Réforme des retraites : "Les médecins libéraux sont des victimes expiatoires", déplore le président de la Carmf
Egora.fr : Depuis la remise du rapport Delevoye en juillet dernier, la concertation s'est poursuivie. Êtes-vous parvenus à faire bouger les lignes ? Dr Thierry Lardenois : Si je regarde la définition du mot "concertation", je vois qu'elle se "distingue de la négociation. Elle n'aboutit pas nécessairement à une décision, mais vise à la préparer". A priori, c'est un échange, un partage d'idées. Là, clairement, il n'y en a pas eu. Il y a deux ans, quand Jean-Paul Delevoye a entamé sa "concertation", il a convié les caisses. Nous nous sommes rencontrés à deux reprises. J'ai posé des questions concrètes et j'ai eu le malheur de vouloir informer mes confrères des syndicats. Il n'y a pas eu de troisième. Ça s'est arrêté tout de suite. Les syndicats ont ensuite été convoqués : il fallait donner le sentiment d'échanges sur ce sujet d'importance. On les a assis autour de la table et on leur a dit : vous êtes ici pour écouter. Au travers des différentes séances de "concertation", à aucun moment on a demandé l'avis des syndicats. Où en est-on aujourd'hui ? On reste sur une réforme exclusivement de nature politique, qui vise essentiellement à gérer les problèmes de l'État vis-à-vis des régimes spéciaux et de ses fonctionnaires. Et les régimes particuliers comme nous, qui n'ont jamais pioché dans l'argent public, sont sacrifiés.
Il faut effectivement rappeler que le régime autonome des médecins est à l'équilibre… On est à l'équilibre à l'infini. Notre terme, c'est 2069, sachant que d'ici là on sera de retour à une démographie qui permettra d'envisager la suite. Nous avons établi la stratégie de notre caisse pour la prochaine génération, et largement au-delà. On n'a pas reporté sur les générations suivantes les problèmes posés par notre génération. Or, ça n'a pas été le cas pour l'État, qui se trouve bien embarrassé avec les 1.000 milliards d'euros de dettes des fonctionnaires et tous les régimes spéciaux… qu'il a alimentés ! L'État peut les critiquer aujourd'hui : c'est lui qui a les créés et qui a refait des cadeaux supplémentaires à chaque conflit social. Aujourd'hui, il est à bout de souffle. L'État procède toujours de la même façon : quand un salarié d'une entreprise commet une faute, le patron le convoque et le sanctionne ; dans la fonction publique, on pond une note de service et on sanctionne le bureau, on fait le ménage. C'est exactement ce qui se produit. Plutôt que de convoquer...
ceux qui sont déficitaires, et se mettre en position délicate, on met tout le monde sur le même plan et on nivelle par le bas. C'est une catastrophe. On fait reposer sur l'ensemble des Français un problème de la Fonction publique et de l'État. Nous sommes des victimes expiatoires. La loi va s'imposer à nous, sans la moindre concertation. D'ailleurs, les centrales syndicales CGT, FO, etc. ont été logées à la même enseigne. D'après les calculs présentés au dernier congrès de la Carmf [le 5 octobre, à Paris], les médecins libéraux ont beaucoup à perdre avec cette réforme. Les pensions des médecins libéraux baisseraient de 37% (1 Pass) à 26% (3 PASS), soit une perte annuelle de 10 à 12 000 euros et une retraite moyenne mensuelle passant de 2600 à 1600 euros… Et ces calculs viennent d'être confirmés par le Gouvernement ! A un poil près, les actuaires sortent quasiment les mêmes chiffres que nous : entre 30 et 33% de baisse pour un 1 PASS, 27% pour 2 PASS, 23-24% à 3 PASS. Mais ils nous disent qu'ils vont modifier l'assiette, faire un mix des charges professionnelles et alléger la CSG, qui va devenir productrice de points de retraite... sauf que la CSG était prévue pour disparaître en 2026. Et malgré cet extraordinaire artifice technique, on a quand même une baisse. C'est une manipulation étatique. Voyant que nos chiffres ne concordaient pas parfaitement, j'ai émis devant un membre de la direction de la Sécurité sociale l'idée de faire un audit indépendant… Vous n'imaginez pas dans quelle colère est entré le représentant de l’État ! Ça m'a étonné. De quoi ont-ils peur ? Je pense qu'ils craignent le pire.
