"Les étudiants vont se détourner de la médecine générale" : pourquoi la 4ème année d'internat ne résoudra pas le problème des déserts

03/02/2022 Par Marion Jort
Valérie Pécresse, Anne Hidalgo, Jean-Luc Mélenchon… Les candidats à l’élection présidentielle sont de plus en plus nombreux à se prononcer en faveur d’une quatrième année d’internat de médecine générale dans une zone sous-dotée. Opposée à toute contrainte, l’InterSyndicale nationale autonome représentative des internes de médecine générale appelle à ne pas y voir une solution pour résoudre le problème des déserts médicaux. Pour sa présidente, Mathilde Renker, le risque de cette "coercition déguisée" est le détournement de la spécialité par les nouveaux internes et un contenu pédagogique au rabais.  

 

Egora.fr : Les candidats se succèdent pour inclure une quatrième année d’internat de médecine générale obligatoire dans une zone sous-dotée dans leur programme. Votre syndicat tire la sonnette d’alarme. Pourquoi ?  

Mathilde Renker : Ces candidats à la présidentielle présentent la quatrième année d’internat de médecine générale comme la résolution de la problématique de démographie médicale et d’accès aux soins. Cela n'a pas de sens car, selon nous, si une quatrième année doit être mise en place, elle doit se faire au bénéfice des premiers concernés… c'est-à-dire au bénéfice des internes. En aucun cas, elle doit être la solution pour pallier ce problème. A aucun moment, ces candidats évoquent le contenu pédagogique, le contenu de la formation. Or, puisqu’on parle d’étudiants en médecine, c’est la base.  

 

Considérez-vous leurs propositions comme de la coercition déguisée ?  

Complètement. Cela pose, à nos yeux, beaucoup de questions. C’est très problématique.  

 

En quoi est-ce problématique ?  

Avant toute chose, il faut préciser que les internes ne veulent pas se voir imposer quoi que ce soit. Ce n’est pas parce qu’ils n’ont pas envie d’exercer dans ces territoires, mais parce qu’on ne sait pas quelle sera l’offre de formation dans ces territoires. S’il s’agit d’envoyer des internes seuls dans des endroits sans supervision, ce serait dangereux pour eux et leurs patients. On parle d’une quatrième année d’internat : il faut que ça soit quelque chose de formateur. Par conséquent, il faut que les capacités de formation soient au rendez-vous, surtout dans certaines zones où il n'y a aucun médecin. Ce n’est pas en mettant un interne tout seul dans un cabinet sans supervision, même indirecte, que ça va résoudre quoi que ce soit sur le plan de l’accès aux soins.  

 

Selon vous, l’ajout d’une quatrième année obligatoire dans une zone sous-dotée ne sera pas sans conséquences pour la spécialité de médecine générale. Qu’entendez-vous par là ?  

Ce qu’on craint surtout, c’est que cette obligation d’une année dans une zone sous-dotée crée un déficit d’attractivité de la spécialité de médecine générale. Depuis plusieurs années, l’ensemble des postes - c’est une excellente nouvelle - de médecine générale sont pourvus après les ECNi. Mais que risque-t-il de se passer si on ajoute une quatrième année contraignante ? Les étudiants vont s’en détourner. D’autant que l’obligation n’existerait pas dans les autres spécialités ! Quand un futur interne fait ses choix, n’oublions pas qu’il a entre 27 et 30 ans : c’est normal qu’à cet âge, il ait des envies de territoires, une famille, besoin d’une vision sur les cinq, dix prochaines années… Au moment de faire son choix, il mettra forcément en balance les...

contraintes de la médecine générale avec ses envies. De plus, nous estimons qu’il y a un risque de médecine à deux vitesses car dans ces zones sous-dotées, les internes changeront tous les six mois ou, au mieux, tous les ans. Cela n’a pas vraiment de sens : nous avons besoin de suivre nos patients. Ce changement récurrent n’est pas une réponse adaptée à la problématique qui nous préoccupe actuellement.  

Je préfère donc retourner la question : ne serait-il pas plus intéressant d’aider les futurs médecins à la construction de leurs projets professionnels ? De les accompagner pour qu’ils aient envie de s’installer. Ce qu’on demande, c’est qu’on nous facilite les démarches, par exemple en permettant la signature d’un contrat de début d’exercice. En accompagnant concrètement les internes, il y aura peut-être plus de projets de vie dans les territoires.  

 

Le Pr Diot, Doyen des doyens, a estimé, dans une interview accordée à Egora, qu’il y a un vrai intérêt pédagogique dans l'ajout de cette quatrième année d’internat. Le rejoignez-vous ?  

