Elles sont censées révolutionner la médecine de ville. Pourtant, 75 % des généralistes ne comprennent toujours pas ce que sont ces satanées communautés pluriprofessionnelles de territoires de santé (CPTS). C'est l'un des résultats saillants d'une enquête Ifop pour la Mutuelle du médecin, sur le plan santé 2022 et ce qu'il inspire aux médecins généralistes.* Les répondants sont même 25 % à déclarer avoir "très mal compris" la notion de CPTS. Au tant pour la révolution en médecine de ville ! "Les différents aspects du plan santé sont très largement méconnus par les médecins généralistes libéraux interrogés", résume Marie Gariazzo, directrice adjointe du département Opinion de l'Ifop, qui a coordonné l'étude. L'enquête prend son point de départ dans une impression : celle d'un certain "défaitisme de départ" des médecins vis-à-vis des réformes en santé, indique le Dr Arnault Olivier, qui préside la Mutuelle du médecin. Un paradoxe, alors même que le plan Buzyn est plébiscité (accès abonnés) par le grand public. Des assistants médicaux : pour quoi faire ? Autre dispositif phare de la politique de santé du gouvernement : les assistants médicaux. Alors que les assistants sont censés aider à récupérer du temps médical – une demande forte de la profession –, les deux-tiers des généralistes (65 %) se disent peu ou pas du tout intéressés. Pour un tiers d'entre eux (33 %), c'est même un refus franc et massif. Un effet des contreparties imposées en matière d'augmentation de la file active ou de la patientèle, largement dénoncées par les syndicats ? Les conditions d'éligibilité aux assistants médicaux, justement, restent assez opaques aux yeux des généralistes : un répondant sur deux déclare ignorer s'il sera éligible au dispositif. Même chez les médecins se disant éligibles (18 % de l'échantillon) l'enthousiasme est limité : environ un répondant sur deux (53 %) se dit intéressé. Pour les autres, c'est : merci mais non merci. L'objectif gouvernemental de 4000 assistants d'ici à 2022 semble quelque peu lointain.
Pour mémoire, le projet final d'avenant à la convention (signature prévue fin juin) prévoit deux conditions pour l'éligibilité aux assistants médicaux : exercer en secteur 1 ou secteur 2 Optam, et être engagé dans une démarche d'exercice coordonné. MSP, centre de santé, équipe de soins primaires, CPTS, maison de garde, association de permanence des soins : n'importe quelle organisation territoriale fait l'affaire, pour peu qu'elle soit reconnue par la commission paritaire locale.
Dans l'ensemble, l'enquête témoigne aussi d'une persistance d'une conception traditionnelle de la médecine libérale. Une majorité (55 %) des répondants se déclarent hostiles à la remise en cause du paiement à l'acte. Une opposition d'autant plus marquée que le médecin est âgé (63 % d'opposition chez les praticien avec plus de 30 ans de carrière) et exerce en cabinet individuel (61 %). Un avatar parmi d'autres d'une fracture générationnelle très palpable (voir encadré). Moi salarié ? Jamais ! pour 1/3 des MG Quant aux hôpitaux de proximité, censés favoriser la concertation entre hospitaliers et médecins de ville, ils se heurtent au scepticisme de la profession. Les deux-tiers (65 %) d'entre eux jugent que la refonte de la carte hospitalière (500 à 600 hôpitaux de proximité sont prévus d'ici 2022) ne sera pas efficace pour répondre à la problématique des déserts médicaux. Intégrer une structure salariée dans sa région est d'ailleurs hors de question pour un tiers (33 %) des répondants. Chez les autres, tout dépend de la rémunération : en moyenne, les répondants évaluent à 8377 euros le montant pour lequel ils seraient prêts à virer leur cuti. Avis aux pouvoirs publics : prévoir entre 5000 et 8000 euros brut par mois pour qu'un nombre substantiel de généralistes (45 %) envisagent de changer de mode d'exercice.
Un îlot de consensus dans cet océan de scepticisme ? Il est à chercher du côté des renforts médicaux : l'assouplissement du numerus clausus, avec l'augmentation du nombre de médecins qui devrait en résulter (+ 20 % annoncé par la ministre, une prévision sans doute optimiste), figure dans le trio des meilleurs outils de lutte contre les déserts médicaux chez 71 % des répondants. Déléguer, oui – au pharmacien, non Le délégation de tâches est aussi plébiscitée : elle est mentionnée par 56 % des répondants – surtout chez les jeunes. Dans le détail, la délégation de tâche aux orthoptistes (examen de la vue, lunettes) et aux infirmiers de pratique avancée (suivi de patients) font plutôt consensus, avec respectivement 78 % et 60 % de répondants favorables. Seule exception : la délégation aux pharmaciens (téléconsultation, vaccins) qui fait l'unanimité… contre elle : seuls 20 % des généralistes y sont favorables.
La télémédecine et la télé-expertise, qui décollent doucement avec la bénédiction précautionneuse de l'avenue Duquesne, semblent également recueillir les suffrages : 52 % des répondants les placent dans leur tiercé gagnant pour venir à bout des déserts médicaux.
Un des axes majeurs du projet de loi de santé, actuellement en cours d'examen au Sénat, vise à réformer la médecine de ville pour faire face aux défis de la désertification médicale et des maladies chroniques. Avec un mot d'ordre, défendu infatigablement par la ministre : refuser la coercition et faire confiance aux professionnels de santé libéraux pour s'organiser sur le terrain. Pas sûr que la confiance soit réciproque. * Enquête Ifop pour COMM Santé et La Mutuelle du médecin sur un échantillon représentatif (méthode des quotas) de 200 médecin généralistes libéraux, par questionnaire auto-administré en ligne du 29 avril au 14 mai 2019.
Ce n'est pas un scoop, les générations de médecins passent et ne se ressemblent pas. Cette différence apparaît nettement sur la question du paiement à l'acte : 63 % des praticiens aguerris (plus de 30 ans de carrière) s'opposent à sa remise en question, quand 39 % seulement des jeunes professionnels (moins de 15 ans d'exercice) le défendent. Idem pour beaucoup de réponses du sondage. Seuls 56 % des "vieux" médecins mentionnent la délégation de tâches médicales comme solution aux déserts médicaux, contre 71 % des "jeunes". Mais la fracture générationnelle n'est jamais aussi nette que sur la coercition à l'installation. L'obligation temporaire d'installation en zone désertée ne paraît pas si scandaleuse aux médecins en fin de carrière : 50 % d'entre eux le placent dans la liste des trois meilleurs outils de lutte contre les déserts. La mesure reste en revanche un repoussoir pour les jeunes, qui sont 18 % dans ce cas de figure. Comme s'ils se sentaient davantage concernés…
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