L’annonce est tombée lundi 15 mars après-midi, peu de temps après celle de l’Allemagne. L’utilisation du vaccin AstraZeneca en France a été suspendue par Emmanuel Macron dans l'attente d'un avis de l'Agence européenne du médicament, après le signalement d'effets secondaires “possibles”. Une décision qui a surpris tous les Français, en particulier les médecins, engagés depuis le début de la campagne vaccinale, qui n’ont pas été tenus au courant avant la diffusion de la nouvelle dans les médias. Leurs réactions ne se sont pas fait attendre. 16h30, lundi 15 mars. Les articles et annonces télévisées fusent de tous les côtés. Le président de la République, Emmanuel Macron, vient d’annoncer la suspension temporaire d’utilisation du vaccin AstraZeneca dans l’attente d'un avis de l'EMA, quelques minutes seulement après que l’Allemagne a pris la même décision. La tension autour du vaccin produit le laboratoire suédo-britannique était déjà palpable depuis plusieurs jours, 7 pays européens ayant déjà décidé de stopper net son utilisation après le signalement d’effets secondaires “possibles”, notamment de trente cas inattendus d'événements thromboemboliques et de troubles de la coagulation. Mais la France avait jusqu’ici communiqué son entière confiance au vaccin. Le Dr Jérôme Marty, président de l’UFML Syndicat est en train de donner une interview sur la suspension du vaccin par plusieurs pays européens lorsqu’il apprend la nouvelle, stupéfait par cet effet domino et la forme de cette annonce. “C’est fou et méprisant pour les personnels qui portent à bout de bras cette vaccination, médecins, pharmaciens, infirmières…”, lâche le médecin généraliste de Fronton (Haute-Garonne). Les professionnels de santé engagés dans la campagne vaccinale ne sont avertis personnellement qu’après 21h par le biais d’un DGS-Urgent. “Cela faisait bien longtemps que tout avait été diffusé et faisait gorge chaude de tous les médias”, s'agace le Dr Ortiz, président de la Confédération des syndicats médicaux français (CSMF).
La colère monte alors chez de nombreux soignants qui ne comprennent pas une décision si soudaine. “Je croyais qu'on pouvait avoir toute confiance ! C'est ce que m'avait dit Castex. Ce n'est pas bien de mentir aux Français”, réagit par exemple un de nos lecteurs à l’annonce de la suspension. “C’est une décision incompréhensible, dénonce également le Dr Ortiz. Le matin encore, le ministre de la Santé en personne défendait ce vaccin en disant qu’il n'y avait pas à ce jour d’éléments d’inquiétudes majeurs.” Pourtant, c’est bien le principe de précaution qui a motivé la décision du chef de l’Etat, ce lundi 15 mars. Décision politique ou scientifique ? Alors que l’Agence nationale de sécurité du médicament indiquait dans la soirée que “peu de cas [d'événements thromboemboliques et de troubles de la coagulation, NDLR] ont été signalés en France, dont aucun cas de décès, dans le cadre de sa surveillance renforcée”, certains s’interrogent sur le fondement scientifique de cette suspension. "C'est vraiment du principe de précaution du politique. On protège le politique, on ne protège pas le patient", tacle le Dr Jean-Paul Hamon, président d'honneur de la Fédération des médecins de France. “J’ai encore dans l’oreille ce qu’expliquait très bien le Pr Véran qui disait que sur 5 millions de personnes non vaccinées, il y en a au moins autant qui font une thrombophlébite ou une embolie pulmonaire, si ce n’est plus”, ironise de son côté le Dr Ortiz. “Donc d’un point de vue scientifique, on est très interrogatifs. A moins que la présidence de la République ait des éléments que nous n’avons pas, mais à ce moment-là, je trouverai cela particulièrement grave parce que moi j’engage ma responsabilité et ma parole auprès de mes patients à l'échelon individuel.”
Si le président de la CSMF fait valoir que les Anglais qui ont vacciné plus de 10 millions de personnes avec AstraZeneca n’ont pas rapporté d’alertes à ce sujet, le président de l’UFML-S se montre prudent. “Il y a effectivement des doutes sur un certain nombre de choses, donc il est normal qu’il y ait des enquêtes”, soutient le Dr Jérôme Marty. Selon lui, même si les effets sont rares et infimes, il ne faut pas négliger les alertes des autres pays européens et vérifier s’il existe un lien de causalité entre le vaccin et ces cas de thrombose. S’il juge “difficile de porter un jugement sur le bien fondé de cette mesure [...] dans la mesure où on n’a pas tous les éléments du dossier”, le Dr Battistoni, président de MG France, prévient : il faudra un avis “très argumenté pour expliquer aux patients que cette décision est prise sur des arguments solides”.
“La pire des choses, ce serait d’avoir un avis qui ne serait pas très solide, et d’avoir une épée de Damoclès au-dessus de nos têtes avec la possibilité d’une nouvelle suspension”, alerte le généraliste de Ifs (Calvados), qui témoigne de la “situation très pénible et très difficile” dans laquelle se trouvent les médecins généralistes, obligés de décommander les rendez-vous pris avec leurs patients, sans pouvoir leur donner d’explications claires et de précisions sur la perspective d’une reprise. Sans compter ceux qui ont reçu leurs doses juste avant la suspension et pour qui le Dr Ortiz constate un certain “effet Nocebo”.
