Seconde vague de Covid : ce qu'il faut changer pour que les médecins libéraux ne soient plus laissés de côté

16/07/2020 Par Marion Jort
Santé publique

Alors que les autorités sanitaires sont de plus en plus nombreuses à alerter sur une recrudescence de l'épidémie de coronavirus et que le seuil de contamination vient de repasser au-dessus de 1, spécialistes, infectiologues et épidémiologistes incitent à tirer les leçons de la crise sanitaire, pour mieux faire face à une deuxième vague cet automne ou cet hiver. Comment mieux inclure les médecins libéraux ? Comment éviter le renoncement au soin et une mauvaise articulation ville-hôpital ? Egora.fr a posé la question aux Drs Jacques Battistoni (président de MG France), Jérôme Marty (président de l’UFML-S) et Franck Devulder (président les Spécialistes-CSMF).   Quel regard porter sur la prise en compte des acteurs du premiers recours pendant la crise sanitaire ? Quel bilan peut-on tirer dans l'hypothèse d’une seconde vague épidémique ? Dr Battistoni : La première ligne n’a pas été exploitée du tout au début de la première vague, en particulier dans la toute première partie, avant le déclenchement de la vague épidémique. On a été exclus involontairement de la prise en charge des patients. Il fallait envoyer tout le monde à l’hôpital et passer par le 15. On a été inclus en théorie dans la deuxième partie, au moment du déclenchement de la phase épidémique mais là, le problème ça a été la communication, la non-organisation et le non-appui sur l'organisation de ville. Et puis, on a réussi en bataillant, à participer à la phase de déconfinement et à être les acteurs principaux du diagnostic des patients qui présentent des symptômes.  Dr Marty : Si on parle de seconde vague, c’est qu’il y a un loupé quelque part, car normalement tous les outils de surveillance sont mis en place. Pour moi, c’est la faute du système si on ne s’est pas appuyés sur le premier recours. Pendant des années, on a mis en place un système hyper administré, centralisé vers l’hôpital. Ce système administré a fait des plans blancs. Il en existe de deux types : des hôpitaux ou des cliniques privées. L’Etat prend en compte les plans blancs de l’hôpital. Mais dans ces derniers, la médecine de ville ou les cliniques n’apparaissent pas. A partir de là, un malade ne devient malade que lorsqu’il franchit les murs de l’hôpital. Il a fallu qu’on tape du poing sur la table pour qu’enfin on se préoccupe de ce qu’il se passait dans les Ehpad.

Dr Devulder : La médecine s’exerce avant tout près de chez nous, à proximité. A la fois auprès des médecins de premiers recours, les médecins généralistes, mais également des spécialités médicales de tous les médecins spécialistes concernés par le Covid. On sait combien la place de la biologie médicale, de la pneumologie, de la réanimation est importante. On sait tous se retrouver sur des “secteurs Covid”, dans des organisations que chacun a inventé, faisant preuve d'"agilité”, pour reprendre les propos de Nicolas Revel [ex directeur de la Cnam, NDLR]. Finalement, on est assez proches de toute la problématique qui encadre les urgences et les soins non-programmés. On est dans un système où on se rend compte qu’il y a un engorgement des services d’urgences, hospitalières, publiques et privées parce qu’on n’a pas encore réussi à résoudre la problématique du soin non-programmé. Pourtant, nous sommes très nombreux et très mobilisés.    Quelle organisation préconisez-vous de mettre en place ? Dr Devulder : Ce qui a marché, à tous niveaux, ce sont les professionnels de santé. Tous les acteurs et l’administration s'accordent à dire que quand on laisse les professionnels de santé s’organiser entre eux, ça marche. Privé, comme public. Les professionnels de santé de l’hospitalisation ne cherchent pas à ramener à eux la totalité de la demande de soin en France. Dr Battistoni : On préconise de rester sur cette organisation qu’on a mis en place pour le déconfinement, qui consiste à faire reposer le diagnostic des patients...

qui présentent des symptômes sur les MG. Pourquoi sur eux ? Parce que c’est leur travail habituel, ils sont habitués à le faire. Il faut vraiment insister sur le rôle du médecin généraliste : il est le médecin traitant de son patient et il est parfaitement armé pour le prendre en charge. Si les patients présentant des symptômes de Covid dans le cadre d’une deuxième vague sont peu nombreux, il faudra faire ce qu’on avait fait au début : créer des flux séparés, des moments dédiés pour les patients Covid. Si nous étions à nouveau débordés, il faudrait pouvoir téléconsulter et prendre en charge en présentiel, dans les centres Covid, les patients pour lesquels on estime que la téléconsultation n’est pas suffisante. Si le médecin s'organise, il faut qu’il trouve du soutien auprès des collectivités territoriales et des ARS. Et surtout, il faut une campagne de communication qui soit bien mieux faite que celle qui a été faite jusqu’à maintenant. J’ai souligné à plusieurs reprises le fait que jamais le généraliste n'avait été nommé dans la communication gouvernementale. C’est une honte. 

