinement, plus de 4 patients chroniques sur 10 (41%) ne sont toujours pas retournés voir leur médecin généraliste, spécialiste ou repris leurs soins courants. Parmi eux, 29 % ont envisagé de le faire dans les 4 prochaines semaines mais 12 % des patients chroniques affirment ne pas l’envisager encore. Cette affirmation est très inquiétante pour Jean-François Thébaut : «Nous redoutons l’explosion des complications liées aux maladies chroniques, aux maladies cardio-métaboliques, à l’hypertension, à l’obésité et même au retard pris pour le dépistage des cancers et qui vont d’un seul coup resurgir tous ensemble. Il s’agit d’une véritable bombe à retardement car la maladie chronique est sournoise et très insidieuse.»   Le suivi généralement maintenu 69% des malades chroniques affirment avoir annulé ou différé un rendez-vous médical ou des soins depuis le début de l’épidémie : 22% chez un...

généraliste (à 52% du fait du patient), 44% chez un spécialiste (à 70% du fait du médecin ou de l’établissement de santé). Mais la continuité des soins a tout de même généralement eu lieu : 67% des sondés ont consulté au cours de cette période. Le pharmacien et le personnel d’officine ont joué un rôle important dans ce domaine, en allant parfois jusqu’à se déplacer au domicile des patients pour leur apporter leur traitement. La grande majorité des patients ont continué à se rendre en pharmacie pour poursuivre leur traitement (87% des malades chroniques ; 92 % des patents hypertendus). «Cela montre l’importance du suivi du traitement pour les hypertendus et le rôle clef du pharmacien dans le suivi des personnes atteintes de maladie chronique», souligne le Pr Xavier Girerd, Président de la FRHTA. Globalement, près de 3 sondés sur 4 estiment avoir bénéficié d’un suivi identique à avant la crise, et se sentir physiquement aussi bien qu’avant. Seuls 26% des malades chroniques interrogés estiment que leur santé s’est dégradée depuis le début de l'épidémie ; même si ce taux monte chez les femmes (29%), chez les 18-29 ans (39%), et chez les personnes touchées par une maladie chronique en ALD (29%).

Les raisons liées à cette baisse du recours à la consultation sont principalement d’éviter la propagation du virus (pour 37 %, et même 50% chez les 18-29 ans), d’éviter la surcharge de travail de son médecin ou de son hôpital (pour 32 % des sondés), mais aussi d’éviter la contamination (28%). Selon Jean-François Thébaut, «les patients ne veulent pas déranger leurs soignants avec leur maladie, ils pensent qu’il y a bien plus grave qu’eux et qu’ils passeront après». La peur de la contamination a aussi été majeure pour les populations vulnérables. Les spécialistes parlent d’«effet cabane» : les patients ont tellement absorbé le message de ne pas sortir de chez eux, que leur maison est devenu le seul lieu de sécurité. Ils ont peur de sortir en pensant se mettre en danger.   Des disparités régionales Le sondage montre par ailleurs que le confinement et le déconfinement n’ont pas eu les mêmes impacts pour le malade chronique en fonction de sa région d’habitation. Ainsi, les reports de rendez-vous médicaux durant le confinement ont été les plus importants en Ile-de-France durant cette période avec 73 % versus 69 % sur la France. En revanche, la Bourgogne-Franche-Comté est marquée par une proportion plus faible (60 %). Par ailleurs, les taux de circulation du virus dans les différentes régions (régions vertes et rouges) influencent le ressenti des patients. Ainsi, c’est en Bretagne que la peur d’être contaminé est la plus faible (12 % contre 28% pour l’ensemble de la France).   Une campagne pour reprendre contact Le collectif d’associations a décidé de s’engager pour améliorer... le suivi de ces patients chroniques. Tous les partenaires se sont mobilisés en urgence pour lancer une vaste campagne sur le thème : #revoirsonmédecin. Associé à un visuel dynamique et doté d’un ton bienveillant qui se veut trancher avec les injonctions de la période de confinement, le message cette campagne encourage les patients à reprendre le chemin des consultations : «Maintenant, prenez soin de vous, prenez rendez-vous, en consultation ou téléconsultation». La campagne sera visible dès le 11 juin relayée sur les réseaux sociaux via les associations de patients et les structures scientifiques qui la soutiennent. Une page Facebook lui est dédiée. Pour Anne-Sophie Joly, présidente du CNAO : «Nous ne voulons pas que la peur de contracter le virus soit le deuxième tueur après le Covid-19 des patients qui ne vont pas consulter. Cette peur peut être paralysante car les personnes atteintes d’obésité sont extrêmement fragiles face au Covid-19 et sont restées strictement confinées. Il est désormais urgent qu’elles consultent à nouveau sans crainte, c’est l’objectif de cette campagne.»   Téléconsultation, un essor durable ? La télémédecine est autorisée en France depuis 2009, et la téléconsultation est remboursée dans certaines conditions bien précises depuis 2018. Mais l’assouplissement majeur de la réglementation pendant la crise a permis l’essor de ce mode d’exercice. Pendant le confinement, près d’un Français atteint de maladie chronique sur 4 (24%) a ainsi consulté son médecin généraliste en téléconsultation. Un chiffre qui monte à 28 % pour une consultation de spécialiste. Le Pr Xavier Girerd lance même : «La crise du Covid a été une chance, car des barrières administratives sont tombées.» Et si, depuis le déconfinement les consultations en présentielle ont augmenté, l’usage de la téléconsultation se maintient.

Les utilisateurs de cette technologie sont principalement les citadins et les jeunes (27 % des répondants ont entre 18 et 29 ans). Selon Lina Williatte-Pellitteri, vice-présidente de la Société Française de Santé Digitale : «Ce résultat n’est pas surprenant et corrobore le sentiment déjà existant selon lequel la téléconsultation correspond à une population plus jeune et active pour laquelle, la plupart du temps, la visite en cabinet médical est impossible à caser dans un agenda déjà surchargé.» Cependant, même dans cette population jeune et urbaine, un manque de confiance est souvent noté vis-à-vis de cet outil. «A l’évidence, la téléconsultation doit encore faire parler d’elle pour entrer dans les mœurs des patients, comme un moyen fiable de prendre en charge sa santé», commente L. Williatte-Pellitteri, qui souligne cependant que la téléconsultation «n’a pas eu vocation à remplacer la présentielle, mais elle est là pour être complémentaire». Dans ce contexte, il est primordial de rassurer en priorité le praticien, principal promoteur de la téléconsultation auprès de ses patients. Pour Jean-François Thébaut, «le travail des acteurs de la téléconsultation a été fondamental. Il a permis de rompre l’isolement de nombreuses personnes. Il faut que l’on prolonge cet essai».

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