Gestion des cas, prévention, télétravail… Les médecins du travail en première ligne contre l’infection Covid-19

08/09/2020 Par Corinne Tutin
Infectiologie
A l’heure d’une reprise de l’épidémie Covid-19 et d’un renforcement des mesures de prévention en milieu professionnel, et alors que le confinement a bouleversé les règles du télétravail, la médecine du travail est au cœur de nombreuses questions en cette rentrée 2020. Le Dr Hervé Decoussy, médecin coordonnateur du service de santé et de médecine du travail de la vallée de l’Oise (SMVTO) revient sur le rôle de la médecine du travail dans la lutte contre l’infection.
 

Egora.fr : Le département de l’Oise a été très touché par l’épidémie. Comment y avez-vous répondu ? Dr Hervé Decoussy : Dès début mars, un foyer épidémique s’est développé dans le Sud Est de l’Oise, puis des cas ont été relevés au sein de la Base aérienne de Creil. Notre service a répondu de suite aux demandes de conseil des entreprises pour s’adapter au risque sanitaire et créé un petit journal « Les Échos Express », qui les informait par voie électronique sur les mesures à prendre. Médecins du travail, infirmiers, intervenants en prévention et risque professionnel (ergonomes, psychologues...) expliquaient aux chefs d’entreprise comment mettre en place les mesures barrières : masque, gel hydro-alcoolique, barrière plexiglass, désinfection du matériel, flux d’entrée et de sortie, distanciation des postes de travail. Nous avons même fait du « phoning » en appelant les entreprises pour leur demander si elles avaient besoin de conseils, en particulier pour suivre les recommandations émises sous forme de fiches métier par le ministère du travail... Les médecins du travail répondaient aussi, en téléconsultation ou en présentiel, aux demandes des salariés, notamment de ceux qui se considéraient comme « salariés vulnérables » ou cohabitant avec une personne vulnérable : prescription de tests virologiques de dépistage, et en concertation avec le salarié et l’employeur, aménagement du poste de travail (bureau isolé par exemple), passage en télétravail, voire arrêt de travail « Covid 19 », et à partir du 11 mai 2020 certificat d’isolement (1).

  Et aujourd’hui ? Les arrêts de travail et les avis d’interruption de travail remplis par les médecins traitants ou du travail, qui permettaient depuis début mai aux salariés vulnérables ayant une pathologie à risque ou cohabitant avec une personne vulnérable de bénéficier d’une activité partielle par l’employeur et donc du chômage partiel, ont été prorogés jusqu’au 31 août (2). Nous ne savons pas, à ce jour, si cette mesure proposée par le Haut Conseil de la Santé publique mise en place grâce au décret n°2020-73 sera maintenue. Aujourd’hui, une partie de notre activité consiste à revoir...

ces salariés vulnérables, sur leur demande ou parfois celle de leur employeur, pour déterminer s’ils peuvent reprendre ou non leur activité professionnelle et comment (activité à temps plein, mi-temps thérapeutique, télétravail...). Même si nous ne partageons pas officiellement le secret médical avec les médecins généralistes, ce que je trouve d’ailleurs dommageable pour le patient/salarié, ceux-ci ne doivent pas hésiter à nous contacter s’ils se posent des questions pour l’un de leurs patients vulnérables, afin que nous adaptions ensemble et avec l’employeur au mieux son poste de travail, dans ce contexte de Covid-19.

