D'après la dernière enquête* menée par la Commission nationale d’entraide de l’Ordre des médecins sur la santé des médecins, plus d’un praticiens sur trois ne se considère pas en bonne santé. Un chiffre en augmentation qui peut s’expliquer par la fréquence élevée des situations stressantes vécues dans le cadre de leur activité professionnelle. L’enquête souligne, notamment, une augmentation, chez certains médecins, de la consommation régulière d’alcool, de médicaments et de psychotropes, alors qu’ils sont plus nombreux à renoncer à suspendre leur activité bien que leur état le justifierait. Pour illustrer cette dernière remarque, arrêtons-nous sur une décision récente du Conseil d’Etat, rendue le 14 novembre 2022. Une addiction préjudiciable aux patients Dans une première décision du 2 septembre 2020, dont elle n’a pas demandé l’annulation, une médecin généraliste a été suspendue pour une durée de six mois, en raison d’un état pathologique à type de trouble lié à l’usage de l’alcool et des sédatifs. Autorisée à reprendre son activité par une décision du 20 mai 2021, et alors qu’elle bénéficiait d’un suivi par un médecin addictologue et un psychiatre, ce médecin a fait l’objet en septembre 2021 d’un signalement d’une patiente auprès du conseil départemental de l’Ordre, décrivant un état d’ébriété à l’occasion de consultations la concernant personnellement ou des tiers, puis, au mois d’octobre, d’un signalement de deux employés de la CPAM de la Sarthe lui ayant rendu visite à son cabinet et relatant un état de très grande confusion, évocateur d’un trouble analogue. L’intéressée a constamment oscillé entre le déni et la reconnaissance de sa dépendance à l’alcool et alors qu’elle était convoquée devant le Cnom, ne s’y est pas présentée pour des motifs qui n’ont pas été jugés crédibles. L’Ordre a ainsi prononcé une nouvelle mesure de suspension pour une durée d’un an, contestée, en urgence, par cette généraliste, devant le juge des référés du Conseil d’Etat.
Pour sa défense, elle s’appuyait sur le rapport des experts, désignés en application de l’article R.4124-3 du Code de la santé publique, qui indiquait que les troubles dont elle souffrait n’étaient pas actuellement de nature à rendre dangereux son exercice. Elle invoquait également la durée excessive de cette interdiction d’exercer qui la priverait de ses revenus professionnels alors qu’elle devait supporter des charges mensuelles élevées. Dernier argument avancé : elle exerce sa profession de médecin généraliste dans un « désert médical », de sorte que son activité professionnelle revêt un caractère d’intérêt général. Pour l’Ordre national, ces arguments n’ont pas été jugés suffisamment convaincants, et le Conseil d’Etat, dans sa décision du 14 novembre dernier, a donné raison à l’Ordre après avoir rappelé que le rapport des experts, même s’il pouvait être favorable à l’intéressée, ne liait pas le Conseil national de l’Ordre et alors même que les difficultés importantes que ce médecin semblait éprouver pour maîtriser son addiction, justifiaient la durée de cette nouvelle suspension d’exercice.
Par Nicolas Loubry, juriste.
La sélection de la rédaction