Mais comment justifient-ils une telle baisse de la retraite des médecins libéraux ? Ils ne la justifient pas. Il n'y a pas à discuter là-dessus. On baisse la retraite des Français de 30%, mais c'est un non-sujet. Cette réforme est politique. Comme je le dis depuis le début -et c'est l'une des raisons pour lesquelles le Haut-Commissariat ne m'adresse plus la parole – il s'agit de transformer une dette fiscale en dette sociale. Une dette fiscale n'a pas de terme, vous pouvez la renflouer à l'infini. Une dette sociale doit être soldée, soit en augmentant les cotisations, soit en diminuant les prestations. Ça c'est le premier élément. Le deuxième, c'est que chaque retraité français dispose en moyenne d'un capital de 260.000 euros (biens immobiliers, actions, etc.), qui a tendance à croître avec le temps et les années de retraite : il est clair que le Gouvernement lorgne sur ce capital. A partir du moment où le niveau de retraite diminuera, ça forcera les Français à taper dans le bas de laine et à faire circuler cet argent. Les plus précaires seront obligés de faire appel à leur propre financement.
Les médecins devront-ils souscrire des surcomplémentaires ? Trouvez-moi un PERP [Plan d'épargne retraite populaire] ou un PERCO [plan d'épargne retraite collective] avec un rendement équivalent au nôtre ! On est quand même à 6,4% pour 1 PASS. Ces placements sont à 3% maximum. Les retraités devront piocher dans leur capital. Le but est de refaire circuler l'argent. Et pour cela, on met en avant le joli principe de l'euro cotisé qui donne les mêmes droits pour tous. Ce n'est possible ! Il faudra accorder des faveurs aux uns et aux autres pour acheter la paix sociale… Sachant qu'ils ne sont pas encore entrés dans le vif de la réforme : le calcul en points. Nous sommes déjà...
en points, donc c'est assez facile pour nous de mesurer les conséquences financières. Mais pour les autres régimes, personne ne l'a fait. Les calculs pour les médecins, nous les avons faits tout de suite : eux, ils les ont sortis tout chaud de l'imprimante il y a 15 jours ; en deux ans, ils ne les avaient pas faits ! La réforme a été construite exclusivement sur le plan politique. Delevoye a parlé d'âge pivot, Macron de durée de cotisation…. Où en est-on ? Déjà dans le rapport Delevoye, il est écrit en toutes lettres : 44,3 ans de travail pour la génération 1990. Moi je fais de la retraite, bête et méchante, avec pour principe simple l'équilibre technique : il faut que les cotisations couvrent les prestations. On sait que pour que les cotisations engrangées par la génération 1990 couvrent les allocations versées aux retraités à cette époque, il faut que les Français travaillent 44,3 ans. Tout le reste, c'est de la fantaisie ! On peut bien sûr vous laisser partir à 62 ou 64 ans, mais il faudra créer de la décote. C'est clair et net, ça ne peut pas se discuter sur le plan financier et comptable. Sachant que les médecins commencent à exercer à minimum 27 ans… La retraite des médecins à taux plein, ce sera 70 ans… pour la génération 1990. Et ensuite, on gagne 3 mois par an. C'est une réforme qui prépare de nouveaux problèmes : dans quel état seront les médecins à 70, 72 ans, etc. ? L'État part du principe que la population française vieillit en bon état cognitif, mental et physique : c'est faux ! Quand nous avions la retraite à 65 ans, nous avions des quantités phénoménales de maladies, de demandes d'invalidité, de difficultés professionnelles. Quand nous avons abaissé l'âge de la retraite à 62 ans, toutes ces populations-là ont été mis en retraite pour incapacité. Quand on veut créer une réforme intelligente, il ne faut pas créer un plafond : les Français vont s'épuiser à courir après l'âge de la retraite qu'ils verraient s'éloigner au fur et à mesure. Il faut au contraire créer un plancher pour protéger les plus fragiles, leur permettre de partir en retraite décemment, et laisser aux autres toute liberté de continuer. Nous, quand on a créé le temps choisi et qu'on a abaissé la retraite de 65 à 62 ans, on a vu l'âge de départ en retraite augmenter. Il faut convaincre, pas contraindre. Or la réforme Delevoye-Macron, c'est contraindre et pas convaincre.
