Médecins salariés, l'enquête : qui sont ils ? que font-ils ?

29/03/2019 Par Véronique Hunsinger

Au 1er janvier 2018, il y avait 82 890 médecins salariés, dont 74,6 % hospitaliers. En dehors des établissements de santé, ils exercent principalement en centres de santé, mais ils peuvent être médecins scolaires, médecins du travail, médecins-conseils de l’Assurance maladie ou inspecteurs de santé publique. On note cependant une faible attractivité de l’exercice salarié quand celui-ci s’éloigne du soin et que la rémunération est jugée insuffisante. Pourtant, les pouvoirs publics misent sur les médecins salariés pour lutter contre les déserts médicaux.

  Cet article a initialement été publié dans Les Tribunes de la Santé  

Médecins en centres de santé

5 800 médecins travaillent dans un centre de santé : c’est la part la plus importante des médecins salariés, et leur mode d’exercice attire les jeunes et les futurs médecins. La proportion de spécialistes est plus forte que celle de généralistes mais les premiers exercent généralement plutôt sous forme de vacations. Le modèle des centres de santé a longtemps été décrié par une partie de la profession, notamment chez les généralistes libéraux avec qui ils sont en concurrence directe. En 2013, un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) admettait d’ailleurs l’« utilité sanitaire et sociale » des centres de santé mais notait que leur « efficacité médico-économique ne peut être prouvée ». Cependant, un nouveau modèle économique pour les centres de santé est en passe d’être retrouvé depuis la publication de l’ordonnance du 12 janvier 2018 relative à leur création et leur fonctionnement. Selon l’état des lieux des centres de santé établi par la Direction générale de l’offre de soins (DGOS), on comptait, en 2017, 101 centres médicaux pour 471 centres infirmiers et 658 centres dentaires. Un gros tiers des centres de santé médicaux sont associatifs, un peu moins de 30 % gérés par des collectivités territoriales, environ 10 % par des mutuelles ou des institutions de prévoyance et autant par un organisme de Sécurité sociale. Près de 90 % sont implantés dans des zones urbaines. Les régions les plus couvertes sont l’Île-de-France, le Nord, les Pays de la Loire et Auvergne-Rhône-Alpes. On note, chez les médecins qui y exercent, deux profils types : celui proche de la retraite plutôt « militant » de ce type d’exercice et le jeune médecin qui ne souhaite pas s’installer en libéral. « Les jeunes générations sont sans doute attirées par les conditions de travail et d’organisation des centres de santé, estime le Dr Frédéric Villebrun, secrétaire général de l’Union syndicale des médecins de centres de santé. Cela n’empêche pas qu’ils partagent largement les valeurs de service public des centres de santé. En revanche, il est encore trop tôt pour savoir s’ils vont y effectuer toute leur carrière. On en voit certains qui se dirigent ensuite vers la médecine scolaire ou la médecine de PMI, d’autres voudront peut-être travailler ensuite en libéral dans des maisons de santé. » En effet, l’exercice en groupe et en coopération avec d’autres professionnels de santé n’est aujourd’hui plus l’apanage des centres de santé. Cela explique largement que les deux modèles apparaissent de moins en moins en concurrence. Pour preuve, la Fédération française des maisons et pôles de santé (FFMPS) et l’institut de recherche des centres de santé Jean-François-Rey ont créé en 2016 une association commune intitulée « Soins pluriprofessionnels innovation recherche » (SPP-IR). « Nous avons plusieurs valeurs partagées, confirme le Dr Villebrun. Désormais, on ne peut plus parler de concurrence : un élu local peut décider d’aider à l’installation d’une MSP ou de créer lui-même un centre de santé en fonction des préférences des professionnels. » C’est d’ailleurs sur les collectivités territoriales que misent les centres de santé pour se développer. L’exemple le plus frappant est celui du conseil départemental de Saône-et- Loire qui crée actuellement les premiers centres de santé départementaux et compte recruter plus de 70 médecins généralistes. « Le département est un échelon intéressant car il permet de globaliser les besoins et d’éviter les concurrences entre les communes », juge le Dr Villebrun. Aujourd’hui, les médecins des centres de santé souhaitent aussi pouvoir plus facilement devenir maîtres de stage et prendre leur part dans la permanence des soins ambulatoires. Et s’engager dans des expérimentations type « article 51 » visant à expérimenter des organisations innovantes. Des centres de santé en Île-de-France et en Isère ont déjà proposé un projet permettant de remplacer le paiement à l’acte par un paiement forfaitaire global.  

