Perturbateurs endocriniens : chez les femmes enceintes, les difficultés de la prévention
Malformations génitales, baisse de la fertilité, cancers hormonodépendants, troubles du spectre autistique, troubles du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH), baisse de QI, diabète, obésité… les effets des perturbateurs endocriniens sont légion. Si le bisphénol A a été interdit dans les biberons en 2010, puis dans les contenants alimentaires en 2015, près de 800 autres substances chimiques, perturbateurs endocriniens avérés ou suspectés, continue à imprégner notre environnement, des produits ménagers aux cosmétiques en passant par les aliments. Selon une étude publiée en 2015, leur coût économique s’élèverait à 157 milliards d’euros par an dans l’Union européenne (UE), soit environ 1% de son PIB (1).
Du fait de leur action sur le système hormonal, ces substances ont pour particularité d’agir à de très faibles doses. A quoi s’ajoute « l’effet cocktail » : lorsqu’ils sont présents simultanément, les perturbateurs endocriniens peuvent renforcer leurs effets respectifs, de manière synergique. Parmi les plus vulnérables à la toxicité de ces agents, les jeunes enfants, dont le développement est sous étroit contrôle hormonal. C’est donc au cours des « 1 000 premiers jours », période couvrant la grossesse et les deux premières années de l’enfant, que l’impact des perturbateurs endocriniens serait le plus élevé.
85% des médecins se disent mal informés
Or, face à un risque toujours plus étayé par les études scientifiques, l’information des femmes enceintes est loin d’être systématique. Selon une étude française publiée en 2020, menée auprès de 1 650 médecins généralistes, gynéco-obstétriciens et sage-femmes, 57,3% d’entre eux reconnaissent ne donner aucune information sur les perturbateurs endocriniens lors d’un suivi de grossesse (2). D’ailleurs, 85% se disent eux-mêmes mal informés sur le sujet, tandis que 92,9% souhaiteraient l’être davantage. A l’inverse, une étude menée en 2016 par l’Association santé environnement France (Asef) auprès de 502 femmes enceintes indique que seules 17% ont été sensibilisées aux perturbateurs endocriniens lors de leur suivi.
Comment expliquer la faible place accordée aux perturbateurs endocriniens ? Selon Rémi Béranger, maître de conférence en maïeutique à l’université de Rennes et sage-femme au CHU de Rennes, « les professionnels de santé n’ont pas forcément de temps dédié à ces échanges en particulier, aussi bien lors des entretiens prénataux que postnataux ». D’autant que d’autres messages de prévention, en particulier ceux relatifs à l’alcool et au tabac, demeurent d’importance primordiale pour les femmes enceintes, et qu’il s’agit de ne pas les noyer sous des conseils secondaires.
Une prévention complexe
Le dialogue entre soignants et femmes enceintes bute aussi sur la complexité du sujet, « qui repose sur un grand nombre d’expositions différentes, engendrant de nombreux effets sanitaires potentiels », ajoute Rémi Béranger. Et s’il est crucial de ne pas boire et de ne pas fumer pendant la grossesse, se passer de fruits et de légumes, même ceux issus de l’agriculture conventionnelle (non biologique), serait contreproductif. Selon l’étude Elfe (Etude longitudinale française depuis l’enfance), plus de 75% des femmes enceintes présentent des apports insuffisants en fruits et légumes.
Alors que les risques liés au tabac et à l’alcool durant la grossesse sont désormais bien quantifiés, tel n’est pas le cas pour les perturbateurs endocriniens. « Le risque est clairement sous-estimé. Même moi, en tant que chercheur, j’aurais du mal à déterminer le risque clairement associé aux perturbateurs endocriniens, notamment du fait de l’effet cocktail », indique Rémi Béranger. Sous le sceau de l’anonymat, une généraliste bien au fait des perturbateurs endocriniens, qui s’est impliquée dans cette mission de prévention avec les femmes enceintes, admet l’avoir délaissée, découragée par le temps requis et la complexité des messages à transmettre.
1. Bellanger et al., Journal of Clinical and Endocrinological Metabolism, 5 mars 2015
2. Marguillier et al., European Journal of Obstetrics & Gynecology and Reproductive Biology, 26 juin 2020
Lancé en 2011 dans le Nord-Pas-de-Calais (désormais intégré aux Hauts-de-France), le projet Femmes enceintes, environnement et santé (FEES) vise à réduire l’exposition des jeunes parents et de leurs enfants vis-à-vis des perturbateurs endocriniens, des agents cancérigènes ou allergisants. Fruit d’un partenariat entre l’Association pour la prévention de la pollution atmosphérique (APPA) et la Mutualité française, il s’est depuis étendu à six autres régions françaises. Parmi ses principales missions, la formation continue de professionnels de santé et de la périnatalité, ainsi que la sensibilisation de futurs et jeunes parents. Plus d’informations sur www.projetfees.fr.
Au sommaire :
- Les généralistes, en première ligne face au réchauffement
- La pollution de l’air, un risque en construction
- Dans la santé, la transition écologique s’affiche enfin au grand jour
- Médicaments : le bon usage pour limiter l’impact environnemental
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