Après cancer : des patients négligés

21/04/2018 Par Marielle Ammouche
Cancérologie

La période qui succède aux traitements d’un cancer, est souvent difficile à vivre pour les patients qui naviguent entre l’espoir d’une rémission prolongée, voire d’une guérison, et la peur d’une rechute. Elle nécessite de nombreuses adaptations, tant sur le plan physique, et psycho-affectif, que social et professionnel. Pourtant, selon un rapport de l’Académie nationale de médecine, qui vient d’être publié, ces aspects sont insuffisamment connus et pris en compte par les professionnels de santé.

Comme viennent de le montrer les derniers chiffres publiés par l’Institut national du cancer (INCa), pour la France, ainsi que ceux de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), la mortalité par cancer diminue. En France métropolitaine, le taux baisse à un rythme de - 1 % par an pour les femmes et de - 1,5 % pour les hommes. Selon l’INCa, la survie nette standardisée à 5 ans pour les quatre cancers responsables du plus grand nombre de décès est passée entre les périodes 1989-1993 et 2005-2010 de 72 à 94 % pour la prostate, de 80 à 87 % pour le sein, de 54 à 63 % pour le côlon-rectum et de 13 à 17 % pour le poumon. Ce meilleur taux de survie est encore plus net chez les sujets plus jeunes. En Europe, les estimations de l’OMS évaluent à -10,3% chez les hommes et - 5% chez les femmes, la baisse de la mortalité entre 2012 et 2018, pour l’ensemble des cancers, en tenant compte du vieillissement de la population. En conséquence, et du fait de l’augmentation globale de l’incidence des cancers, la population ayant eu ce type de pathologie est en augmentation. En 2008, 3 millions de Français avaient subi un cancer dans les 15 années précédentes. Et pour l’avenir, les chiffres s’envolent avec 18 millions de cas estimés pour 2022. Ces patients ayant été traité pour un cancer constituent de fait une patientèle aux caractéristiques et aux problématiques particulières. Pour l’Académie nationale de médecine, qui vient de publier un rapport sur ce sujet, "la prise en charge de l’"Après Cancer" est une étape indispensable du parcours de soins en cancérologie". Dans ce texte, qui est basé sur l’audition de nombreux professionnels, l’institution souligne les insuffisances concernant les aspects sociétaux, familiaux, et professionnels : "depuis plus de 10 ans la notion de prise en charge des patients après leur cancer a été prise en compte de façon séparée par les différentes tutelles et dans de nombreux textes législatifs d’où, sans doute, les difficultés de mise en œuvre". Elle appelle à "coordonner toutes les mesures existantes garantissant au maximum de patients un retour à la "vie normale"". Cette période, qui correspond au moment où les traitements aigus sont terminés et où la surveillance commence, a bénéficié de la mise en place d’un programme personnalisé de l’"Après Cancer" (Ppac) proposé dans le plan cancer II (2009-2013) et reconduit dans le plan cancer III (2014-2019. Elle est souvent difficile à vivre pour les patients, qui naviguent entre le bonheur d’en avoir fini avec les traitements à l’angoisse des récidives. La notion de guérison est parfois difficile à accepter en raison des séquelles physiques, mais aussi psychologiques. Elle est liée aussi aux différents traitements - les patients se disent moins souvent guéris après chimiothérapie, hormonothérapie et radiothérapie qu’après chirurgie – mais aussi à la façon dont l’annonce du diagnostic et sa prise en charge ont été faites.   Renforcer l’adhésion des patients aux modalités de suivi   "La prescription d’un soutien psychologique hors établissement n’est pas remboursée", alors que les données scientifiques ont bien mis en évidence que la survie après cancer est améliorée en l’absence de trouble psychique. Les auteurs du rapport recommandent donc de réaliser une évaluation psychologique des patients dès leur prise en charge. Cet aspect psychologique conditionne aussi le bon suivi des modalités de surveillance (fréquence des consultations, examens complémentaires) qui doivent être consignées dans le Ppac. "Mais l’expérience prouve que celles-ci ne sont souvent pas suivies" affirment les auteurs du rapport, en lien avec les difficultés d’associer les concepts de guérison et de surveillance, mais aussi la multiplicité des acteurs. Pour renforcer l’adhésion des patients, les académiciens évoquent la possibilité de contraintes financières (absence de remboursement…), et l’aide des objets connectés.   