« Cet exercice me permet de me consacrer à des actions de prévention »

Dr Gilles Lazimi, médecin en centre de santé

« Je suis médecin généraliste en centre de santé depuis vingt-neuf ans et j’ai été directeur pendant vingt-cinq ans du centre de santé de Romainville. On constate que c’est un modèle qui n’a rien perdu de sa pertinence : des villes de gauche comme de droite créent des centres de santé. Il y a aussi une complémentarité avec la médecine libérale. La ville de Romainville a favorisé, en 2018, la création d’une maison de santé, et nous avons d’excellentes relations avec nos collègues libéraux. À titre personnel, j’apprécie dans un centre de santé à ne pas avoir à demander de l’argent à mes patients, je trouve que cela change la relation et nous positionne comme soignants. Mais, surtout, cet exercice m’a permis de me consacrer à un grand nombre d’actions de prévention : violences faites aux femmes, éducation sans violence éducative ordinaire, prévention de l’obésité ou des infections sexuellement transmissibles dans les établissements scolaires ou sur la commune, prévention bucco-dentaire dans les Ehpad, etc. Cela nous apprend à voir nos patients en dehors du cabinet dans leur environnement social et économique. »

 

Médecins du travail

Leur nombre est en légère baisse depuis 2012 : ils sont actuellement environ 5 300, exerçant pour 70 à 80 % en service interentreprises, et le reste en service autonome de santé au travail dans les grandes entreprises. « Il s’est agi, pendant longtemps, très souvent d’une vocation secondaire, explique Bernard Salengro, secrétaire national CFE- CGC. Mais on se rend compte vite que c’est un exercice intéressant et difficile car le monde du travail comporte de la complexité et des tensions. » La médecine du travail est la spécialité la moins choisie à l’issue des épreuves classantes nationales. L’érosion des effectifs est aussi due aux possibilités désormais plus compliquées de reconversion. « La moyenne d’âge est autour de 50 ans, et la vague s’épuise par les départs à la retraite non renouvelés, explique le Dr Salengro. Mais il suffirait de... rendre les reconversions à nouveau plus simples pour renverser la tendance. » La rémunération du médecin du travail est en effet proche de celle d’un médecin généraliste libéral, « avec les avantages du salariat ». La réforme de la médecine du travail de 2016 a recentré les missions : les visites individuelles sont désormais moins fréquentes pour les salariés qui ne présentent pas de risque particulier, et le suivi peut être réalisé par un infirmier sous un protocole médical. Une nouvelle réforme devrait être engagée en 2019 à la suite de la remise, en août 2018, d’un rapport au Premier ministre par Charlotte Lecocq, députée LREM, Bruno Dubois, consultant, et Henri Forest, ancien médecin du travail et secrétaire confédéral de la CFDT. Ils proposent notamment la création d’une structure régionale de droit privé regroupant les services de santé au travail interentreprises.  

Médecins-conseils de l’Assurance maladie

Alors qu’il y a une vingtaine d’années le concours était encore sélectif, l’attractivité de cet exercice s’est progressivement érodée au point que le nombre de postes à pourvoir est supérieur au nombre de candidats. « Certaines zones ont des grandes difficultés à recruter des médecins-conseils, comme la région parisienne, la Normandie ou les Hauts-de-France », explique le Dr Stéphane Malefond, vice-président du Syndicat autonome des praticiens-conseils. Depuis 2015, l’Assurance maladie a créé le nouveau métier d’« infirmier de service médical » pour épauler les médecins-conseils. « Au départ, certains médecins-conseils étaient plutôt hostiles à ce nouveau métier, raconte le Dr Malefond. Mais les choses semblent bien se passer aujourd’hui, même si l’autonomie d’action des infirmiers de service médical reste encore mal définie. » Si on en compte un peu moins de 2 000, la majorité des médecins-conseils entrent dans cet exercice en seconde partie de carrière pour des raisons personnelles, familiales ou de santé notamment, et parfois à la suite « d’une forme d’épuisement de l’activité de soins, précise le Dr Malefond. Il y a également des jeunes médecins qui deviennent médecins-conseils dès le début de leur carrière en raison de la discordance de l’activité de soins avec ce qu’ils en attendaient », ajoute-t-il. Cependant, outre une moindre rémunération qu’en exercice libéral, la baisse de l’attractivité de cette fonction est aussi liée pour partie à sa transformation. « On constate une mécanisation des tâches, avec des outils d’aide à la décision de type algorithmes qui privent le praticien-conseil d’une partie de son autonomie », souligne le Dr Malefond. À noter qu’en 2010, 225 pra- ticiens-conseils avaient été transférés de l’Assurance maladie vers les agences régionales de santé (ARS).  

