La dénutrition est un enjeu majeur pour tous les patients atteints de cancer. Une intervention par une diététicienne ou un médecin nutritionniste doit être systématique. Egora-le Panorama du Médecin : Quelle proportion de patients atteints de cancer sont concernés par la dénutrition ? Dr Bruno Raynard : Cent pour cent des patients atteints d’un cancer sont à risque. D’après l’étude NutriCancer 2012, publiée dans Journal of Parenteral and Enteral Nutrition (J Parenter Enteral Nutr. 2018 Jan;42(1):255-260), la prévalence de patients dénutris est de 40% en France métropolitaine. À l’hôpital Gustave Roussy, avec 12 à 13 mille nouveaux patients par an, cela représente entre 5000 et 6000 patients dénutris à prendre en charge tous les ans. Évidemment, c'est au prorata dans tous les services qui s’occupent de cancérologie. Les patients ayant des cancers qui touchent le tractus digestif présentent les prévalences les plus élevées, mais aucune localisation tumorale n’est épargnée par ce risque. Comment la diagnostique-t-on ? Il existe des critères nationaux qui permettent de codifier le statut de gravité du patient dénutri. Ils sont fondés sur le pourcentage de perte de poids en un ou 6 mois avant évaluation : plus de 5 pour cent en un mois, 10 pour cent en six mois, quel que soit le poids antérieur (normal ou surpoids). En 2019, les experts de la Haute Autorité de Santé ont ajouté des critères objectifs de dénutrition. Selon ces nouveaux critères, tout patient atteint de cancer est considéré à risque. On vérifie ensuite son état de dénutrition grâce aux pourcentages de perte de poids. Il suffit de peser le patient lors de la consultation ou bien, en lui posant la question, de connaître le poids constaté un ou six mois auparavant. C’est relativement fiable et facile à faire. Le patient doit alerter son oncologue en cas de perte de poids de ce niveau.
Quels sont les mécanismes de cette perte de poids ? Les mécanismes de la perte de poids sont liés à une diminution des ingestats. Il y a une perte de tout ce qui va stimuler l’appétit. Cela est due à...
la fatigue, aux problèmes respiratoires, aux douleurs, aux troubles du transit, et à la dysrégulation de l’appétit au niveau du système nerveux central. Les patients vont recevoir des signaux négatifs au niveau de l'hypothalamus, au lieu de recevoir des signaux d'inhibition et de stimulation. 10 à 15 pour cent des patients souffrent du trouble du goût et de l’odorat. Cela s’aggrave avec les chimiothérapies, les immunothérapies, et la radiothérapie. De plus des signaux internes qui doivent normalement moduler cet appétit sont altérés. On en compte deux principaux : ceux qui viennent du tube digestif et la glycémie. Les patients qui, à cause de leurs tumeurs, présentent une inflammation importante auront en permanence une glycémie au-dessus de la normale, qui engendre une baisse de l’appétit.
D’autres mécanismes sont en cours d’étude : comme certaines cytokines pro-inflammatoires. En réponse à la présence de cellules tumorales, elles peuvent passer la barrière hémato-encéphalique et aller bloquer les noyaux qui stimulent l’appétit. Cela est essentiellement prouvé chez les modèles animaux, mais nous avons quelques données chez l’homme qui sont concordantes. Dans d’autres cas, comme pour les cancers de l'œsophage, la dénutrition s’explique par le l’obstruction du tube digestif. Enfin existe la cause iatrogène due à la polymédication. Certains patients présenteront un mécanisme, d’autres aucun, d’autres encore les auront tous en même temps. Plus la maladie est à un stade avancé, plus une accumulation de ces derniers altère l’appétit. Comment traiter la dénutrition ? Le meilleur moyen de traiter est de prévenir. Mais si le cas est trop sévère, on devra mettre en place...
une nutrition artificielle entérale voire parentérale. Il existe des cas de patients d’emblée sévèrement dénutris qui ne peuvent plus manger du tout, en particulier du fait d’une obstruction du tractus digestif. La nutrition artificielle sera alors nécessaire. Chez d’autres patients on essaie une prise en charge diététique avec de l’enrichissement, du fractionnement et, si finalement cela se dégrade, on proposera secondairement la nutrition artificielle.
Comment la prévenir ? Il faut détecter la dénutrition le plus tôt possible par le dépistage, et mettre en place une intervention diététique et nutritionnelle précoce. Dans les parcours de soin, même chez les patients qui ne sont pas dénutris, il faudrait intégrer une intervention par une diététicienne, ou un médecin nutritionniste, avec des conseils diététiques individualisés. Seront pris en compte : les goûts du patient, les habitudes diététiques, les difficultés qu’il rencontre, les causes. On pourra alors lui proposer des ajustements qui se feront de façon un peu expérimentale, au jour le jour, pour qu’il ait la possibilité de manger suffisamment. Il faut fractionner l'alimentation, supprimer le concept de manger matin, midi et soir ; ainsi que celui de « entrée, plat, dessert ». Il est préférable de partir sur de petites quantités, prendre de petites fractions alimentaires dès qu'il n'y a plus cette sensation de plénitude gastrique trop importante. On privilégiera les aliments qui ont une densité protéique et calorique importante. On sort de la réglementation alimentaire dans une situation de bonne santé. Si le patient veut aller au Mc Donald ou prendre une tartine de Nutella, il faut qu’il le fasse. L’objectif est d’empêcher que la dénutrition ne s’aggrave. Enfin, nous combattons les régimes, qu'ils soient médicaux ou plus exotiques comme le cétogène, ou le sans gluten.
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