Sexualité : un manque de données   La vie sexuelle et la fertilité constituent une problématique de plus en plus fréquente du fait d’une proportion croissante de sujets jeunes touchés par le cancer. "On peut considérer qu’environ 55 000 patients par an sont potentiellement concernés par le problème de préservation de la fertilité" affirment les académiciens : 23 % des hommes atteints d’un cancer avait qui ont moins de 60 ans (soit 46 423 patients) et 5,4 % des femmes qui ont moins de 40 ans (soit 8 386 patientes). S’y ajoutent les enfants de moins de 15 ans suivis, le plus souvent pour une hémopathie maligne (1 700 cas par an), et dont la survie dépasse les 80%. Une autre enquête tirée de Vican 2 qui a porté sur 4349 adultes de moins de 45 ans confirme que la préservation de la fertilité est un enjeu majeur de leur qualité de vie : individuellement 37% des hommes et 32% des femmes ont un projet parental et chez les couples de moins de 35 ans sans enfant ce pourcentage s’élève à 75%. Il ressort aussi de cette enquête une insuffisance d’information fournies aux patients. Ainsi, 68% de ces patients n’ont pas reçu de proposition de préservation de la fertilité, et seulement 16% des hommes et 2% des femmes en ont bénéficié. L’information apparait aussi insuffisante pour les professionnels de santé. L’organisation régionale de cette prise en charge est "inhomogène avec un maillage territorial insuffisant » affirment les académiciens, pour qui « il n’existe pas de prise en charge véritablement organisée". En outre, les études épidémiologiques manquent, en particulier concernant l’impact des différentes techniques de préservation de la fertilité, mais aussi les nouvelles méthodes de réutilisations des tissus testiculaire et ovarien et des gamètes immatures, potentiellement utile chez les enfants avant la puberté. "La conservation de la fertilité permet, certes à l’enfant et aux parents de se projeter dans l’avenir et une absence d’information sur ce point peut constituer un dommage moral susceptible de jugement devant la Cour de Cassation" soulignent les auteurs du rapport.   Vie quotidienne : conseils hygiéno-diététiques   Comme le souligne l’Académie de médecine, "les séquelles thérapeutiques doivent être prises en charge par l’équipe soignante mais l’investissement personnel des patients eux-mêmes est très important". Dans cette étape, le patient est aidé par l’Association Française des Soins Oncologiques de Support (Afsos), créée en 2008, qui a publié 72  "référentiels" disponibles sur son site (afsos.org). Ces soins visent à diminuer les effets secondaires des traitements et assurer une meilleure qualité de vie aux patients et à leurs proches. Cependant, « leurs prises en charge financières restent un problème » souligne le rapport. L’alimentation fait partie des questions majeures des patients : certains aliments ou régimes peuvent-il prévenir les récidives ? Pour l’Académie, "il n’y a pas de nutriments ayant fait preuve de leur efficacité sur la survie dans le cancer". Les données les plus fiables concernent le cancer du sein. Ainsi, les études montrent que la prise de poids augmente le taux de récidives et de cancer contro-latéral du sein, avec un lien encore plus fort pour chez les patientes dont le cancer est hormono-dépendants, et que la réduction des apports en graisse améliore la durée de survie sans rechute. Par ailleurs, la prise d’alcool et de tabac augmente le risque de cancer controlatéral. Il semble aussi qu’un taux suffisant de vitamine D ait un effet protecteur. Enfin, une étude montre que le soja diminuerait le risque de récidive du cancer du sein et prolongerait la survie (Shu XO, et al. Jama. 2009 Dec 9; 302(22):2437-43). L’activité physique apparait aussi fondamentale. Les différentes études et méta-analyses montrent qu’elle permet de réduire significativement la fatigue liée au cancer, améliore la qualité de vie globale, les capacités physiques, les fonctions sociales, et la psychologie en général avec une réduction des symptômes dépressifs. Elle participe aussi à la réduction des récidives et de la mortalité liée aux cancers du sein, colorectal et de la prostate. Elle peut être prescrite ; mais "il n’y a pas de cotation et le remboursement est encore aléatoire" précise le texte de l’‘Académie.   Maintenir l’activité professionnelle et favoriser les projets   Sur mille nouveaux cancers diagnostiqués, 400 concernent des personnes ayant une activité professionnelle. Or celle-ci est souvent remise en question par la maladie ; et les conséquences se poursuivent à l’arrêt du traitement. Une enquête du programme Vican 2, publiée en 2014, qui a permis de suivre 2508 patients jusqu’à 2 ans après un diagnostic de cancer, a montré que le taux d’emploi passe de 82 % à 61 % chez les malades, et le taux de chômage de 7 à 11 %. Une personne sur trois quitte ou perd son emploi contre une sur six en population générale et parmi les personnes au chômage au moment du diagnostic seule une sur trois retrouve un emploi. Pour tenter d’améliorer cette situation, l’INCa en partenariat avec le réseau Agence nationale/régionale pour l’amélioration des conditions de travail (Anact-Aract) et l’association nationale des DRH (Andrh) a favorisé la création d’un club des entreprises « cancer et emploi » qui a rédigé une charte avec 4 axes, visant à accompagner le salarié dans le maintien et le retour en emploi, et à promouvoir la santé en entreprise. "Le retour à la vie normale passe aussi par la réalisation de nouveaux projets et donc de pouvoir emprunter et s’assurer comme tout le monde" ajoutent les académiciens. C’est l’objet de la convention Aeras (pour s’Assurer et Emprunter avec un Risque Aggravé de Santé), et du "Droit à l’oubli", dont le délai est fixé à 10 ans après la fin du protocole, et à 5 ans, si le patient à moins de 18 ans. Les auteurs s’interrogent cependant sur le fait que ces délais pourraient être raccourcis en raison des nouvelles avancées thérapeutiques modifiant le pronostic de certains cancers.

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