Ils ont clos l’année sans blouse blanche. Du 25 au 31 décembre, une partie des médecins de Corse ont fermé leur cabinet et fait grève. Objectif clairement énoncé : porter leur voix auprès des autorités, en pleines négociations conventionnelles avec les syndicats représentatifs. Et ainsi faire reconnaître les spécificités de leur exercice médical insulaire, miné par un cumul de difficultés. A l'initiative du mouvement se trouve le jeune collectif ML Corsica, formé en juin, qui regroupe 300 médecins libéraux – sur les 550 de l'île. 70% de ses membres ont suivi l’appel, selon ses estimations. "La colère provoquée par la loi Valletoux nous a réunis. Dans nos discussions, ce qui revient sans cesse est ce problème d'accès aux soins et la manière dont on le vit - très mal - dans nos cabinets, raconte le Dr Cyrille Brunel, porte-parole de ML Corsica. Alors on a travaillé pour trouver des solutions." Le médecin reconnaît que l’île n’est pas le seul territoire à faire face à ces difficultés - il est même devenu commun d’admettre que la France entière est un grand désert médical. Mais il insiste : leur île cumule les obstacles. Il y a, d’abord, ce manque chronique de médecins, en particulier spécialistes - au 1er janvier 2023, on comptait 164 spécialistes pour 100 000 habitants, contre 194 au niveau national. "La Corse est la seule région dans laquelle il n’existe pas de CHU ni de CHR, relevait en 2018 le Centre économique, social, environnemental et culturel de Corse. Du fait du plateau technique limité des centres hospitaliers insulaires, les malades doivent s’adresser aux CHU du continent pour certains soins spécialisés." L’Assurance maladie enregistre environ 18 000 déplacements annuels vers le continent pour raison médicale. "Sur le continent, si vous avez du mal à trouver un spécialiste dans votre territoire, vous prenez votre voiture et vous allez plus loin. En Corse, s’il n’y a pas de dermatologue sur l’île, par exemple, vous n’allez pas voir de dermato", résume Cyrille Brunel. Généraliste et diplômé en médecine du sport, il a lui-même adapté son exercice du fait de l’absence de rhumatologue et de rééducateur fonctionnel en Haute-Corse. "Actuellement, je ne suis quasiment que des personnes âgées pour des problèmes articulaires", précise-t-il. Avec des délais de trois mois.
Patientèle âgée et dépendante Dans le même temps, la population corse fait partie des plus âgées du pays. Un tiers avait plus de 60 ans au 1er janvier 2020, et 11% plus de 75 ans – contre 9% en France métropolitaine. Conséquence : la patientèle des médecins libéraux est plus fragile, polypathologique, voire dépendante. S’ajoutent à cela les contraintes géographiques de ce territoire insulaire et montagneux, traversé par des routes vieillissantes et sinueuses, sans autoroute. Autant d’arguments avancés par ML Corsica pour demander un statut corse spécifique, à l’image des départements et territoires d'Outre mer. "La Corse se trouve dans une situation similaire à celle des DOM-TOM. A deux différences principales près : nous n’avons pas de CHU, et le coût de la vie, plus élevé [7% par rapport à la France “de province” selon les derniers chiffres de l’Insee, NDLR], n’est pas pris en compte dans nos honoraires, alors que c’est le cas dans les DOM-TOM." "Ile-montagne" Fort de ces revendications, le collectif a sollicité en octobre une rencontre avec l’Assurance maladie et l'a obtenue. L’option d’un statut spécifique pour la Corse n’a pour l’heure pas été retenue : les autorités ont plutôt accepté de réfléchir à des mesures dérogatoires spécifiques à la "zone montagne". Contactée par Egora, la Caisse nationale de l'Assurance maladie (Cnam) assure qu’elle "est soucieuse de la prise en compte de toutes les dimensions territoriales, en particulier la Corse et son caractère 'd’île montagne'. Le collectif est en contact régulier avec les directeurs des CPAM concernées ainsi qu’avec l’ARS". "Le problème, c’est que ça ne prend pas en compte l’absence de CHU, ni l’insularité", rétorque le Dr Cyrille Brunel. Le collectif a tout de même développé six propositions, dans un document transmis aux autorités début novembre. Egora l’a consulté. Pour mieux prendre en charge des patients le plus souvent âgés, polypathologiques ou en ALD, les médecins demandent une valorisation de leur travail nécessairement plus long. En particulier, "l'ouverture à d'autres critères" des cotations MCX et MTX pour les consultations complexes et très complexes, ainsi qu'une utilisation sans restriction trimestrielle de la VL (consultations complexes à domicile). D’autres propositions concernent les difficultés de transports, l’éloignement des patients des médecins ("6,6% de la population se situent à plus de 20 minutes du médecin le plus proche, contre 0,4% au plan national") ainsi que "l’insuffisance des transports médicalisés" et leur coût. Le collectif suggère donc de doubler la majoration...
