Les internes en chirurgie, trop seuls au bloc

08/12/2017 Par Marielle Ammouche
Formation

Une enquête comparant les attentes des internes en chirurgie orthopédique avec leurs seniors PU-PH montre que les premiers veulent passer plus de temps au bloc et avoir plus de compagnonnage pour pouvoir s’autonomiser plus rapidement, tandis que les seconds mettent l’accent sur la préparation des interventions avant d’être autonome. Mais les moyens manquent…

    Dans le cadre de la réforme du 3ème cycle des études médicales, la formation des internes en chirurgie, sa place et son fonctionnement sont remis en question. Pour illustrer cette problématique, les résultats d’une enquête originale, réalisée à l’initiative du Collège des jeunes orthopédistes (CJO), portant sur "la place du chirurgien en formation dans le bloc opératoire" ont été présentés lors du congrès 2017 de la Société française de chirurgie orthopédique et traumatologique, qui vient de se dérouler à Paris (6-9 novembre 2017). Il s’agissait d’avoir une vision croisée des internes et des PU-PH sur ce sujet. "L’idée était d’apporter un éclairage supplémentaire concernant l’enseignement technique des internes en chirurgie, et d’apporter des pistes d’amélioration dans le cadre de la réforme du 3ème cycle, ajoute le Dr Marc-Olivier Gauci, chef de clinique à Nice et président du CJO. L’interne occupe en effet aujourd’hui une position mal définie et inconfortable au bloc opératoire. Et il n’y a pas de reconnaissance de l’enseignement qui y est dispensé."  

46 interventions par mois

  L’enquête est basée sur deux questionnaires, auxquels ont répondu 237 internes (78% d’hommes ; moyenne d’âge 28 ans) et 38 PU-PH. Les internes étaient généralement avancés dans leur formation : 65% en étaient au moins à leur 6ème semestre. Selon l’étude, les internes passent en moyenne 12,4 jours par mois (sur 20 jours) au bloc opératoire en dehors des gardes et des astreintes, ce qui leur permet d’assister mensuellement à 46 interventions. Cela occupe la moitié de leur emploi du temps. Le reste étant consacré, par ordre décroissant, aux services hospitalisés (un quart du temps total), aux consultations (21%), aux urgences (19%) et enfin à la formation (17%). Les internes souhaiteraient passer plus de temps au bloc (2 jours par mois supplémentaires), et moitié moins de temps dans les services. Ils souhaiteraient aussi diminuer leur temps aux urgences, et accroitre légèrement celui consacré à la formation. Cependant, ce sentiment n’est pas partagé par leurs ainés qui apparaissent globalement d’accord sur l’existant, jugeant que le temps opératoire des internes est suffisant, et que ce sont les consultations et la formation qui devraient être augmentées au dépend des urgences et du temps passé dans les services.   

Seul 1 interne sur 10 opère systématiquement avec un senior

  Concernant l’autonomie au bloc opératoire, les différences sont marquées entre internes et seniors. Ainsi, un tiers des jeunes orthopédistes interrogés déclarent opérer souvent (plus d’une fois par semaine) ou très souvent (tous les jours) sans senior. A l’opposé, un interne sur 10 affirme opérer systématiquement avec un senior. Pour les seniors, l’autonomie des internes apparait bien moindre : les PU-PH pensent que seuls 7 % des internes opèrent plus d’une fois par semaine sans seniors et aucun chaque jour. Les avis divergent aussi sur les complications post-opératoires. Les internes estiment que 19,4 % de leurs interventions réalisées en l’absence d’encadrement pourraient...
donner lieu à des complications per ou post opératoires et que ces complications sont généralement sans gravité. Selon les seniors, ce chiffre grimpe à 44,7% pour les complications les moins graves, et à 10,5 % pour les plus graves ou celles entrainant des séquelles, telles que des phlébites, des hématomes, des sections tendineuses…. "Il s’agit plus de l’estimation d’un risque que d’une réalité épidémiologique", précise le Dr Gauci. Les PU-PH se montrent du coup plus exigeants sur la préparation des interventions. Ils estiment que le nombre d’interventions nécessaires pour l’apprentissage doit être de 14 pour les fractures malléolaires externes, et de 19 pour les prothèses de hanche contre 12, et 17 respectivement pour les internes. Ces derniers réclament aussi plus de supervision par le senior, c’est-à-dire plus de compagnonnage pour les guider lorsqu’ils opèrent : seuls 54,2% des internes estiment être suffisamment aidés au bloc comme premier opérateur. "Cette proportion reste identique, oscillant entre 52 et 56% quel que soit le niveau d’engagement personnel de l’interne (révision des interventions, lectures…", précise le Dr Gauci. Et s’il y avait davantage de supervision, les jeunes orthopédistes pensent dans leur grande majorité (92%) qu’ils pourraient être autonomisés plus rapidement. Ce qui n’est pas le cas des PU-PH, qui considèrent à 55,3% que cela n’est pas un facteur d’autonomisation plus rapide. "Pour les internes, l’autonomie plus précoce n’est pas un prétexte à la diminution de la durée de la formation", ajoute le Dr Gauci. Les jeunes orthopédistes se montrent, également, massivement favorables à la simulation chirurgicale (à 95%).   Un manque de confiance des patients   Enfin, une dernière partie du questionnaire, qui a porté sur les relations entre patients et internes au bloc, fait ressortir un défaut d’information des patients assorti d’un manque de confiance. En effet, les internes estiment que seul un quart des patients sont informés qu’ils peuvent être opérés par un interne, et que plus d’un sur deux (51%) n’est jamais prévenu. Et, selon eux, seuls un patient sur trois leur fait confiance, contre 64 % pour les chefs de clinique. "Les internes veulent apprendre", résume le Dr Gauci. Cette étude met en évidence une demande de renforcement de l’enseignement au bloc opératoire de la part des jeunes chirurgiens orthopédistes en formation. Or ce temps de 'compagnonnage' n’est pas reconnu actuellement, n’étant pas considéré comme un temps réel de formation, comme le sont les cours à la faculté." Par ailleurs, les moyens sont largement insuffisants. Les universitaires ne sont pas assez nombreux. "L’augmentation des enseignants n’a pas suivi l’augmentation du numerus clausus", affirme le Dr Gauci. Les PU font le même constat : ils sont 42% à estimer que le temps qu’ils dédient personnellement à ce type de formation est insuffisant ou très insuffisant. Le Dr Gauci espère que cette enquête, même si elle présente des limites, contribuera à "apporter une ligne de conduite qui convienne à tout le monde".

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