Les équipes de Le Pen et Macron confrontent leurs idées sur la santé face aux carabins

21/04/2022 Par Sandy Bonin
Alors que la campagne présidentielle a été éclipsée par la crise du Covid et la guerre en Ukraine, l'InterSyndicale nationale des internes (Isni) a organisé "le seul débat public sur la santé de l'entre-deux-tours" mardi 19 avril. Les représentants "santé" de Marine Le Pen et Emmanuel Macron ont été interrogés tour à tour sur leur programme par Gaetan Casanova, président de l'Isni, et Doc Amine, médecin généraliste et créateur de contenus sur les réseaux sociaux. 

 

Marine Le Pen 

"La santé est passée à la trappe de ce débat présidentiel", malgré la crise du Covid a regretté en préambule, Julien Odoul, porte-parole du Rassemblement National. Ce conseiller régional de Bourgogne-Franche Comté et fils de médecin gériatre a résumé le programme de sa candidate en quelques mots : "redonner une dimension humaine à la santé". "La santé ne doit plus être une marchandise, un business soumis aux règles comptables et rentables", a-t-il ajouté. 

Après avoir vanté un système de santé qui permet "de sortir sa carte vitale plutôt que sa carte bancaire", et dont "on peut être fier", le porte-parole du Rassemblement National a estimé que le système s'est "désagrégé" dans notre pays "qui est le plus taxé au monde". "Un gouffre s'est creusé en termes d'offre de soins", a regretté le conseiller régional qui a pointé "100.000 fermetures de lits en vingt ans". "Le système est à revoir, et non les hommes et les femmes qui lui ont permis de tenir", a jugé le politicien de 36 ans en s'adressant aux soignants.  

 

Formation 

"Marine Le Pen a voté contre la suppression du numerus clausus lorsqu'elle était députée", a fait remarquer Doc Amine en interrogeant Julien Odoul sur la promesse de la candidate d'ouvrir 10.000 places supplémentaires en Ifsi mais aussi un "nombre de places suffisantes dans les facultés de médecine" alors que les capacités de formation sont déjà "saturées". Ne s'agit-il pas de "mesures démagogiques" ? a questionné Doc Amine.

"Il n'y a pas que les centres" existants qui pourront permettre d'accueillir des étudiants, a argumenté Julien Odoul en évoquant l'ouverture "d'antennes", notamment dans la ruralité comme celle qui existe déjà à Nevers. "Il faut en créer d'autres, c'est l'objectif de Marine Le Pen", a assuré son porte-parole. "Marine Le Pen souhaite revaloriser le système de l'internat et ses capacités d'accueil", a également indiqué Julien Odoul, déplorant la faible rémunération des étudiants en médecine au regard de leur temps de travail.  

 

L'hôpital 

"Les médecins ayant obtenu leur diplôme hors de l'Union européenne représentent 10% des praticiens exerçant en France", a indiqué Doc Amine rappelant que de nombreux services hospitaliers auraient pu fermer sans l'appui des praticiens étrangers. Le médecin généraliste marseillais a donc interrogé Julien Odoul sur la volonté emblématique de Marine Le Pen de réduire "drastiquement" la part de médecins étrangers. "Marine Le Pen souhaite introduire la priorité nationale qui n'est pas l'exclusion", a justifié Julien Odoul. "S'il y a un manque, on ne va pas exclure les soignants étrangers", a-t-il précisé. "L'objectif, à terme, est de pouvoir avoir le choix", a ambitionné le porte-parole. 

"77% des internes ne veulent pas devenir médecin à l'hôpital public", a avancé Gaetan Casanova, président de l'Isni, déplorant une "hémorragie totale à l'hôpital". Le jeune syndicaliste a donc interrogé le représentant du Rassemblement national sur ses propositions pour redonner envie aux soignants d'exercer à l'hôpital public. "Il faut rendre ses lettres de noblesse à l'hôpital public et enrayer la spirale du déclin", a avancé Julien Odoul. "Il faut repenser le système qui passe par une nouvelle organisation hospitalière", a précisé le fils de médecin en citant notamment la suppression des ARS "pour sortir d'une logique comptable". "Marine Le Pen souhaite une administration bicéphale par les préfectures de région et les médecins", a explicité Julien Odoul.  

