IA en cancérologie : de l’individualisation du diagnostic aux vaccins thérapeutiques
Avec l’IA associée aux technologies de biologie moléculaire haut débit et de clusterisation, la cancérologie va encore plus loin dans la médecine personnalisée. Aujourd’hui, pour un patient donné, l’enjeu est de fabriquer un traitement individualisé adapté non seulement aux anomalies moléculaires détectées dans ses tumeurs mais aussi au fonctionnement de son système immunitaire. Interview avec le Pr Jean-Pierre Delord, directeur général de l’Oncopole - Claudius Regaud de Toulouse. Egora : Au niveau du diagnostic, quelles sont les différentes approches utilisant l’IA ?
Pr J-P Delord : Le diagnostic de cancer chez un patient nécessite de compiler et d’analyser une quantité considérable d’informations de nature diverse. À celles cliniques s’ajoutent les imageries médicales (scanners, IRM et PET-scan), les examens d’endoscopie de localisation des tumeurs, les données de biologie moléculaire haut débit (ADN, transcriptome, protéines, anomalies moléculaires des cellules cancéreuses). Une imagerie à elle-seule est constituée de centaines de milliers de pixels dont chacun contient une centaine d’informations. Et la biologie moléculaire à haut débit en routine analyse des millions de paires de bases. Ces données sources sont d'une densité et d’un volume qui échappent à notre intelligence. Les sciences de l’ingénieur, les modèles mathématiques et l’IA permettent un traitement profond (deep learning) de ces informations, leur rangement en clusters et une puissance de calcul nous aidant à aller plus loin dans le diagnostic et la compréhension d’un cancer afin d’établir un pronostic pour chaque patient. L’IA peut-elle identifier l'étiologie de cancers avec antécédents primitifs inconnus ? Chez certains patients, nous découvrons un cancer révélé à distance sous forme de métastases et, dans un petit nombre de cas, nous ne savons pas d'où vient la tumeur primitive. La détermination du profil moléculaire des métastases d’un patient donné par la biologie moléculaire haut débit associée aux technologies de clusterisations, qui recensent le transcriptome de centaines de milliers de patients, permet d’identifier le foyer d’origine (qui est souvent d’une taille < 1mm). Voilà un exemple de logiciels d’aide au diagnostic offerts par l’IA. Avec l’existence de millions d'altérations géniques, jusqu’à quel degré de précision l’IA permet-elle une approche personnalisée des traitements ? Actuellement, les techniques de bioinformatique utilisées en routine peuvent analyser des centaines de milliers de données relatives aux anomalies génétiques constatées individuellement chez un patient pour les traduire en informations maintenant robustes et fiables. Par exemple, sur 300 anomalies génétiques identifiées chez un individu, une poignée d’entre elles sont sélectionnées comme étant d’intérêt car retrouvées dans une majorité de ses cellules cancéreuses. La stratégie médicale et/ou la prescription de traitements peuvent s’appuyer sur ces signatures moléculaires. En recherche, l’enjeu porte sur la mise au point, grâce à l’IA, de traitements personnalisés. Nous en avons un exemple avec la fabrication de vaccins thérapeutiques individualisés qui implique la prise en compte d’un plus grand volume de données, de surcroît beaucoup plus complexes et profondes. Pour élaborer ce type de vaccin, nous comparons, chez un patient, le génome et le transcriptome de ses cellules normales et de celles cancéreuses. Ce sont des milliers de milliards de paires de bases analysées par des supercalculateurs en quelques heures pour détecter les différences. Nous vérifions que l’ARN messager code pour les anomalies identifiées et essayons de repérer, avec un système basé sur des probabilités, si celles-ci peuvent avoir fabriqué des protéines qui pourraient être reconnues par le système immunitaire. Ces technologies sont capables de recenser 3 000 mutations, en identifier 300 utiles (des « néo-antigènes ») dont une trentaine sont sélectionnées pour produire un vaccin individualisé. Le tout dans le temps médical requis de 3 mois. Ce projet fait l’objet