Que va devenir de l'ASV ? Il est intégrable dans le régime universel. Pour les médecins de secteur 1, ce sera un peu l'équivalent de la part patronale des salariés. L'ASV en soi ne pose pas réellement problème. Le problème, ce sera la négociation du montant. Quand on intègre la CSG dans l'assiette des retraites, tous les artifices sont possibles. C'est un problème syndical. La Carmf a-t-elle obtenu des garanties sur ses provisions ? La question est : avons-nous confiance en nos interlocuteurs ? Le Haut-Commissariat nous dit que pour garantir les droits du passé, c’est-à-dire de ceux des retraités jusqu'en 2025, il faut utiliser une partie de nos réserves, soit 2,2 à 2,4 milliards sur les 7 milliards. Dont acte. Il reste un solde. Dans un premier temps, le Haut-Commissaire nous a dit qu'il serait dans un "fonds périmétré" : en français, ça veut dire qu'on nous le pique. Mais comme je n'arrête pas de dire des choses comme ça, je suis l'empêcheur de tourner en rond… Maintenant, ils disent qu'ils les laisseront à la Carmf. Sauf que la Carmf n'existera plus juridiquement. Il y a un conseil d'administration fantôme, sans pouvoir décisionnel ni prospectif. Que feront-ils de cet argent ? Je n'en sais rien. Et qui seront-ils ? Rien n'empêche l'État de nommer un administrateur. Petite parenthèse, nous avons reçu l'enquête Igas sur ses relations entre la CNAVPL [Caisse nationale d'assurance vieillesse des professions libérales] et les différentes caisses. Il faut savoir que...
nos placements sont régis par un décret : on ne peut pas faire n'importe quoi de nos réserves, on ne peut pas aller acheter des bijoux place Vendôme par exemple. Eh bien, ce rapport Igas intègre des mesures de gestion de nos réserves (notamment la vente de notre vignoble) qui ne sont pas encore publiées par décret…. L'Igas anticipe le futur décret : il nous imposera de placer nos réserves en biens mobiliers et en obligations, afin d'utiliser l'argent beaucoup plus facilement. Ce qui veut dire qu'ils ont anticipé la récupération et l'utilisation de nos réserves… Pour résumer, rien n'a bougé depuis juillet… Rien. Il n'y a jamais eu de négociations, mais une explication de texte : asseyez-vous, taisez-vous, écoutez. Entre le projet initial et le projet actuel, pas une virgule n'a changé. Que ce soit les notaires, les avocats, les médecins, on est tous à l'équilibre. On n'a pas besoin d'argent ! On n'a pas besoin de se retrouver dans un grand système égalitaire dans lequel, en plus, on est perdants. Et qui ne donne aucune garantie sur le passé : on va tous s'intégrer dans un système en points… dont l'intérêt est de pouvoir varier la valeur du point. C'est amusant d'entendre le Gouvernement souligner que cela permet de garantir les choses. Regardez l'ASV, créé et suivi par l'Etat depuis le début : c'est le régime qui a le plus baissé en valeur du point, on a perdu 15,56% entre 1993 et aujourd'hui et la cotisation a triplé. Le seul régime en points qui est une catastrophe à la Carmf, c'est celui géré par l'Etat. Le même Etat qui nous dit : demain, je rase gratis. Comment voulez-vous qu'on y croit ? Qu'on croit à l'indexation des points, à l'augmentation régulière ? Ce n'est pas possible : pour augmenter la valeur du point, il faut augmenter les cotisations ou le nombre de cotisants. Or, on va dans le sens inverse. Et le tout maintenu dans 14% du PIB, ce qui est impossible. On nous chante une belle histoire… Nous, notre position, c'est de dire la vérité aux confrères et on la dira jusqu'au bout.
On sait très bien qu'on ne changera pas les décisions de l'Etat. C'est à chaque médecin, de juger si oui ou non il y a une justice à se voir priver de sa caisse de retraite. Pour moi, il n'y en a pas. Mais je ne ne me bats pas pour moi : j'approche la soixantaine, je suis un futur retraité qui ne sera pas théoriquement concerné, puisqu'appartenant à la génération 1960. Je me bats pour des principes et des idées. Pensez-vous que les médecins vont se mobiliser sur cette question ? Je ne sais pas… Puisque le Gouvernement dit depuis le début : ne vous inquiétez pas, ça ne vous touche pas. Ça s'apprend à l'ENA : quand vous voulez faire une réforme et que vous voulez éviter de faire trop de vagues, vous expliquez aux gens que c'est pour la génération d'après.
La sélection de la rédaction
Limiter la durée de remplacement peut-il favoriser l'installation des médecins ?
François Pl
Non
Toute "tracasserie administrative" ajoutée ne fera que dissuader de s'installer dans les zones peu desservies (et moins rentables)... Lire plus