Suicides d’internes : "Évitons de faire des amalgames avec la formation", prévient le doyen des doyens

24/02/2021 Par Marion Jort
Chaque année, dix à vingt internes mettent fin à leurs jours. Alors que quatre suicides ont été recensés depuis début janvier, les syndicats d'internes pointent du doigt l’inaction des ministères de la Santé, de l’Enseignement supérieur et de la Conférence nationale des doyens des facultés de médecine. Sur Egora, le doyen des doyens, le Pr Patrice Diot, répond à ces accusations. Dénonçant des amalgames, il assure que les doyens sont pleinement engagés.
 

Egora.fr : La semaine dernière, un interne en médecine générale à Reims a mis fin à ses jours. Il s’agit du quatrième depuis le début de l’année…  

Pr Patrice Diot : Je suis évidemment très attristé par cette nouvelle, qui s'ajoute aux autres. Toutefois, dans le cas de la personne qui s’est suicidée la semaine dernière, il y a aussi des problèmes personnels qui sont entrés en jeu. Évitons de faire des amalgames avec la formation. Ce qui est certain, c’est que nous sommes très atteints et très tristes. Mais je crois que tout est complexe, plus que ce qui ressort des communiqués de presse des syndicats d’internes diffusés hier.  

 

Un interne a pourtant trois fois plus de risque de se suicider qu’un jeune du même âge de la population générale. Comment remédier à ce phénomène ? 

Le communiqué de l’Intersyndicale nationale des internes [Isni, ndlr] dit qu’on ne fait rien, ce n’est pas juste. J’ai sensibilisé la conférence des doyens sur les risques psychosociaux, sur l’attention qu’il faut accorder aux autres. Nous avons rendu disponible la liste de tous les enseignants qui sont chargés de l’accompagnement des étudiants. Nous faisons évoluer les choses.  

Pour les représentants d’internes, ce n’est pas assez. Le comprenez-vous ? 

Tout ce qu’on peut faire, nous le faisons, évidemment. Malgré cela, je sais qu’il y a aussi des facteurs très personnels, qui ne regardent que les familles, qui existent. Il y a le fait que, probablement, ces personnes sont exposées aux difficultés que rencontrent les médecins dans leur exercice et...

compte-tenu de la situation sanitaire qui retentit sur l'ensemble des personnes, probablement décompensent brutalement et passent à l’acte. C’est un sujet très compliqué. Autant je peux dire que les formateurs se sentent très atteints et concernés par la question, et nous essayons de répondre du mieux possible aux attentes des internes sur le terrain, autant je ne sais pas comment éviter ces passages à l’acte de personnes qui, je pense, en raison de différentes circonstances, décompensent particulièrement.  

 

On sait par exemple que certains terrains de stage sont maltraitants. Faut-il leur retirer leur agrément ?  

Là-dessus, il n’y a aucun doute. Un stage dans lequel des internes seraient victimes de maltraitance, il n’est pas question de conserver les agréments. C’est tolérance zéro. Ce que j’ai pu lire des critiques dans les communiqués de presse me paraît très excessif. Je ne veux pas m’exonérer de notre responsabilité, il ne s’agit pas de cela. Mais je crois que c’est inquiétant de voir ces amalgames qui ne paraissent pas correspondre à la réalité de ce qu’il s’est passé.  
 

Dans son communiqué justement, l’Isni parle de “violence institutionnalisée"... Que peut faire la conférence des doyens à ce sujet ? 

Ce qui est sûr, c’est qu’en cas de maltraitance avérée, il n'est pas question de garder des agréments dans des endroits où des maîtres de stages seraient maltraitants. 
 

Êtes-vous favorable, comme le propose l’Isni, au fait de déclencher une mission d’inspection indépendante nommée par les directeurs d’ARS à chaque suicide d’un interne ?  

La justice doit faire son œuvre. Je le répète : c’est tolérance zéro. Je pense que pour ces sujets, comme sur les sujets de harcèlement, il faut porter les affaires devant la justice. 

Pourrait-on aussi assouplir le droit au changement de subdivision pour ceux qui le souhaitent ? 

Dans le cas de phénomènes de maltraitance avérés, bien sûr que je suis favorable à la souplesse nécessaire pour les étudiants à se réorienter, y compris de changer de subdivision, il n’y a aucun doute. Si le phénomène est avéré...

et si on estime que la situation est telle qu’il faut qu’un interne soit relocalisé, j’y suis évidemment favorable.  

 

Les internes travaillent 58 heures hebdomadaires en moyenne selon une étude de l’Isni, soit bien plus que le cadre légal fixé à 48 heures. Comment contraindre les hôpitaux à respecter la réglementation ? 

Il faut simplement faire respecter la loi. La loi est claire sur le temps de travail des internes, et là où ce n’est pas respecté, on doit suspendre les agréments. Notre discours et nos actes sur ce point sont clairs. Ça n’évitera peut-être pas tous les passages à l’acte comme cela a été le cas la semaine dernière… Mais je pense que c’est un peu facile de dire, comme je l’ai lu, que tout cela est la faute de la maltraitance et d’une forme d'irresponsabilité des doyens. Je crois que cela est un amalgame dangereux, qui entretient quelque part les phénomènes.  

 

Malgré la loi, le plafond légal est encore largement dépassé… C’est d’ailleurs l’une des principales préoccupations des représentants d’internes. Comment faire pour respecter le temps de travail ? 

Le discours des doyens est très clair à cet égard, je peux vous le garantir. Si ce n’est pas respecté, il faut le dire aux doyens. Nous prendrons nos responsabilités et nous suspendrons les agréments là où les internes sont maltraités. C’est une question de justice et de respect de la réglementation. 

  

Qu’existe-t-il concrètement aujourd’hui pour aider les internes qui en ont besoin ? 

Différentes choses ont été mises en place dans les facultés de médecine. Il y a des bureaux d’interface professeur/étudiant, des commissions d’accompagnement des étudiants. On a mis en ligne sur le site de...

la Conférence des doyens, les coordonnées, y compris téléphoniques, des personnes en charge de ces situations-là. Il faut effectivement que les internes n’hésitent pas à les contacter, il n’y a pas de crainte à avoir. Quelquefois, il y a des réserves de certaines personnes qui ont peur de compromettre leur avenir mais il faut sortir de cette idée-là. Nous sommes, en tant que doyens, au service des internes, pour les aider. Il n’y a aucune arrière-pensée de notre part à ce sujet.  

 

Est-ce suffisant ? Certains internes ont pourtant dénoncé leurs conditions d’études et ont été pointés du doigt… 

J’en suis consterné. Les doyens, je l’assure, sont complètement mobilisés sur ce sujet. Je ne vois pas un doyen, aujourd’hui, ostraciser un interne au motif qu’il se serait plaint, légitimement, d’avoir une surcharge de travail et un tel harcèlement. Tolérance zéro, c’est aussi dire quand de telles situations arrivent, sans aucune peur.  

 

Le Centre national d’appui, dont la mission est de proposer des recommandations pour développer la qualité de vie des étudiants en santé à destination des formateurs, peut-il être le bon levier pour faire bouger les choses ? 

Le CNA, ou une structure d'appui pour les internes, c’est fondamental. Il faut le faire avec justesse, sans parti pris. Je pense qu’il faut peut-être revoir l’organisation du CNA et sortir de cette idée qu’il y a d’un côté les affreux coupables qui sont responsables de tout car ce n’est pas une façon de résoudre les problèmes. D’ailleurs on le voit bien, ça ne fait pas avancer la cause.   

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