d’un essai clinique de phase I mené à l’Oncopole, et nous pensons déjà à l'étape d’après : la vaccination thérapeutique individualisée de deuxième génération dont l’objectif est de parvenir à une efficacité proche de 100%. Pour cela, il faut analyser non seulement les données génétiques d’une tumeur mais aussi celles du système immunitaire d’un patient donné. La complexité est d’autant plus grande que notre immunité s’adapte en permanence (et que les interactions entre notre système HLA et les antigènes sont incroyablement adaptables), ce qui a pour conséquence d’avoir des taux de reconnaissance des néo-antigènes tantôt à un niveau faible tantôt à un niveau très élevé… Cela nécessite d’entrer dans le cœur du fonctionnement de chacun de ces rouages. Dans notre laboratoire, nous avons étudié des dizaines de milliers de néo-antigènes reconnus par les lymphocytes T de patients ce qui permet un apprentissage des connaissances par les algorithmes. Au-delà des systèmes, les sciences dures et les sciences de l’ingénieur sont absolument nécessaires pour intégrer, ranger et utiliser ces données ultra complètes et nous aider à formuler les hypothèses reliant chaque catégorie d'informations les unes aux autres. Nous sommes dans une accélération du temps et des moyens qui rend aujourd’hui possible notre capacité de mettre en application nos connaissances théoriques fondamentales. Les patients sont à la fois nombreux… et uniques. Imaginez la masse de données gigantesque que cela représente si l’on veut améliorer nos moyens de traitement !
Avec environ 4 000 nouveaux cas par an et une incidence en augmentation, le glioblastome est la tumeur primitive cérébrale chez l'adulte la plus fréquente et la plus létale. Très agressive, elle récidive dans presque 100 % des cas, malgré une chirurgie (si elle est possible) associée à une radio-chimiothérapie. « Lorsqu’un patient récidive, l’une des options thérapeutiques est de le traiter par irradiation stéréotaxique hypofractionnée (hFSRT), un protocole qui repose sur trois séances, très ciblées et à haute dose. Notre objectif est d’améliorer ce traitement, d’une part en le combinant avec une immunothérapie pour le booster et d’autre part, en se basant sur l’IA, pour prédire au mieux et rapidement la réponse individualisée des patients à cette combinaison (avant mais aussi en évaluation post radiothérapie et post-injection d’immunothérapie pour déterminer si le traitement doit être poursuivi). J’ai ainsi monté un essai clinique pour mesurer l’efficacité de cette association vs la ré-irradiation seule », indique la Pre Élizabeth Moyal, chef du département de radiothérapie de l’IUCT-Oncopole et de l’équipe RADOPT du CRCT (Inserm/CNRS/UPS).
Les résultats de la phase I viennent d’être publiés dans The Oncologist. « Avec l’Institut de recherche technologique (IRT) de Saint-Exupéry, nous compilons les IRM multimodales et les analyses biologiques des patients (avant, pendant la radiothérapie et l’immunothérapie et durant le suivi) afin de définir, par des algorithmes de prédiction, des clusters de patients ayant le même profil de sensibilité au traitement. Nous voulons mettre en évidence des marqueurs prédictifs de réponses ou de résistances à la radiothérapie et à l’immunothérapie. En plus des données d’IRM, nous étudions les protéines, cytokines notamment, relarguées dans la circulation sanguine et les exosomes émis par les cellules cancéreuses pour communiquer entre elles. Dans ces petites vésicules, nous analysons par exemple les ARNm qui sont soit des signaux d’alerte entre ces cellules pour s’aider à résister aux traitements, soit des marqueurs de sensibilité. Nous examinons aussi les charges mutationnelles des tumeurs, également prédictives de la réponse au traitement. La finalité est de s'orienter vers une médecine personnalisée en proposant la combinaison radiothérapie/immunothérapie à un patient de profil « répondeur » et, à l’inverse, d’éviter de la lui prescrire si nous savons qu’elle ne sera pas efficace et induira une toxicité potentielle sans gain thérapeutique », conclut la spécialiste.
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