 
Salariés vulnérables : des conditions plus strictes depuis le 1er septembre
Le décret du 25 avril dernier, complété par un autre du 5 mai (1) précisait que les personnes âgées de plus de 65 ans, avec des antécédents cardiovasculaires (HTA compliquée, chirurgie cardiaque), un diabète non équilibré, une pathologie chronique respiratoire susceptible de décompenser (BPCO, asthme sévère), une insuffisance rénale chronique dialysée, un cancer sous traitement (hormis l’hormonothérapie), une obésité, une immunodépression, une cirrhose, ou un syndrome drépanocytaire majeur pouvaient bénéficier d’une activité partielle en raison des risques plus élevés de développer chez eux une forme grave du coronavirus. Etaient également visés les femmes enceintes au troisième trimestre de grossesse et les salariés cohabitant avec une personne vulnérable. Un décret publié au Journal officiel le 30 août 2020 a cependant restreint la liste des personnes vulnérables.
Ne sont plus désormais concernés que les salariés présentant un cancer évolutif sous traitement (hors hormonothérapie), ceux avec une immunodépression acquise ou congénitale, les patients dialysés ou avec une insuffisance rénale chronique sévère, ainsi que les salariés âgés de 65 ans ou plus à la condition d’être porteurs d’un diabète associé à une obésité ou des complications micro ou macrovasculaires.
1) JORF n°0111 du 6 mai 2020 texte n° 10. Décret n° 2020-521 du 5 mai 2020 définissant les critères permettant d'identifier les salariés vulnérables présentant un risque de développer une forme grave d'infection au virus SARS-CoV-2 et pouvant être placés en activité partielle au titre de l'article 20 de la loi n° 2020-473 du 25 avril 2020 de finances rectificative pour 2020.
2) JORF n°0212 du 30 août 2020 texte n° 9. Décret n° 2020-1098 du 29 août 2020 pris pour l'application de l'article 20 de la loi n° 2020-473 du 25 avril 2020 de finances rectificative pour 2020.

  Le télétravail devrait être encore plus encouragé. Que pensez-vous de cette forme de travail ? L’infection Covid-19 a conduit les entreprises à modifier leurs modes de fonctionnement. Certaines d’entre elles, qui refusaient auparavant tout télétravail, y sont aujourd’hui très favorables. Cette forme de travail offre des...

avantages : souplesse de l’activité, réduction du temps de transport. Mais doit aussi être organisée sur le plan technique, ergonomique (siège, écrans), psychologique en respectant les rythmes de travail pour ne pas empiéter sur la vie personnelle. Elle expose à une perte du lien social, qui a parfois été mal supportée par des salariés pendant le confinement. Il me semble raisonnable, pour limiter ce risque qui pourrait entrer dans la catégorie des risques psychosociaux, d’avoir une vraie réflexion sur la place du télétravail en entreprise, et de le proposer sans l’imposer avec un maintien du temps en présentiel pour des réunions, des échanges entre salariés, à évaluer au cas par cas. Le télétravail est en tout cas régi par le code du travail (3). Les télésalariés ne doivent donc pas hésiter à se tourner en cas de problème vers leur médecin du travail.   1) Ordonnance n° 2020-386 du 1er avril 2020 et décret n° 2020-549 du 11 mai 2020 définissant la possibilité pour les médecins du travail de prescrire un arrêt de travail chez les salariés suspects d’infection Covid 19, ou chez les salariés vulnérables ou ayant un proche vulnérable. ... 2) Décret n° 2020-521 du 5 mai 2020 définissant les critères permettant d'identifier les salariés vulnérables présentant un risque de développer une forme grave d'infection au virus SARS-CoV-2 et pouvant être placés en activité partielle au titre de l'article 20 de la loi n° 2020-473 du 25 avril 2020 de finances rectificative pour 2020. 3) Articles L 1222-9 et suivants du Code du travail.   *Le Dr Decoussy déclare n’avoir aucun lien d’intérêt.  

Des salariés inquiets et pas tous convaincus par le port du masque
Une enquête, entreprise entre le 17 et le 21 août 2020, sur la plateforme de recrutement en intérim QAPA, consultée par 4,5 millions de candidats, révèle après analyse des 18 % de réponses obtenues (878 456 sujets), que 38 % des salariés pensent ne pas porter de masque en entreprise, et pour 26 % d’entre eux même si cela devient obligatoire. Or, ce port est imposé depuis le 1er septembre 2020 par le ministère du travail (sauf en bureau individuel ou sur dérogation). A l’inverse, 25 % des salariés ont déclaré avoir l’intention de porter le masque en entreprise, même si cela n’était pas obligatoire.
Seuls 48 % des salariés considéraient, par ailleurs, que l’obligation du port du masque était envisageable dans leur entreprise. Et, seulement 34 % que la distanciation sociale est possible en son sein.
L’enquête met en évidence un haut niveau d’inquiétude, 56 % des salariés admettant avoir peur de reprendre le travail par crainte d’une contamination.
Source : Communiqué de presse QAPA. 24 août 2020.

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