"Vous n'avez pas répondu à la question de l'attractivité de l'hôpital public", lui a fait remarquer Doc Amine. Le porte-parole a donc évoqué une hausse de 10% des salaires et un projet de "débureaucratisation de l'hôpital". "Marine Le Pen souhaite débloquer 20 milliards d'euros pour l'hôpital public dont 10 seront consacrés aux revalorisations salariales", a insisté Julien Odoul.  

 

AME 

Enfin sur la thématique de l'accès aux soins, le porte-parole a été questionné sur la volonté de Marine Le Pen de transformer l'AME pour le réserver aux soins urgents. "Cela ne va-t-il pas entraîner une aggravation de la santé des résidents avec un coût qui sera, au final, plus important ?" a interrogé Gaetan Casanova. D'autant "que cette mesure est contraire au code de déontologie des soignants", a précisé Doc Amine. "Je comprends très bien cette dimension. Ma mère a exercé en Ariège et elle se faisait quelque fois payer en confiture et en poulet", a répondu Julien Odoul.  

"Il faut aborder ces questions de manière humaine et dépassionnée", a estimé le porte-parole de la candidate d'extrême droite qui a tenté de rassuré en expliquant qu'il ne s'agissait pas de supprimer l'Aide médicale d'Etat mais de la transformer en Aide médicale d'urgence (AMU). "L'AME permet à des clandestins de se faire soigner gratuitement. L'AMU permettra toujours de venir en aide aux personnes, quel que soit leur statut, en situation d'urgence. Mais il y a une réalité. L'effondrement de l'hôpital public et les difficultés de notre système de santé viennent aussi du fait qu'aujourd'hui on peut soigner gratuitement toute la misère du monde. Beaucoup de gens viennent dans notre pays parce qu'ils peuvent bénéficier de prestations sociales. Je suis fier que mon pays puisse le faire. Pour autant, compte-tenu du nombre de personnes qui viennent sur le territoire chaque année, c'est très compliqué. Cela va inciter de plus en plus de personnes à venir", a tenté de justifier Julien Odoul, avant de rappeler qu'1 Français sur 3 renonce à se soigner faute de moyens.  

"L'AME représente 1 milliard d'euros par an, il faut la redistribuer à nos concitoyens en situation de précarité", a jugé Julien Odoul. "Au-delà d'être peu humaine, je pense que cette mesure serait contre-productive", a réagi Doc Amine, citant l'exemple d'une IVG ou de douleurs abdominales en cas de grossesse extra-utérine qui ne seraient pas concernées par l'AMU et aboutiraient à des frais plus importants.  

 

Accès aux soins 

Sur la question des déserts médicaux, Marine Le Pen souhaite mettre en place de "fortes incitations financières" pour remplacer les mécanismes actuels "avec une modulation des rémunérations selon le lieu d'implantation, sans démarche spécifique à faire pour le praticien". La candidate projette également "d'augmenter le nombre de maisons de santé et les doter de moyens pour les petites urgences", énumère Julien Odoul. "Mais comment faire sans médecins ?" l'a interrogé Doc Amine lui rappelant que créer des maisons de santé n'augmentera pas le nombre de praticiens. 

Julien Odoul a insisté sur quelques mesures d'urgence à mettre en place dès les premiers jours du quinquennat de sa candidate, à commencer par la réintégration des soignants non vaccinés contre le Covid. "Elle leur rendra leur rémunération suspendue pendant ces longs mois", a promis Julien Odoul. Un moratoire sur les fermetures de lits fera également partie des mesures prioritaires "pour mettre fin à cette dégringolade comptable". Si Marine Le Pen était élue, l'objectif serait "la santé partout et pour tous", a annoncé le porte-parole. Enfin, la prévention serait un des axes majeurs du programme de la candidate du Rassemblement National, a insisté Julien Odoul.  

Interrogé pendant plus d'une heure, Julien Odoul a ensuite laissé sa place aux trois représentants santé d'Emmanuel Macron qui se sont présenté tour à tour. 