Il est vrai que nous avons identifié des thématiques où nous avons besoin d’un complément d’enseignement, à commencer par la gestion du cabinet ou le management. A l’heure actuelle, nous n'arrivons pas à savoir clairement à la fin de nos études quelles sont les démarches à faire pour nous installer, comment fonctionne l’installation. En quelque sorte, on passe d’interne à ce qu’on pourrait presque considérer comme un chef d’entreprise. On doit gérer un cabinet, le secrétariat, l'Urssaf, la Carmf, les inscriptions administratives. Les internes ont montré qu’il y avait des manques sur ces points-là. Donc, si la quatrième année est faite pour y répondre et que ça permet aux internes de mieux s’installer par la suite, d’être mieux préparés à leur exercice futur… pourquoi pas. Dans tous les cas, la construction doit se faire avec les internes et pas sous l’égide de la démographie médicale.  

 

Vous n’êtes donc pas totalement opposés à la quatrième année du DES de médecine générale ? 

Oui et non. Tout va dépendre de ce que sera cette quatrième année et comment elle sera mise en place.  

 

Qu’en attendez-vous ? 

Pour commencer, qu’il n’y ait évidemment pas d’obligation de stage en zone sous-dense. Mais nous souhaitons aussi qu’il y ait un statut particulier pour les docteurs juniors ambulatoires, car celui des hospitaliers, qui est mis en place dans le cadre de la réforme du troisième cycle des études de médecine, n’est pas tout à fait adapté. Il faut par ailleurs faire de cette année une vraie année professionnalisante et adaptée au projet professionnel de l’interne, que ça l’aide à le peaufiner et finalement s’implanter sur le territoire qu’il a choisi, que ça l’aide à en rencontrer les acteurs. Il faut des...

cours sur la gestion du cabinet. Enfin, il faudrait revoir la maquette.  

 

Que souhaitez-vous changer dans la maquette ? 

Le fait de faire un stage en gynécologie et un stage en pédiatrie, comme c’est le cas actuellement, bloque les internes. Ce que nous souhaitons*, c’est les coupler afin qu'on puisse enfin avoir un stage libre. Il faut savoir que la maquette de médecine générale est l'une des seules à être extrêmement rigide. Et puis, en cas de quatrième année, il faudra qu’elle puisse se dérouler sur le territoire que l’interne a choisi et que ce soit une année en collaboration avec un praticien mais toujours avec un maître de stage universitaire qui pourra faire les rétroactions pédagogiques qui seront nécessaires. Cette modalité d’exercice serait contractualisée par la réalisation d’un “contrat de collaborateur” sur le modèle de ceux qui existent aujourd’hui. Nous souhaitons aussi déterminer un maximum de 30 consultations par jour en moyenne en stage pour permettre aux internes de ne pas faire des journées trop chargées, et un minimum de qualité de vie et de formation.  

 

Les internes peuvent remplacer dès qu’ils ont effectué trois semestres. Le Pr Diot a estimé que les internes de quatrième année de médecine générale pouvaient par conséquent être en autonomie pendant un an…  

Dans ce cas, cela va à l’encontre du principe de la quatrième année, qui se veut être une année de formation avec une valeur ajoutée pédagogique. Si on est en autonomie totale, quel intérêt a-t-on encore d’être interne ? D’ailleurs, les internes remplacent rarement à partir du troisième semestre. Cela arrive bien évidemment, mais c’est moins courant d’avoir des internes de troisième semestre qui remplacent que des internes de cinquième ou sixième semestre.  

 

Cette quatrième année reviendrait-elle à un actuel stage ambulatoire en soins primaires en autonomie supervisée (Saspas) élargi ?  

Oui, avec des patients qui ne seraient pas des patients du maître de stage universitaire. C’est là toute la différence : il y aurait une implication dans la vie du cabinet, de la maison de santé, quelle que soit la structure. Et puis, on aimerait pouvoir travailler dans des structures annexes, comme faire des journées en PMI, en Ehpad, en Cams pour permettre d’intégrer le projet professionnel dans le territoire. Ça créera sûrement des envies, des projets variés, en couplant un exercice dans plusieurs structures.  

 

Pour l’instant, même si beaucoup évoquent cette quatrième année, rien n’a été décidé officiellement. Où en sont les discussions ?  

Elle semble en effet actée dans la tête de beaucoup de gens, nous ne savons toujours pas à l’heure actuelle quand elle sera mise en place. Aucune annonce officielle ne nous a été faite, nous n’avons eu aucune sollicitation. Nous ne savons pas non plus quelle promotion d’internes cela va concerner. Si certains pensent à la rentrée universitaire prochaine, je crains qu’il soit déjà tard pour ouvrir les discussions.  

L’intégralité des contributions de l’Isnar-IMG sur la maquette du DES de médecine générale en 4 ans est à retrouver en ligne.  

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Alan Fouille

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