Bon... faut être pragmatique et décolérer. #AstraZeneca
— Le Doc (@Le___Doc) March 16, 2021
Même s'il n'y a pas d'argument scientifique étayé pour suspendre la vaccination, si cette suspension peut permettre de lever des doutes et améliorer l'adhésion future...
Espérons donc.
Vers une rupture définitive de la confiance ? L’Agence européenne du médicament (EMA) a fait savoir ce mardi qu’elle restait toujours “fortement” convaincue que “les avantages du vaccin AstraZeneca dans la prévention du Covid-19, avec son risque associé d'hospitalisation et de décès, l'emportent sur le risque de ces effets secondaires”, assurant par ailleurs quà l'heure actuelle, “rien n'indique que la vaccination ait causé ces problèmes. Ils n'ont pas été mentionnés dans les essais cliniques et ils ne sont pas répertoriés comme effets secondaires connus ou attendus”. Un premier avis qui rejoint celui de l’Organisation mondiale de la Santé favorable à la poursuite des injections avec AstraZeneca. De nouvelles conclusions sur les effets secondaires possibles, qui pourraient permettre aux pays européens de reprendre ou non la vaccination avec ce vaccin, ne devraient cependant pas intervenir avant jeudi 18 mars, à l’issue d’une réunion spéciale de l’EMA, faisant ainsi perdre encore plusieurs jours de vaccination aux professionnels de santé. “On ressent un désir puissant de la part des patients de pouvoir être vaccinés”, assure le Dr Battistoni. L’enjeu de ces conclusions tant attendues est double : bien sûr assurer la sécurité des concitoyens, mais également tenter de ne pas briser la confiance de la population en le vaccin AstraZeneca, déjà fragile. Pour le Dr Marty, cette suspension était cependant nécessaire pour rétablir la confiance : “Continuer une vaccination, alors que la plupart des patients ont la trouille et se retirent, ça ne sert à rien. Mais recréer la confiance est primordial. Cela passe par la preuve de l'absence de lien de causalité ou par la compréhension de ce lien de causalité qui pourrait permettre d’expliquer aux patients qu’il s’agit d’effets secondaires extrêmement rares et qui peut se dépister.” D’autres voient la chose d’une toute autre manière et estiment que cette suspension sonne presque la dernière heure d’AstraZeneca. “La suspension du vaccin D'Astra-Zeneca c'est perdant-perdant : pile, c'est justifié et on a fait courir un risque aux vaccinés; face, ça n'est pas justifié et on augmente encore la défiance vis à vis des vaccins. On n’est pas sorti de l'auberge…” a réagi sur Twitter le président de l'InterSyndicale nationale des internes (ISNI), Gaetan Casanova. “On voudrait tuer le vaccin AstraZeneca et on voudrait mettre un obstacle majeur à la vaccination, qu’on s’y prendrait pas autrement !” fulmine le président de la CSMF qui craint des “séquelles terribles et durables” sur la campagne, même si, dès ce mardi, le ministre de la Santé a tenté de rassurer.
La suspension du vaccin D'Astra-Zeneca c'est perdant-perdant :
— Gaetan Casanova (@CasanovaGaetan) March 16, 2021
- PILE : c'est justifié et on a fait courir un risque aux vaccinés
- FACE : ça n'est pas justifié et on augmente encore la défiance vis à vis des vaccins
On est pas sorti de l'auberge... pic.twitter.com/1LTjKwWAic
Pour ne pas briser cette confiance, le Dr Jérôme Marty assure qu’il est indispensable que l’ensemble des pays européens reprennent “en même temps” la vaccination pour lancer un message fort. “Si les décisions continuent à se prendre de façon différenciée suivant les pays, on ne recréera pas la confiance, effectivement, et AstraZeneca sera foutu.” Une chose est sûre : la façon de réagir de l’Union européenne et de la France dans les prochains jours sera décisive pour la suite de la campagne vaccinale contre le Covid-19, “seule issue possible pour sortir de cette épidémie” selon le Dr Ortiz.
Dans un message publié sur Twitter, ce mardi matin, l'Assistance Publique - Hôpitaux de Paris, par la voix de son directeur général, Martin Hirsch, a réagi à la suspension temporaire de l’utilisation du vaccin AstraZeneca. S’il ne fait aucun doute pour les hôpitaux parisiens que cet arrêt va accroître la “complexité” de la gestion de la crise sanitaire, alors que des déprogrammations en masse et des transferts de patients hors de l’Ile-de-France d’ores et déjà effectués. L’AP-HP, qui n’a de toute façon plus de doses disponibles pour vacciner patients et soignants pour les deux semaines à venir, assure qu’il n’a eu “aucune remontée d’effet indésirable type thrombose remonté par les personnes vaccinées” dans ses établissements. L’Assistance Publique - Hôpitaux de Paris note par ailleurs que le nombre de contaminations au sein de ses équipes s’est “stabilisé”, bien que 250 cas environ soient détectés chaque semaine.
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