Médecins scolaires

De moyenne d’âge de 57 ans, ils sont environ 950 pour veiller sur la santé de 12 millions d’élèves, soit en moyenne 10 000 élèves par médecin scolaire et jusqu’à 40 000 dans les académies où il en manque le plus. Le département de l’Indre est aujourd’hui le premier à n’avoir plus aucun médecin scolaire. « Nous faisons face à une baisse catastrophique de nos effectifs, déplore le Dr Marianne Barré, secrétaire générale du Syndicat national des médecins scolaires et universitaires. Les perspectives sont sombres, car nous ne sommes qu’au départ de la vague des départs à la retraite. » Actuellement, à peine une trentaine de nouveaux médecins scolaires sont recrutés chaque année, le nombre de places proposées au concours étant généralement supérieur à celui des candidats. Une des premières causes de cette désaffection est probablement à chercher du côté de la rémunération, qui est au plus bas de l’échelle de l’ensemble des médecins salariés. « C’est d’autant plus dommage que notre métier est très attractif parce que nos missions ont pour but de participer à la réussite des élèves, ajoute le Dr Barré. Elles ont même été élargies dans les dernières années, notamment en intégrant la question du handicap. » Parmi les missions du médecin scolaire, on peut citer le bilan de santé des enfants de 6 ans, les projets d’aménagement pédagogique pour les enfants présentant des troubles de l’apprentissage ou encore les visites de travaux réglementés pour les élèves en formation professionnelle.  

Médecins inspecteurs de santé publique

Ce sont les moins nombreux : environ 430 actuellement contre 620 il y a dix ans. Les deux tiers d’entre eux exercent dans les ARS et les autres dans les ministères et les grandes agences sanitaires. Cette désaffection s’explique, selon le Dr Jean-Paul Guyonnet, membre du bureau du Syndicat des médecins inspecteurs de santé publique, « par le recul de la santé publique au sein du ministère de la Santé, dont ce n’est plus le cœur battant, au profit de la régulation administrative et économique ». Le manque d’attractivité financière entre également en jeu mais « le recrutement est surtout compliqué pour des raisons de positionnement sur les missions, qu’il s’agisse de la recomposition de l’offre sanitaire et médico-sociale ou du premier recours, ils sont dans l’ensemble moins positionnés sur les dossiers stratégiques de l’ARS qu’ils ne l’étaient avant la création des ARS », ajoute le Dr Thierry Fouéré, président du syndicat. La création des ARS en 2009 a transformé leur exercice, les médecins inspecteurs de santé publique se retrouvant le plus souvent à exercer au niveau des directions régionales au risque de se retrouver coupés de l’échelon départemental. « Cette moindre présence au niveau départemental peut s’avérer problématique pour animer une politique de réduction des inégalités de santé au plus près des territoires, ce qui est pourtant ce qu’on nous demande de plus en plus », pointe le Dr Fouéré. L’âge moyen est autour de 50 ans, et l’entrée dans la profession se fait actuellement majoritairement en seconde partie de carrière.  

"L’installation en libéral fait peur, car les internes n’y sont pas préparés"

Trois questions à Antoine Reydellet, interne en médecine du travail à Lyon et président de l’Intersyndicale nationale des internes (Isni)

Selon les pouvoirs publics, les futurs et les jeunes médecins préféreraient le salariat à l’exercice libéral. Vous le confirmez ?
Oui, c’est vraiment une demande très forte chez les jeunes. Le salariat est un exercice plus simple d’un point administratif pour le médecin et il permet d’avoir des horaires de travail plus souples. L’installation en libéral fait peur, car les internes n’y sont pas préparés.

L’exercice salarié peut-il être un remède aux déserts médicaux ?
C’est ce que prévoit effectivement le plan du gouvernement « Ma santé 2022 ». Les emplois salariés peuvent être une solution pour motiver les jeunes à y exercer, à condition bien entendu que cela soit sur la base du volontariat et qu’il y ait un accompagnement. Nous sommes en train d’y travailler avec le gouvernement et nous allons également discuter avec l’Association des maires de France. Ces médecins pourraient être salariés des communes – dont certaines ont financé des maisons de santé qui sont restées vides – ou éventuellement par les ARS.

Le salariat comporte également des contraintes, notamment une certaine perte de liberté. Cela ne fait-il pas peur aux jeunes médecins ?
Ce qui est surtout essentiel pour nous est d’empêcher toute coercition à l’installation. Nous l’avons encore dit aux parlementaires au mois de janvier quand nous avons été auditionnés. Par ailleurs, il est vrai qu’il y a actuellement tellement d’offres de postes salariés que les médecins pourront toujours avoir le choix. Il faut aussi savoir qu’un certain nombre d’entre eux voient l’exercice salarié comme une période transitoire et ils n’excluent pas forcément complètement de s’installer un jour en libéral.

 

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