Dr Marty : On voit que les centres Covid ont bien fonctionné quand c’était en collaboration avec les médecins. Quand on sait la difficulté de l’épidémie, les risques d’infection… Si on est dans une zone explosive, il faut des centres équipés et les ouvrir tôt.    Dans le cas d’une deuxième vague, l’enjeu pour les médecins traitants est d’éviter un nouveau phénomène massif de renoncement au soin, qui a pu engendrer -40 à 90% d’activité chez les médecins libéraux. Comment faire ? Dr Marty : Il faut en revenir à ce qu’il s’est passé. Souvenez-vous, en phase 1 et 2 on a dit aux gens, “ne passez pas par les cabinets, allez directement à l’hôpital”. Tous les gens peu symptomatiques ou très symptomatiques y sont allés, ont créé des clusters dans les hôpitaux avec pour conséquence la contamination du personnel soignant. Les patients ont compris avec ces messages que si on leur demandait d’éviter les cabinets, c’est parce qu’ils risquent d’être contaminés. En plus, sur l'attestation de déplacement, il était indiqué “médecin généraliste pour urgence” avec un risque de prendre une amende de 135 euros si ce n'était pas coché. Il faut instiller une communication basée sur le fonctionnement de base de notre système de santé. Les médecins eux, savent gérer.  Dr Battistoni : Il faut sécuriser les cabinets de médecine générale. Cela veut dire port du masque systématique des patients, avec une forme d’incitation très forte d’obligation du port du masque dans les transports en commun. Dr Devulder : A vrai dire, il faut aussi se poser cette question même si nous ne sommes pas confrontés à une deuxième vague. Nous, les médecins, avons d’abord un rôle de prudence. Rappeler qu’il faut faire attention, expliquer le rôle des mesures barrières, inciter à porter le masque. Mais, en même temps, il faut rappeler aux patients de se faire soigner. Si on a cette parole-là, nos patients viendront nous voir. Parce que si cela vient d’une communication gouvernementale, la tendance qui risque de se dégager c’est de se méfier. Et puis, il y a eu aussi, à noter, un certain retard au rallumage après le déconfinement. Il y a deux explications à cela : les ARS, qui pour nombre d’entre elles, par crainte d’une deuxième vague proche, ont donné aux établissements de santé des injonctions leur demandant de maintenir en l’état des secteurs qui se vidaient. Le deuxième problème a été les tensions sur les produits d’anesthésie, aussi à la main des ARS. Il ne s’agit pas de gommer qu’il y a eu une surconsommation pendant la crise.    La téléconsultation a été largement utilisée pendant le confinement. Est-ce un bon outil à préserver pour garder le contact avec certains patients ? Dr Battistoni : Il ne faut pas l’abandonner. La téléconsultation aura sa place parmi les consultations du généraliste. En revanche, il ne faut pas poursuivre les mesures d’assouplissements dérogatoires. Elles n’ont pas lieu d’être. Ces mesures ont été prises en partant du principe que nous n’aurions pas le temps de voir nos patients. C’est faux. La capacité de prendre en charge les patients en médecine de ville est importante et donc nous n’avons absolument pas besoin de plateformes délocalisées. 

Dr Marty : C’est une mauvaise idée de la part de Nicolas Revel de dire qu’il faut arrêter de rembourser les consultations téléphoniques. Elles ont montré leur utilité. Les gens sont souvent trop stressés, surtout dans le cadre d’une épidémie, pour utiliser la télémédecine...

