ESC 2018 : l’aspirine remise en question

13/09/2018 Par Corinne Tutin
Cardio-vasculaire HTA

[LES GRANDS CONGRES DE L'ANNEE] Durant l’été, Egora vous propose de revenir sur les grands congrès de l’année écoulée, en mettant en avant les actualités majeures qui y ont été dévoilées. La rentrée a été marquée le congrès de la Société européenne de cardiologie (ESC), qui s’est déroulé à Munich du 25 au 19 août 2018. Et sans nul doute, l'édition 2018 a bousculé les pratiques. Des nombreux résultats en demi-teinte, voire négatifs, ont été présentés, certains remettant en cause des notions bien établies. L’aspirine a ainsi constitué l’un des sujets phare de ce congrès. En effet, son intérêt chez le diabétique sur le risque cardiovasculaire pourrait être compensé par son risque hémorragique.

Deux grands essais présentés à Munich, l’un chez le patient diabétique, et l’autre chez le sujet à risque cardiovasculaire modéré, suggèrent une absence d'intérêt de l’aspirine pour la prévention cardiovasculaire. Ainsi, l’étude britannique Ascend a analysé chez 15 480 patients diabétiques (dans 94 % de type 2) sans antécédent cardiovasculaire les effets d’une administration d’une part de 100 mg/j d’aspirine, et d’autre part, d’une supplémentation par 1 g d’oméga 3. Après un suivi médian de 7,4 ans, la prise d’aspirine s’est certes traduite par une réduction de 12 % des événements cardiovasculaires sévères (infarctus du myocarde, AVC et AIT, décès cardiovasculaires), critère de jugement primaire de l’essai (8,5 % versus 9,6 %, p = 0,01) (1). Mais, cet effet a été obtenu au prix d’un accroissement de 29 % des hémorragies majeures (4,1 % versus 3,2 %, p = 0,003), le plus souvent d’origine gastro-intestinale. "Ces chiffres contre-balancent l’intérêt préventif de l’aspirine. Ce qui pourrait avoir des répercussions importantes pour les millions de personnes dans le monde qui ont un diabète mais n’ont pas encore développé de complication cardiovasculaire", a considéré le Pr Jane Armitage (Université d’Oxford, Grande-Bretagne). Les résultats posent d’autant plus question qu’il n’a pas été possible d’identifier un sous-groupe de patients qui tireraient partie de l’aspirine : même chez les patients avec le plus fort risque vasculaire, près de 2 % par an, on notait sous aspirine autant d’hémorragies provoquées que d’événements vasculaires évités. En outre, à la différence d’essais antérieurs, aucune réduction du nombre de cancers n’a été relevée (11,6 % contre 11,5 % sous placebo, p = 0,81) y compris pour ceux concernant la sphère gastro-intestinale (2 % dans les 2 bras). Bien que 77 % des patients aient bien pris leurs capsules d’oméga 3, aucun effet notable de cette prescription n’a non plus été relevée en termes de prévention des événements vasculaires (8,9 % contre 9,2 % sous placebo, p = 0,55). Mais du moins les oméga 3 ont-ils été très bien tolérés (même pourcentage d’effets secondaires sérieux que sous placebo) (2).  La deuxième étude, Arrive, qui a recruté 12 546 patients, a aussi débouché sur des résultats mitigés pour la prévention des infarctus du myocarde et des AVC chez les patients à risque cardiovasculaire modéré (risque estimé entre 20 et 30 % à 10 ans, pas d’antécédent d’infarctus ou d’AVC) (3). Après 60 mois de suivi les chiffres se sont avérés similaires dans le groupe aspirine et placebo pour le critère de jugement primaire, un critère composite associant décès cardiovasculaires, infarctus du myocarde, angors instables, AVC, AIT : 4,3 % sous aspirine contre 4,5 % sous placebo (p = 0,6). "Une tendance en faveur de l’aspirine a été relevée pour le nombre d’infarctus du myocarde pour les patients les plus jeunes, soit ceux de 50 à 59 ans, mais aucun effet n’a été relevé pour les AVC", a admis le Pr Michael Gaziano (Boston, États-Unis). Le nombre d’hémorragies gastro-intestinales, le plus souvent d’intensité légère, a été multiplié par 2,1 sous aspirine (0,97 % versus 0,46 %) mais le taux d’hémorragies fatales n’a pas été majoré sous cet anti-agrégant. Ces chiffres décevants ne remettent pas en question l’intérêt de la prévention secondaire par aspirine après infarctus du myocarde ou AVC, lequel est démontré.

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