"Il n'y a pas de plus gros conflit d'intérêts" : nouvelle polémique sur les "fonds conventionnels" versés par la Cnam aux syndicats de médecins
La question se pose à chaque négociation, alimentant un climat de défiance et de suspicions : si les syndicats approuvent l'accord proposé par la Cnam, n'est-ce pas uniquement par appât du gain ? La signature de la convention conditionne en effet le versement par l'Assurance maladie des "fonds conventionnels". Un total de 2.7 millions d'euros que se partagent, chaque année, les syndicats de médecins libéraux signataires afin de former leurs cadres à la convention, notamment en vue de leur participation aux commissions paritaires locales (CPL), et d'indemniser l'organisation de réunions d'information et d'explication sur la convention.
En somme, "ce sont des frais de fonctionnement" de la vie conventionnelle, résume le Dr Richard Talbot, de la FMF. "Ces fonds conventionnels, et de manière générale les fonds du paritarisme, ne sont pas des fonds de financement des syndicats, insiste le Dr Franck Devulder, président de la CSMF. Ce n'est pas de l'argent que l'on nous donne. C'est un budget fléché, dépensé sur factures validées par le commissaire aux comptes et transmises aux services de l'Assurance maladie, réunion par réunion. C'est ultra vérifié par la Cnam."
La Caisse verse en temps normal trois avances (en juin, septembre et novembre) et un solde à la fin du printemps de l'année suivante, une fois les vérifications effectuées. L'échec des dernières négociations conventionnelles et la parution du règlement arbitral ont toutefois été à l'origine l'an dernier d'une "grande période de flou", explique Richard Talbot : "Pour nous, le règlement arbitral signifiait qu'il n'y avait plus de vie conventionnelle. Mais la Cnam a voulu continuer les commissions paritaires. On a dit ok, s'il y a des commissions paritaires, la vie conventionnelle continue… et les fonds conventionnels aussi."
"Arrêtez de prendre ce pognon"
La totalité de l'avance a finalement été perçue par les syndicats concernés… en novembre dernier, à quelques jours du lancement d'un nouveau cycle de négociations à la Cnam. Un "timing" qui a interpelé l'UFML, certains de ses membres n'hésitant pas à dénoncer sur les réseaux sociaux des syndicats "sous perfusion de la Cnam", voire à les accuser de "corruption".
"On a tapé du poing sur la table en disant maintenant, ça suffit, arrêtez de prendre ce pognon, il n'y a pas de plus gros conflit d'intérêts", proteste le Dr Jérôme Marty. Son syndicat se targue d'être le seul à avoir gravé dans le marbre de ses statuts le refus de tout financement qui serait lié à la signature conventionnelle. "Même si on signait, on ne pourrait pas en bénéficier", lance le généraliste toulousain, qui considère que cette condition pèse "évidemment" dans la décision de ses confrères syndicalistes.
Si pour Richard Talbot, le fait de bénéficier de ces fonds n'empêche nullement d'être "critique" vis-à-vis de la Cnam – "on préférera s'en passer et garder notre liberté de parole", assure-t-il –, leur versement ne devrait plus être conditionné à la ratification de la convention, reconnaît-il. De même, la participation aux CPL ne devrait pas être réservée aux signataires, estime-t-il. "Nous pensons que tout le monde devrait pouvoir bénéficier de ces fonds, y compris l'UFML, qui participe aux négociations conventionnelles, lance le représentant syndical. Même si évidemment si on coupe le gâteau en plus de parts, les parts sont plus petites…"
En l'occurrence, si 25% de ces fonds sont partagés équitablement entre les cinq syndicats signataires, c'est le nombre de sièges obtenus par chaque organisation au sein de la commission paritaire nationale (CPN) qui détermine la répartition du gros du pactole. Nombre de sièges qui est lui-même déterminé par le pourcentage de voix obtenues aux dernières élections aux URPS, en 2021. Avec 4 sièges au total, la CSMF, qui cumule le plus grand nombre de voix, récupère chaque année 810 000 euros, tandis que MG France et AvenirSpé, arrivés premiers dans leur collège respectif, ont chacun 3 sièges donnant droit à 641 250 euros. La FMF et le SML ne reçoivent, quant à eux, que 303 750 euros. Le taux de participation des médecins libéraux aux élections étant très faible, de gros écarts de pourcentages recouvrent en réalité de faibles écarts en nombre de voix. Et c'est ainsi que 3600 voix d'écart dans les urnes aboutissent à 450 000 euros de fonds en plus ou en moins pour les syndicats…
Pour Richard Talbot, les règles qui régissent l'attribution, la répartition, le montant et l'usage de ces fonds sont particulièrement floues. D'ailleurs, l'obligation de signer la convention pour toucher les fonds ne figure "nulle part" dans le code de la sécurité sociale, le texte de référence, insiste en particulier le syndicaliste.