 

Emmanuel Macron 

Le Dr François Braun est médecin urgentiste, praticien hospitalier, chef de service et de pôle à l'hôpital de Metz Thionville et président de Samu-Urgences de France. Le Dr Sébastien Mirek est praticien hospitalier, médecin anesthésiste-réanimateur au CHU Dijon Bourgogne, ancien de l'Anemf, de l'Isni et de l'Isncca, devenu aujourd’hui Jeunes médecins. Enfin, Pascale Mathieu est kinésithérapeute en exercice libéral "depuis bien longtemps" et chargée de cours dans plusieurs institut de formation en kinésithérapie.  

"Notre système de santé est formidable parce que chacun peut avoir accès aux soins, quels que soient ses revenus, l'endroit où il est, ses origines…", s'est félicitée Pascale Mathieu soulignant qu'il s'agit de quelque chose d'"important à préserver". "Les publications scientifiques montrent l'excellence de la formation et des enseignants chercheurs", a ajouté la porte-parole d'Emmanuel Macron en dressant un état des lieux du système de santé. Mais le système "n'est pas aussi efficace qu'il devrait l'être", a admis le Dr Braun. "Avec l'investissement humain et financier, on est en droit d'attendre qu'il soit plus efficace", a précisé l'urgentiste qui propose de passer d'un système "concentré sur le soin", à un système "concentré sur la santé".  

"Il faut saluer l'investissement des soignants et...

leur capacité d'innovation. Plusieurs initiatives ont été mises en place sur les territoires", a reconnu Sébastien Mirek au sujet de la crise Covid. "Repartir des territoires et des besoins" est ainsi la base du programme du candidat Macron, a insisté le Dr Mirek. 

 

Formation 

Interrogés sur les difficiles conditions de travail des internes, Pascale Mathieu a rappelé que "le droit du travail doit être respecté. Des engagements ont été pris et ils doivent être suivis des faits." "On est sur une souffrance psychologique qui est majeure", a déploré le Dr Braun ajoutant que "les internes taillables et corvéables à merci ne doivent plus exister. Il est anormal que les internes qui travaillent en heures supplémentaires ne soient pas rémunérés." "Il faut respecter le cadre règlementaire", a insisté le président de Samu-Urgences de France. 

"Pendant la crise, nous avons tous travaillé main dans la main. Nous avions un but et une volonté. C'est cela aussi de redonner du sens à notre métier. Lors de la première vague, nous n'avons pas fait de paperasse et nous avons soigné des gens", a fait valoir le Dr Braun qui souhaite "globaliser ce problème" et ne pas mettre la question de la souffrance au travail "de côté".  

Le passage du numerus clausus au numerus apertus permet de former "20% d'étudiants supplémentaires", a rappelé le Dr Braun alors qu'il était interrogé par Doc Amine sur l'incompréhension de cette réforme par les étudiants. "Je reconnais que c'est assez compliqué. J'ai mis un certain temps à essayer de comprendre", a admis l'urgentiste tout en précisant que la réforme répondait à la volonté de multiplier les profils des étudiants en médecine.  

"Nous allons continuer à augmenter le nombre de places, c'est un engagement, mais avec les limites liées aux capacités d'encadrement", a promis le Dr Braun. "Il faut former des enseignants, notamment en zones sous-denses pour y favoriser les stages", a-t-il ajouté.  

 

Hôpital public 

"Il faut redonner du sens aux soignants et pas uniquement aux médecins puisque nous travaillons en équipe. Il faut redonner l'envie", a fait valoir le Dr Mirek, alors qu'il était interrogé sur la problématique du manque d'attractivité de l'hôpital public. "Le Ségur était le traitement symptomatique, mais nous n'avons pas fait le traitement de fond de l'hôpital", a admis l'anesthésiste. "On ne se retrouve plus dans cette gouvernance. Il faut mettre en place un management de proximité et supprimer les tâches administratives", a-t-il ajouté. "Une des mesures proposées est de créer une task force pour remettre à plat toutes ces tâches administratives", a précisé Sébastien Mirek. 

