Depuis mars 2020, la Haute Autorité de santé (HAS) a publié « plus de 150 productions », tels qu’avis et recommandations, selon sa présidente, la Pr Dominique Le Guludec. Au cœur de cette suractivité, le Covid-19, maladie dont rien n’était connu début 2020, devenu l’objet d’un nombre exponentiel de données « changeantes, incomplètes ». « Il a fallu nous adapter, changer notre expertise dans sa forme et sa méthode, pour arriver à des productions plus courtes, plus réactives. Il a souvent fallu les construire en 48 heures, parfois moins », ajoute-t-elle. Une urgence qui tranche avec le rythme usuel de la HAS : « Notre format habituel, ce sont des recommandations très volumineuses, où les parties prenantes cherchent à tout dire, à tout expliquer, pour être transparent, inattaquable ». Pour agir plus vite, la HAS a recouru à la méthode des « réponses rapides » de son homologue québécois, l’Institut national d’excellence en santé et en services sociaux (Inesss).
Cette crise sanitaire a aussi été celle de l’éthique scientifique. Outre la mise en ligne de nombreuses publications non relues par les pairs, l’affaire de l’hydroxychloroquine a brouillé les esprits. « Un esprit d’aventure peut parfois l’emporter sur la raison et la sûreté de nos concitoyens », euphémise Dominique Le Guludec. Les controverses ont nui à la compréhension de l’expertise par la société, « plus encline à écouter les croyances que la raison, manifestant une certaine impatience, probablement liée à une mauvaise gestion de l’incertitude ». Une « prolifération » de comités Mais au-delà de l’urgence permanente, de la fake science et des incertitudes scientifiques, c’est l’organisation même de l’expertise qui a laissé à désirer. En particulier la « frénésie de création organisationnelle » qui a saisi l’Etat, constate Henri Bergeron[i], chercheur au Centre de sociologie des organisations à Sciences-Po Paris. Alors que le secteur de la santé est déjà « saturé » d’agences, de hauts conseils, d’autorités et de société savantes, une pléthore de nouveaux comités ont été créés : conseil scientifique, ‘task force’ interministérielle, comité analyse, recherche et expertise (CARE), comité scientifique vaccin, conseil d’orientation de la stratégie vaccinale, etc. « On assiste à une prolifération d’organismes constamment remodelés, qui ne viennent pas remplacer les organisations existantes, mais viennent s’y surajouter », ajoute le sociologue. Comment expliquer cet appétit soudain pour les comités ? Peut-être par une méfiance d’Emmanuel Macron vis-à-vis des administrations, ainsi qu’une « fascination pour la modernité managériale qu’incarnent les petites structures agiles, très lestées en expertise, avec des individus qui n’appartiennent à aucune institution », avance Henri Bergeron. S’il vise l’autonomie, ce rejet de l’administration existante n’en est in fine qu’une illusion : « très vite, il s’est créé une relation de pouvoir entre le Conseil scientifique et le triumvirat formé par le Président de la république, le Premier ministre et le ministre de la Santé ». Une interdépendance qui a mené le Conseil scientifique à « parfois suivre, ou ne pas contredire, ce qui relevait de la stratégie politique ». Exemple, le maintien du premier tour des élections municipales le 15 mars 2020, à deux jours du confinement, alors que l’incertitude sanitaire était à son comble. Utiliser les agences existantes Dans un rapport publié en décembre 2020[ii], le Sénat a regretté que l’expertise n’ait pas été laissée aux structures existantes. Déplorant une « communication un peu brouillonne », la sénatrice Catherine Deroche (Maine-et-Loire, LR), rapporteure de la commission d’enquête, aurait « préféré une instance de l’expertise scientifique qui s’appuierait sur les agences existantes, sur les sociétés savantes. Cet organe pourrait intervenir en cas de crise sanitaire liée à une épidémie, mais aussi lors d’une catastrophe écologique avec des effets sanitaires. Il s’agirait d’une instance qui coordonne, qui pilote avec une vraie lisibilité ».
La présidente de la HAS partage ce constat : « les mécanismes de crise, institués par la loi après la crise H5N1 [en 2005-2006, NDLR], n’ont pas été activés. Et la création de ces comités ad hoc ne nous pas facilité la vie. Au début de la crise, nous nous sommes demandés ‘quelle est notre mission, où avons-nous une plus-value maximale ?’. Il ne fallait surtout pas faire ce que faisaient les autres (…) Il a peut-être manqué une préparation à cela, nous avons dû nous adapter très vite », indique Dominique le Guludec. Les médecins débordés par l’information Sur le terrain, l’avalanche d’informations a désemparé de nombreux médecins. « Il y avait des informations tout le temps, dans tous les sens, de la presse généraliste comme de nos autorités de tutelle. C’était une épreuve pour nous de savoir comment gérer cette foule d’informations », se rappelle le Dr Mady Denantes, généraliste à la maison de santé Pyrénées-Belleville (Paris, 20ème arrondissement). Les recommandations sont parfois arrivées tardivement : « sur le sujet de l’oxygène, cela faisait déjà quelques semaines que nous étions exposés à la problématique, et que nous avions décidé de faire comme nous pouvions », indique le Dr Etienne Pot, directeur médical. L’entraide a parfois permis de dissiper le brouillard. Dans le 20ème arrondissement, la communauté professionnelle territoriale de santé (CPTS, dispositif créé par la loi de santé de 2016) a ainsi mis en place un webinaire hebdomadaire, suivi par près de 200 professionnels de santé. L’occasion d’un point régulier sur les recommandations, apportant de la cohérence à un paysage qui en manquait tant. Selon la députée Audrey Dufeu (Loire-Atlantique, LREM), « les territoires qui ont le mieux réagi face à la crise sont ceux où les CPTS étaient les plus mûres ». Que restera-t-il de ces expériences de terrain ? Pour l’instant, les autorités ne semblent guère pressées d’en dresser un bilan : « on ne nous l’a pas demandé, et nous n’avons pas forcément d’interlocuteur privilégié à qui nous adresser », observe le Dr Marianne Comba, généraliste à la maison de santé Pyrénées-Belleville. Exit la démocratie sanitaire Autre loupé, la quasi-inexistence de l’expertise citoyenne, qui selon Dominique Le Guludec est celle qui a « le plus souffert ». « Elle n’a pas eu la place qu’elle aurait pu avoir, comme elle l’a eue lors d’autres crises sanitaires, dont le sida (…) on ne peut plus se passer de l’expertise citoyenne, il faut trouver les moyens de l’activer en temps de crise », estime la présidente de la HAS. Pour Catherine Deroche, « la démocratie sanitaire n’a pas fonctionné, en particulier pour les personnes âgées en établissement, avec les drames qu’on a connus. Les conférences régionales de solidarité n’ont pas été réunies ». Quant aux demandes du Pr Jean-François Delfraissy, président du Conseil scientifique, de consulter la société civile, elles ont été écartées. Selon Olivier Borraz, directeur du Centre de sociologie des organisations, cette mise à l’écart de la société civile s’explique en partie par l’état d’urgence sanitaire : « par définition, l’état d’urgence modifie les règles de la démocratie ». Quid de futures crises sanitaires, qui ne manqueront pas de survenir ? Dernier coup de canif aux comités, Dominique Le Guludec estime qu’il faudra veiller à « séparer l’expertise scientifique et la décision publique. La science doit rester indépendante ». L’expertise scientifique fera l’objet du prochain rapport annuel d’analyse prospective de la HAS, prévu pour juin 2022.
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