de déplacements. Également de rendre possible le cumul à taux plein de deux actes techniques, et celui d’un acte clinique et un autre technique - pour un maximum de deux actes. Dans la même logique, et compte tenu de l'âge avancé de leur patientèle, les praticiens de ML Corsica demandent d’autoriser la téléconsultation par téléphone - "uniquement à l'initiative du médecin dans le cadre d'un suivi". Pour l’heure, le collectif attend les retours des autorités : l’Assurance maladie affirme qu'"il est bien prévu que [les revendications] soient intégrées à [leurs] discussions" lors des négociations conventionnelles. "La Cnam s’est engagée à travailler sur ce sujet en janvier", précise-t-elle encore.
"On n’a jamais réussi à fédérer autant de monde” Toujours est-il que le collectif a obtenu le soutien des parlementaires de l’île, ainsi que des syndicats nationaux. "Je suis syndicaliste de longue date, et pourtant il me semble qu’on n’a jamais réussi à fédérer autant de monde sur l’île", assure le Dr Thierry Dahan, délégué régional de MG France, aussi membre de ML Corsica. "Bien sûr, le collectif est hétérogène et nous ne sommes pas d’accord sur tout. Mais on est parfois plus proches entre médecins corses de sensibilité syndicale différente qu'au sein d'un même syndicat national." Lui est installé à Cozzano (Corse-du-Sud) depuis trente ans. Il est le dernier médecin de son secteur, "territoire rural et montagneux", avec "une population dispersée, des accès difficiles, de la neige l’hiver". Au fil des ans, le généraliste a dû "complètement modifier" son exercice : il ne travaille plus que sur rendez-vous, a abandonné les visites à domicile, voit ses délais culminer jusqu’à 15 jours l’été. Il s’est même spécialisé dans la cardiologie en se formant à l'échographie - "Je suis à plus d'une heure et demi de route du premier cardiologue." Alors, face à ces difficultés croissantes, celui qui n'a jamais pris de vacances s'est décidé à retirer sa blouse une semaine, pour la grève - sauf en cas d'urgence. "Ça a été un gros dilemme, mais si je ne fais rien, ce sera encore pire, souffle-t-il. J'ai 60 ans cette année, la suite m’angoisse beaucoup, pour mes patients." S’il affirme qu’il continuera jusqu’à la retraite, il cite ce collègue qui, bientôt retraité, a préféré abandonner le libéral pour être salarié à l'hôpital. Il n’est pas une exception. Et ces réorientations alimentent un cercle vicieux qui grignote encore plus l’attractivité de la Corse. Au sein du collectif, Cyrille Brunel estime à 30% le nombre de médecins de plus de 60 ans : "Certains sont en cumul emploi-retraite et disent qu'ils vont arrêter ; beaucoup pensent aussi à se salarier. D'autres - pas la majorité - s'interrogent sur le déconventionnement. On est une partie à vouloir rester dans le soin libéral, mais on se demande comment, pour ne pas exploser." C'est pourquoi le collectif ne compte pas s'arrêter à la grève de décembre. Pour le moment, les médecins attendent. S'ils n'obtiennent rien de favorable à l’issue des négociations conventionnelles, une majorité penchera pour la grève illimitée, selon Cyrille Brunel : "On a discuté, travaillé, présenté nos propositions. Jusqu'à présent, on est restés dans leurs cadres. Si ça n'aboutit pas, on en sortira."
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