et ils n’y arrivent pas. Donc un médecin généraliste qui connaît son patient peut consulter par téléphone. Sinon, la téléconsultation, il faut la développer mais sans lui tendre les bras. C’est un plus si on connaît son patient.  Dr Devulder : Il faut garder ces outils et les développer. La télé-expertise ne marche pas. Pourquoi ? Parce que c’est limité à certains patients en ALD, en Ehpad ou en zone blanche, le dispositif est compliqué et puis comment parler de télé-expertise alors qu’il y a deux niveaux tarifaires pour le médecin spécialiste et un pour le médecin spécialiste de 12 ou 20 euros. Qui peut croire qu’on donne un avis d’expert pour 12 euros ? Et puis, il faut un meilleur télésuivi.    Le suivi des patients après une hospitalisation Covid a été en grande partie géré par l’hôpital pendant la première vague. Comment mieux gérer cet aspect de la crise ? Dr Marty : L’hôpital à autre chose à faire. En cas de crise sanitaire, Il faut recentrer la puissance sur le rôle propre de chacun. L’hôpital est là pour s’occuper de la réa et des cas lourds. Et la ville doit se charger de l’avant, du pendant et de l’après. Dr Battistoni : Il faut revenir au parcours de soin normal. A l’hôpital, un patient est suivi par les médecins hospitaliers. En ville, ce sont les médecins de ville. Il faut que l’hôpital apprenne à faire confiance aux professionnels de santé de ville. Cela passe par une information correcte du patient, et surtout du médecin à la sortie du patient. Par un certain nombre d’informations qui sont données et permettent de mettre en place un suivi correct.  Dr Devulder : A chacun son métier ! Travaillons en collaboration. A l’hôpital, public ou privé, son rôle d’expertise, de prise en charge de patients lourds qui ne peuvent pas rester chez eux. Et aux médecins de ville, de pouvoir prendre le relai à la sortie de l’hôpital, en lien avec ce dernier. Sinon, le médecin de ville se sent dépossédé de son rôle de médecin traitant et en même temps, l’hôpital coule parce qu’ils ne sont pas assez nombreux pour faire face à la vague. Il faut pouvoir mettre en place des filières Covid particulières, avec plus de soutien. 

Pendant la crise, beaucoup de médecins ont eu le sentiment qu’on leur ôtait la liberté de prescrire par plusieurs restrictions imposées sur certains produits et médicaments. Quel regard portez-vous sur ce phénomène ? Dr Devulder : La liberté de prescription est un fondement de l’exercice médical et il faut la défendre. Simplement, lorsqu’on est face à une pathologie nouvelle, inquiétante, chacun ne peut pas se dire au doigt mouillé ‘j’y crois ou non’...

sans avoir de niveau de preuves scientifiques. Certains des produits dont il a été question ne sont d’ailleurs pas dénués de risques. L'azithromycine par exemple, pour moi qui suis gastro-entérologue, ce n’est pas sans conséquences. Je ne dis pas qu’il ne faut pas le faire. Mais si d’aventure cela devait se reproduire, laissons la liberté de prescription mais mettons les patients dans une étude nationale multicentrique incluant la médecine de ville pour savoir quelle est l’efficacité de ces produits. Dr Battistoni : Il ne faut pas perdre de vue que le rôle du médecin, c’est de soigner en fonction des données actuelles de la science et pas en fonction d’opinions et de pressions médiatiques. Si les données de la science nous disent qu’il faut traiter de telle ou telle façon, on doit pouvoir le faire et ne pas réserver les médicaments à un usage hospitalier. Mais il n’est pas non plus normal que si des médicaments n’ont pas démontré leur efficacité, il soit possible de les prescrire. 

Dr Marty : Ça m’a semblé curieux qu’on enlève l’hydroxychloroquine. L'azithromycine pareil, on a l’habitude de l'utiliser. Il y a une liberté de prescription, c’est un des piliers et des fondements de notre exercice. On doit pouvoir donner le consentement éclairé au patient. Mais on doit aussi respecter les dernières données validées scientifiquement    De nombreuses promesses ont été faites sur l’approvisionnement en masques et en équipement nécessaire à la bonne prise en charge des patients en ville, mais les médecins n’en ont jamais vu la couleur au plus fort de l’épidémie. Dans son allocution du 14 juillet, le chef de l’Etat a dit que les stocks étaient prêts. Comment anticiper et gérer l’approvisionnement du côté des médecins ? Dr Marty : Il faut se baser sur le réseau existant, fournir les pharmacies qui fournissent elles-mêmes les médecins. Il faut le faire calmement et régulièrement dans les mois qui viennent, pour les masques FFP2 surtout. Évidemment, il faut aussi des surblouses et tout ce qui est nécessaire au bon fonctionnement. Il faut armer nos soldats, et on ne peut pas les renvoyer au feu à poil. Dr Battistoni : Il faut mettre en place les circuits d’approvisionnement tels qu’ils ont existé pendant l’épidémie, c’est-à-dire par le biais des pharmaciens avec un approvisionnement suffisant. Il faut que la population soit équipée, elle aussi. Je pense qu’il faut faire passer le message : ‘consultez votre généraliste mais ne le faites pas sans équipement’. Et, il faut que dès maintenant, les médecins soient en mesure de reconstituer leurs stocks.  Dr Devulder : Les masques, on en a car les distributions continuent. Aux dires des ministres, les stocks ont été reconstitués. Normalement, pour les équipements type surblouses et vêtements de blocs, il y a moins de tension. On parle d’une deuxième vague pour l’automne, donc nous avons encore quelques semaines ou quelques mois pour gonfler les stocks. 

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