De quoi s'agit-il ? Les complémentaires santé ont, toutes choses égales par ailleurs, fait des économies pendant le confinement du fait de la réduction d'un certain nombre de dépenses de santé qu'elles contribuent à solvabiliser (les consultations de ville notamment). L’Etat a décidé d'un prélèvement, d'une taxe, sur les complémentaires à hauteur de 1,5 milliard d'euros. Le sujet se joue dans le cadre du Projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) 2021. La rationalité est incontestable. Pour les finances publiques à court terme, du moins. A moyen terme, les retards de prise en charge produiront un effet rebond sur les dépenses, qu’il s’agisse de soins décalés dans le temps ou de situations dégradées par un défaut de dépistage ou de soin. Au risque d’accroître les cotisations à venir. Notons aussi que la propension à créer des taxes plutôt que de faire jouer les mécanismes de marché apparaît pavlovienne. L’industrie du médicament l’éprouve chaque année. Mais élevons un peu le regard. Dans un monde économique normal, une moindre dépense devrait bénéficier aux assurés sur les primes d'assurance qu’ils acquittent. C'est, bon an mal an, ce qu'il se passe quand la réduction du nombre d'accidents de la route limite les dépenses liées à ces sinistres, grâce à la pression de la concurrence, il est vrai. Pourquoi n'en va-t-il pas de même en matière d'assurance santé ? Parce qu'on a bâti collectivement au fil des ans un système pervers qui a, peu à peu, réduit la liberté des complémentaires santé en les transformant en amortisseur des déremboursements du petit risque.
Derrière un voile d'ignorance savamment tissé. Un des principes est que la part faciale de prise en charge des dépenses de santé par la solidarité nationale ne doit pas baisser. Un autre principe est que les prélèvements obligatoires ne sauraient augmenter. Entre ces deux principes, l'ajustement se fait par le prélèvement « volontaire » sur les assurés (à hauteur de deux points de PIB). La confusion entretenue sur le rôle respectif de l'assurance maladie obligatoire et des complémentaires fait qu'on va parfois se focaliser sur l'accessoire (la couverture du secteur de l'optique en est le plus bel exemple, à coup de sursolvabilisation marketing à une époque ou à travers le RAC zéro aujourd’hui, lequel mobilise largement...
les complémentaires et justifiera des hausses de cotisations significatives dans la durée), au risque d'occulter les vrais sujets d'accès ou de renoncement aux soins : la « participation » des usagers pour les séjours hospitaliers longs en est un exemple. Ajoutons que pour corriger les défauts d’un système mobilisant de plus en plus l’assurance complémentaire et rendant peu supportable le défaut de couverture, on a tendu à « universaliser » celle-ci, voire à la rendre obligatoire, justifiant une régulation toujours plus forte. Et la boucle était bouclée. Plutôt que de recourir à des expédients, tels que le prélèvement d’un milliard et demi d'euros prévu au PLFSS, il faudra bien un jour reposer la question des rôles respectifs de chacun.
François Fillon avait maladroitement posé le sujet en 2016 entre « petits risques » et « gros risques ». Martin Hirsch et Didier Tabuteau évoquent régulièrement l’extension du périmètre obligatoire... Quelle que soit la solution, il importe de redonner un autre sens à l'assurance maladie complémentaire que celui de supplétive de la solidarité nationale. Ça va finir par se voir...
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