Dans quels cas un médecin peut-il déroger au secret médical?

18/10/2021
Les révélations sur les abus sexuels au sein de l'Eglise catholique ont engendré une polémique sur le secret de la confession, jugé par le président de la Conférence des évêques de France comme "plus fort que les lois de la République". Tout aussi sacré est le secret qui s'impose au médecin. Mais la loi l'oblige ou l'autorise à y déroger dans bien des situations, notamment en cas de "sévices sexuels" sur mineurs ou de violences conjugales. 

C'est l'un des devoirs les plus anciens qui s'impose au médecin. Le devoir de "discrétion" dû au patient est inscrit dans le serment d'Hippocrate originel, rédigé probablement au IVe siècle avant Jesus Christ. Un serment sacré juré "par Apollon, médecin, par Asclépios, par Hygie et Panacée, par tous les dieux et toutes les déesses" et qui oblige le médecin admis dans l'intimité du patient, "quoi qu'[il] voit ou entende", "même hors de l'exercice de [sa] profession" à taire "ce qui n'a jamais besoin d'être divulgué, regardant la discrétion comme un devoir". Si le serment moderne prêté par le jeune médecin ne prend plus les dieux à témoin, il impose encore au médecin un devoir de discrétion décrit en ces termes : "Admis(e) dans l’intimité des personnes, je tairai les secrets qui me seront confiés. Reçu(e) à l’intérieur des maisons, je respecterai les secrets des foyers et ma conduite ne servira pas à corrompre les mœurs." 

 

La violation sanctionnée 

"Chronologiquement", c'est le code pénal, en sanctionnant toute violation du secret professionnel, "qui va donner un support légal à cette obligation", rappelle l'Ordre des médecins sur son site. L'article 226-13 stipule que "la révélation d'une information à caractère secret par une personne qui en est dépositaire soit par état ou par profession, soit en raison d'une fonction ou d'une mission temporaire, est punie d'un an d'emprisonnement et de 15.000 euros d'amende". 

Les codes de déontologie successifs ont fourni une définition plus explicite et fondée sur l'exercice de la médecine. La règle est formulée dès l'article 4 du code "pour en montrer l'importance", souligne l'Ordre. "Le secret professionnel, institué dans l'intérêt des patients, s'impose à tout médecin dans les conditions établies par la loi. Le secret couvre tout ce qui est venu à la connaissance du médecin dans l'exercice de sa profession, c'est-à-dire non seulement ce qui lui a été confié, mais aussi ce qu'il a vu, entendu, compris." 

 

Dérogations légales 

La loi Kouchner du 4 mars 2002 développe encore cette définition, inscrite dans l'article 110-4 du code de la santé, et consacre le droit du patient "au respect de sa vie privée et du secret des informations la concernant". "Excepté dans les cas de dérogation, expressément prévus par la loi", et par la loi seule, "ce secret couvre l’ensemble des informations concernant la personne venues à la connaissance du professionnel de santé, de tout membre du personnel de ces établissements ou organismes et de toute autre personne en relation de par ses activités avec ces établissements ou organismes. Il s’impose à tout professionnel de santé ainsi qu’à tous les professionnels intervenant dans le système de santé." 

Les dérogations légales sont de deux natures. D'un côté, les dérogations ayant trait aux déclarations obligatoires : déclaration de naissances, de décès, de cas de maladies contagieuses listés par voie réglementaire, certificats d'admission en soins psychiatriques ou encore les certificats d'accident de travail ou de maladie professionnelle. De l'autre, les dérogations visant à exempter de sanction le médecin qui romprait le secret médical dans l'intérêt du patient ou du public, notamment pour protéger une victime. 

 

Maltraitances des enfants 

L'article 226-14 du code pénal autorise ainsi le médecin à signaler aux autorités judiciaires, médicales ou administratives des sévices ou des privations infligés à un mineur ou à une personne qui n'est pas en mesure de se protéger en raison de son âge ou de son incapacité physique ou psychique. "Par sévices ou privations, il faut entendre toute forme de mauvais traitements ou de maltraitance, qu’il s’agisse de violences physiques, sexuelles ou psychiques de toute nature, de cruauté mentale, mais aussi de négligences ou de comportements ayant des conséquences préjudiciables sur l’état de santé de la personne, ou, s’agissant d’un enfant, sur son développement physique et psychique", précise l'Ordre des médecins sur son site.  