"La gouvernance a montré ses limites. Ce sujet était très présent dans l'élaboration du programme car ce qui remontait du terrain nous a montré que la gouvernance ne convenait à personne. Telle qu'elle est faite, il y a de la souffrance pour le personnel, mais aussi pour les directeurs contraints de faire appliquer des choses difficiles pour eux. Cette façon de travailler n'est plus acceptée par quiconque et ne convient à personne. Il faut remettre du médical au sens large dans la gouvernance", a insisté Pascale Mathieu.  

"Il faut aussi faire des efforts sur la qualité de vie au travail. C'est capital. Nous devons travailler de manière transversale sur la ville, sur l'amont, sur l'aval", a également estimé le porte-parole du candidat Macron qui propose aussi de mettre en place des assistants médicaux à l'hôpital.  

 

Accès aux soins 

"Il n'y a pas de solutions miracles mais un panel de solutions pour répondre à la problématique des déserts médicaux. Les besoins ne sont pas les mêmes d'un territoire à l'autre", a constaté François Braun. "Nous allons continuer à promouvoir l'exercice pluriprofessionnel dans le cadre des maisons de santé", a indiqué l'urgentiste pour répondre à un souhait majeur des étudiants.  

"Nous allons généraliser encore plus les assistants médicaux. Nous avons commencé, mais il n'y en a pas assez. Nous allons simplifier les procédures", a promis le Dr Braun. Ce dernier compte également s'appuyer sur tous les professionnels de santé. "Il y a des déserts médicaux, mais il n'y a pas de déserts de santé", a estimé l'urgentiste qui compte "répartir la charge sur tous les professionnels de santé".  

"Nous mettrons en place des référents de santé de proximité qui seront des professionnels de santé désignés par le patient. Ces référents auront accès à une plateforme qui permettra d'avoir un rendez-vous médical en 48h", a promis François Braun.  

Selon les relais santé du candidat Macron, la préoccupation du Président est de répondre à l'objectif que les patients puissent avoir une réponse rapide à un problème de santé. "Une réponse ne signifie pas une solution immédiate", a tempéré Pascale Mathieu. "Il n'est pas question de prendre aux uns et de redistribuer aux autres, il est question, au sein d'une équipe coordonnée autour du patient, de redéfinir qui fait quoi et comment. Cela va permettre une grande souplesse dans les territoires", a précisé la kinésithérapeute au sujet de la délégation de tâches.  

"Augmenter le nombre de stages dans les territoires est un enjeu majeur", a indiqué le porte-parole du candidat Macron qui souhaite également mettre en place des parcours d'excellence pour les jeunes issus des territoires.   

"La téléconsultation sera favorisée dès lors qu'elle est utile", a listé François Braun citant l'exemple de la dermatologie. Une permanence des soins sera assurée dans tous les territoires, a indiqué l'urgentiste qui estime "qu'on n'est pas moins malade le soir ou le week-end". "Cette participation à la garde sera instaurée comme une responsabilité territoriale collective."  

"Sur la table, bien entendu, nous allons mettre la problématique de la rémunération", a rassuré le Dr Braun qui a assuré qu'Emmanuel Macron compte mieux rémunérer la garde et la PDSa. "La régulation à l'installation est aussi sur la table", a-t-il ajouté. "C'est difficile de parler de la régulation à l'installation de façon autoritaire. Ça ne marche pas. La régulation pourra être liée à une rémunération supplémentaire. Cela sera à discuter", a expliqué François Braun. 

"Notre volonté est de mettre en place une réforme du système basée sur la réponse aux besoins de santé. Cette réponse nécessite un cap défini par l'Etat, elle nécessite des outils qui vont être mis à disposition, mais elle nécessite surtout que la réflexion ait lieu au niveau de chaque territoire avec les élus, les soignants, les soignés. Chaque territoire mettra en place sa solution en fonction des axes définis par l'Etat. Voila la grande réforme du système de santé que nous voulons mettre en place et qui englobe le libéral, le privé à but non lucratif et le public", a conclu François Braun.  

 

Replay du débat : https://www.youtube.com/watch?v=xew8jzuNR7o. 

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