"L’épidémie est-elle une chose trop grave pour la confier à des médecins ?"

08/01/2021 Par François Chast
Les médecins des hautes institutions comme la Haute Autorité de santé (HAS), le Comité consultatif national d'éthique (CCNE) ou la Direction générale de la santé (DGS), sont-ils à la hauteur d'enjeux nationaux, tel que le lancement d'une vaste campagne vaccinale. C'est la question que se pose François Chast, pharmacien des hôpitaux de Paris et co-président du comité opérationnel qualité, gestion des risques, vigilances, relation avec les usagers. Pour lui la réponse est non. Dans cette tribune que nous publions, il leur reproche "bévues, impréparation, insuffisance pédagogique", mais aussi "aucun enthousiasme et aucune dynamique". D'autres grandes voix soutiennent ce constat, comme le généticien Axel Kahn qui déplore également un manque "d'enthousiasme" des décideurs.

  Clémenceau tonitruait : "La guerre ! C’est une chose trop grave pour la confier à des militaires". Faudrait-il en déduire par analogie qu'une "épidémie est une chose trop grave pour la confier à des médecins" ? Que des hauts fonctionnaires soient incompétents dans le domaine sanitaire serait dans l'ordre des choses. Mais ne nous y trompons pas, les bévues, l'impréparation, l'insuffisance pédagogique, et parfois l'incompétence que nous avons constaté ces derniers mois et tout particulièrement lors de la période vaccinale qui vient de s’ouvrir, sont le fait, non pas de haut-fonctionnaires, mais de médecins. Quand on voit des médecins de haut niveau patauger dans les hésitations, les informations inexactes, et le doute, on peut être découragé de notre capacité à relever la tête et se désespérer des moyens mis en œuvre dans la lutte contre l'épidémie. Qui assume les responsabilités à la tête de nos administrations (DGS) ou dans les grandes institutions qui ont à s'occuper de santé publique (HAS), ou d’éthique médicale (CCNE). A la DGS, le mot d’ordre est resté : « ne vous inquiétez de rien… »  

  • Le 7 décembre : "La vaccination est une démarche européenne, la Haute autorité de santé a défini une stratégie. "Les Ehpad sont la priorité numéro 1 pour la vaccination. La logistique est en place".
  • le 17 décembre 2020 :  "La logistique est évidemment en place depuis plusieurs semaines"

  A la HAS, le mot d’ordre semble être : « méfions-nous ! »   La doctrine est résumée dans un document scientifiquement remarquable mais dont l’intérêt pratique est voisin de zéro : Stratégie de vaccination contre le SARS-CoV-2 (…) Validé par le Collège le 23 décembre 2020) Extraits :

  • Les résultats de l’enquête CoviPrev (…) mettent en exergue une réserve quant à la vaccination contre la Covid-19 en population générale, essentiellement liée à un manque de données sur la sureté des vaccins ».
  • "A ce jour aucun corrélat immunologique de protection n’a été établi pour la Covid-19".
  • "Aucune donnée immunologique n’est disponible chez des populations vaccinées présentant une comorbidité, une obésité ou une immunodépression"
  • Ce qui est pourtant contredit : "Cette efficacité semble similaire quels que soient : ‒ l’âge des sujets, avec notamment une efficacité chez les personnes de 65 ans ou plus de 94,7% (IC95%=[66,8-99,9]) ; ‒ leur sexe; ‒ leur IMC ; ‒ et la présence ou non de comorbidités associéesé.

Puis la HAS souligne le fait que de nombreuses données sont manquantes :

  • "Absence de données disponibles sur l'interchangeabilité du vaccin à ARNm Covid-19 BNT162b2 avec d’autres vaccins Covid-19 pour compléter la série de vaccination. (…)" - évidemment puisqu’un seul vaccin est disponible au moment des études
  • "Absence de données d’efficacité à plus long terme (…)" - La HAS suggère-t-elle d’attendre pour autoriser la commercialisation du vaccin ?
  • "Absence de données d’efficacité sur la transmission du virus" - A-t-on des données chez les vaccinés contre la grippe saisonnière ?
  • "L’efficacité vaccinale chez les femmes enceintes et les enfants ?" Ce n’est pas le sujet puisque l’AMM exclut les femmes enceintes et les enfants.

  Le CCNE n’est pas en reste. Un mot d'ordre ? : "prendre en considération les visions divergentes" Il a publié son avis le 18.12.2020 : Enjeux éthiques d’une politique vaccinale contre le SARS-COV-2. Le manque d’enthousiasme se lit à toutes les pages (extraits) :

  • Il ne faut pas sous-estimer les incertitudes qui subsistent, et être pleinement conscients des défis sociétaux et éthiques qui devront être relevés pour construire une vraie politique dans ce domaine.
  • Il est souvent apparu légitime d’accorder la priorité aux actes qui bénéficient à la collectivité, mais celle-ci doit prendre en considération les visions divergentes qu’expriment les différents groupes de personnes vis-à-vis de la vaccination.
  • Toute vaccination implique le consentement de la personne, qui devrait être appréhendé comme un « assentiment » délivré au cours d’un processus d’information et de recueil de la volonté en plusieurs temps et selon des modalités adaptées à la personne

Au total, aucun enthousiasme, aucune dynamique.  La France a reçu un million de doses vaccinales depuis la mise sur le marché du premier vaccin. Elle en aura reçu trois à quatre millions d’ici la fin du mois de janvier. Rien ne justifierait que les Français n’en bénéficient pas, ou pas entièrement. Attention, les vaccins se périment plus vite que les masques…  Les hauts fonctionnaires et la bureaucratie qu’on vilipende volontiers, ne sont pas responsables de la déshérence de la situation que nous connaissons. Ce sont des médecins qui, placés à la tête des institutions sanitaires, sont aux manettes et donc responsables des hésitations, des atermoiements, des tâtonnements que nous constatons. Ayons l’honnêteté de remettre en cause ce qui doit l’être.   L’épidémie est-elle si sérieuse que nous soyons contraints d'aller chercher un militaire ?

 
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