En cas d'urgence, il peut s'agir d'un signalement au procureur de la République. "Le signalement au procureur de la République est un écrit précis et objectif décrivant les signes relevés à l’examen clinique par le médecin. Il doit s’attacher à...

retranscrire les paroles exactes du mineur, en les citant entre guillemets, avec les termes employés par ce dernier pour décrire les faits", détaille l'Ordre (modèle de signalement ici). Le médecin peut également signaler le cas, sous forme d’information préoccupante, à la "cellule de recueil, de traitement et d’évaluation des informations préoccupantes relatives aux mineurs en danger ou qui risquent de l’être" (CRIP), placée sous l’autorité et la responsabilité du président du conseil départemental. Attention, le signalement au juge des enfants n'est pas prévu par la loi. 

 

Maltraitances de personnes majeures 

L'article 226-14  du code pénal permet également de signaler, avec l'accord de la victime, "les sévices ou privations qu'il a constatés, sur le plan physique ou psychique, dans l'exercice de sa profession et qui lui permettent de présumer que des violences physiques, sexuelles ou psychiques de toute nature ont été commises". L'accord n'est pas nécessaire pour le mineur ou la personne majeure incapable de se protéger (modèle de signalement pour ce cas précis). 

 

Le cas particulier des violences conjugales 

La loi du 30 juillet 2020 visant à protéger les victimes de violences conjugales a ajouté une autre exemption à cet article du code pénal pour le médecin "qui porte à la connaissance du procureur de la République une information relative à des violences exercées au sein du couple". Mais deux conditions doivent être respectées : le professionnel de santé doit estimer "en conscience que ces violences mettent la vie de la victime majeure en danger immédiat et que celle-ci n'est pas en mesure de se protéger en raison de la contrainte morale résultant de l'emprise exercée par l'auteur des violences". Le médecin n'a pas en a apporté la preuve, explique l'Ordre, qui a publié sur son site des critères d’évaluation du danger immédiat et de l’emprise ainsi qu'un modèle de signalement

Il est précisé dans le code pénal que le médecin doit d'abord "s'efforcer d'obtenir l'accord de la victime majeure" ; "en cas d'impossibilité", "il doit l'informer du signalement fait au procureur de la République". 

Cet article du code pénal stipule enfin que le signalement aux autorités compétentes effectué dans les conditions prévues au présent article ne peut engager la responsabilité civile, pénale ou disciplinaire de son auteur, sauf s'il est établi qu'il n'a pas agi de bonne foi. Il n'est ainsi pas rare de voir des médecins poursuivis pour s'être immiscés dans les affaires de famille ou la vie privée des patients, notamment en ayant rédigé un certificat médical tendancieux dans le cadre d'un divorce ou d'un conflit sur une garde d'enfant. 

 

Obligation ou non? 

Alors que l'article 226-14 du code pénal autorise le médecin à déroger au secret médical dans les situations précitées, l'article 434-3 du même code, réprimant la non-dénonciation de sévices infligés à un mineur ou une personne vulnérable, exclut expressément son application aux personnes tenues au respect du secret professionnel. Il n'y a donc pas d'obligation de dénonciation pour le médecin. Il s'agit pour le législateur de veiller à ce que les auteurs des sévices n'hésitent pas à faire prodiguer à l'enfant les soins nécessaires par crainte d'être dénoncés. 

Toutefois, un autre article sème le trouble : l'article 223-6 du code pénal réprimant la non-assistance à personne en danger est quant à lui bien applicable aux personnes soumises au secret professionnel. Un "médecin ne saurait rester passif", insiste l'Ordre. L'article 44 du code de déontologie médicale oblige d'ailleurs le médecin "qui discerne qu'une personne auprès de laquelle il est appelé est victime de sévices ou de privations" à "mettre en œuvre les moyens les plus adéquats pour la protéger en faisant preuve de prudence et de circonspection". "Dans les cas les plus flagrants, il appartient au médecin de faire en sorte de soustraire la victime à la maltraitance en cause, par exemple en l’hospitalisant", précise l'Ordre dans le commentaire de cet article. "Dans les cas moins évidents, l’appréciation à porter par le médecin sur la réalité et l’ampleur de la maltraitance peut se révéler plus délicate. Il y a lieu pour lui d’effectuer des examens complémentaires ou de faire appel à d’autres professionnels de santé à même de l’éclairer : pédiatre, médecin référent en protection de l’enfance, psychiatre, gynécologue… En toutes hypothèses, le médecin doit tenir compte de tous les facteurs. Mais il se doit d’agir. L’absence d’intervention est répréhensible." 

Lorsqu’il s’agit d’un mineur ou d’une personne qui n’est pas en mesure de se protéger, précise cet article du code de déontologie, l'obligation est "renforcée" : le médecin alerte les autorités judiciaires ou administratives, "sauf circonstances particulières qu’il apprécie en conscience". 

Par Aveline Marques
 
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