L'article L1221-1-2 du code de la sécurité sociale mentionne seulement le financement de la "participation des organisations syndicales représentatives des professionnels de santé libéraux conventionnés à la vie conventionnelle" et une répartition des fonds "selon des modalités fixées par décret en Conseil d'Etat". Un texte d'application que la FMF réclame sans relâche à la Cnam depuis "plus de dix mois". "On le demande à chaque rencontre à Marguerite Cazeneuve ou Thomas Fatôme, à chaque fois on nous répond qu'on nous l'enverra sous 48 heures… et on ne l'a pas", déplore Richard Talbot. Les demandes d'Egora resteront également lettre morte.
"Le fait que ce soit fléché sur la formation des cadres n'est écrit nulle part non plus", pointe le représentant de la FMF. "Ça limite beaucoup les choses", considère-t-il, signalant par exemple que la participation des représentants syndicaux aux nombreuses réunions de négociations conventionnelles, ainsi que les frais de déplacement ou d'hébergement engagés dans ce but, ne sont pas indemnisés, comme c'est le cas pour...
les commissions paritaires (à hauteur de 13 C + frais, précise-t-il). "On a une gestion totalement opaque, dénonce-t-il. En gros, le directeur de l'Uncam fait ce qu'il veut alors qu'il est marqué [article D221-28 du code de la sécurité sociale, NDLR] que les partenaires conventionnels décideront du montant et de la répartition des fonds. On aimerait bien un petit peu de gestion paritaire." Le syndicat voudrait que les fonds soient répartis sur la base du pourcentage de voix aux élections URPS, plutôt que sur le nombre de sièges à la CPN.
Une enveloppe gelée depuis 2007
Après avoir formulé sans succès un "recours amiable" auprès de la Première ministre fin septembre, la FMF a saisi le Conseil d'Etat début décembre. Le syndicat espère non seulement obtenir la levée de l'obligation de signature de la convention, mais également la participation à la gestion paritaire du fonds de soutien aux actions conventionnelles, doté de 383 millions d'euros en 2021, duquel sont tirés les 2.7 millions d'euros de fonds conventionnels pour les médecins et qui pour moitié finance l'Agence nationale du DPC.
La FMF réclame par ailleurs une réévaluation de la dotation versée aux syndicats médicaux, dont le montant est gelé… depuis 2007. Richard Talbot souligne avec ironie que les médecins ne sont toutefois pas les plus à plaindre car les autres professions de santé conventionnées que sont les pharmaciens, les infirmières ou encore les kinés ne touchent rien du tout.
Enfin, le syndicat réclame l'application de l'article 83 de la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2021 qui prévoit une source de financement complémentaire pour les syndicats représentatifs des professionnels de santé libéraux conventionnés, en l'occurrence une "fraction" de la contribution versée par chaque soignant pour le financement des URPS. Si la FMF "n'est pas foncièrement pour" cette piste de financement, qui priverait les URPS (en particulier les plus petites) d'une partie de leurs ressources et reviendrait à instaurer, de fait, une cotisation obligatoire des médecins aux syndicats, elle insiste sur la nécessité de financer davantage les syndicats.
"Le véritable enjeu est là", approuve Franck Devulder. "Le fait qu'il n'y ait pas de financement des syndicats médicaux autre que les cotisations - qui sont plutôt à la baisse qu'à la hausse, y compris pour les grandes centrales de syndicats de salariés - est un problème, insiste le président de la CSMF. Si on veut avoir une démocratie assagie, avoir des échanges et éviter que la rue devienne le théâtre de toute revendication, il faut donner aux corps intermédiaires les moyens de leur fonctionnement, de jouer le rôle qui est le leur… y compris les moyens de dire 'je ne signe pas'."
Mais pour ce qui est des fonds conventionnels, le président de la CSMF ne se prononce pas, s'en remettant à la "lecture" légale des juges du Conseil d'Etat. "J'attends leur décision avec beaucoup d'attention", confie-t-il.
D'autant que la FMF n'est pas le seul syndicat médical à mener ce combat. L'UFML révèle à Egora qu'il s'apprête également à saisir le Conseil d'Etat sur la question, espérant en cas de victoire obtenir la rétroactivité des financements dus – si ce n'est depuis sa création en tant que syndicat en 2017, au moins depuis la reconnaissance de sa représentativité suite aux élections de 2021. "L'objectif premier du recours, c'est de valider le fait que ces fonds ne sont en aucun cas liés à la signature de la convention et que cet argent doit être partagé entre tous ceux qui participent à la vie conventionnelle, au prorata du pourcentage de voix obtenus aux élections", explique le Dr Philippe Pizzuti, de la cellule juridique de l'UFML. "Le directeur de la Cnam s'oppose à la loi, estime-t-il. La Caisse nous doit énormément d'argent depuis sept ans." "Si le Conseil d'Etat nous donne raison, il va falloir qu'un certain nombre de syndicats nous rendent de l'argent", prévient Jérôme Marty.
En août 2016, après cinq mois de négociations difficiles, la Cnam signait la dernière convention médicale aux côtés de seulement… trois syndicats. Si MG France, la FMF et le Bloc avaient accepté de la parapher, les deux autres organisations représentatives - SML et CSMF - l'avaient finalement refusée, se privant des fonds conventionnels. Les deux syndicats protestataires n'ont signé la convention qu'en 2018, à la faveur de l'avenant 6 sur la télémédecine.
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Michel Rivoal
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