"Dès que j’ai un successeur, je prends ma retraite tout de suite !", s’exclame le sénateur de Corrèze Daniel Chasseing (Les Indépendants – République et Territoires). À 77 ans, le généraliste a repris les consultations dans sa maison de santé, à Chamberet, en plus de son activité de parlementaire. "J’en assurais toujours un peu. Les jours où j’étais au Sénat, j’arrivais à avoir quelques remplaçants. J’avais aussi trouvé une personne pour me succéder, mais elle n’a finalement pas passé sa thèse dans les trois ans impartis,donc le Conseil de l’Ordre a refusé de prolonger sa licence. Elle reviendra au mois de juillet !", poursuit-il.
En attendant… hors de question pour lui de laisser tomber ses patients. Il a donc décidé d’alterner entre sa blouse et son costume. “Vous voyez, le lundi j’ai des impératifs en Corrèze, mais je profite de la route pour faire quelques visites à domicile, car il y a des patients isolés qui ne peuvent pas se déplacer. Le mardi et le mercredi, je suis au Sénat toute la journée, donc j’essaie de trouver quelqu’un pour me remplacer au moins l’un des deux jours. Le jeudi, je reviens au cabinet et je fais des visites. Le vendredi, je commence les consultations à 7 h 30 et à 13 h, soit j’enchaîne avec des visites, soit je reste au cabinet”, développe Daniel Chasseing. Le samedi et le dimanche, pas de repos non plus : “Je bosse, bien entendu !”
Un emploi du temps millimétré, que le sénateur ne regrette pour rien au monde. “Pourquoi je fais ça, me demanderez-vous ? Parce que dans ma commune, j’ai un Ehpad de 86 lits. En maison de retraite, on a une population extrêmement fragile. Heureusement pour nous, il y a une très bonne équipe d'infirmières dans l’établissement, mais on doit tout de même perfuser des patients par exemple et les surveiller. J’ai aussi sur le territoire une maison d’accueil spécialisé et un foyer de 30 lits."
Daniel Chasseing aimerait trouver plus de médecins pour sa maison de santé, située à 50 kilomètres de Limoges, de Tulle et de Brive-la-Gaillarde. "C’est difficile, car nous sommes dans le rural profond ici. Pourtant, j’ai créé une maison de santé ‘éclatée’ sur trois pôles. Dans celle où je suis, il y a six infirmières, deux kinés, deux orthophonistes, des dentistes, des ostéos… Il y a même des spécialistes qui viennent de Tulle une fois par mois. Mais il manque un médecin, qui est la personne indispensable pour faire le chef d’orchestre de la maison de santé”. Difficile, donc, de retirer sa plaque dans ces conditions… "Je laisserais tomber les infirmières et aussi les patients car le médecin est le prescripteur."
"L’accès direct va compliquer les choses pour rien"
Une situation et des propos qui font largement écho à l’actualité parlementaire mouvementée de ces derniers mois. Défenseur de la ruralité, le sénateur a déjà déposé des amendements en faveur de la coercition. "Je pense qu’on va y arriver un jour. Ce que je propose à côté, ce n’est pas grand-chose. Je pense que dans les zones où il y a beaucoup de médecins, les zones bien dotées, il ne faut pas qu’il y ait de conventionnement possible à l’installation. Sauf, bien sûr, s’il s’agit d’un praticien qui succède à un autre dans le cadre d’un départ en retraite".
Plaidant pour une revalorisation de l’acte – sans toutefois donner de montant, Daniel Chasseing s’oppose en revanche aux mesures d’accès direct prévues par la loi Rist. "Cela va compliquer les choses pour rien", considère en effet le généraliste.
Pour lui, les infirmières de pratique avancée (IPA) et les médecins doivent absolument... travailler en "synergie". "Demain, je vais avoir en deux heures de rendez-vous, la moitié des consultations pour un renouvellement de médicaments. Si en tant que généraliste je travaille avec l’IPA, je peux lui dire quelles consultations elle peut prendre ou non et si elle a des soucis, des questions, elle peut m’en parler facilement. Mais si ce n’est pas le cas, que risque-t-il de se passer ? Le patient contacte directement une IPA qui ne le connaît pas forcément. Elle aura des questions, elle appellera pour savoir quoi faire. Il n’y aura pas de temps de gagné, finalement !", analyse-t-il.
À ses yeux, la complémentarité des deux est donc essentielle, "mais ce doit être le médecin qui contrôle tout. Il connaît les patients, les traitements, les antécédents, parfois la famille…" "Je ne dis pas que les IPA ne peuvent pas prendre en charge directement, mais cela doit se faire après en avoir parlé avec le médecin.”"
Le sénateur souhaite également mettre l’accent sur les soins non programmés. "Nous avons le devoir de prendre en charge tous les patients et même davantage", estime Daniel Chasseing. Pour ce faire, il mise sur leur revalorisation et sur le fait que les médecins prennent plus de gardes, en se structurant, par exemple, en CPTS. "Pour que ça fonctionne, il faut que les CPTS ne soient pas loin les unes des autres", précise-t-il. Le sénateur imagine en fait un système où plusieurs maisons de santé seraient de garde à tour de rôle. "De garde entre guillemets, c’est plus pour recevoir des gens pour des banalités. Par exemple, des otites, des bronchites. Si le médecin traitant a prévu de terminer les consultations à telle heure et que se présente une personne avec une bronchite asthmatiforme, au lieu de l’envoyer vers les urgences où il y a trop de monde, il l’envoie dans la maison de santé en question."
Tout faire pour les patients
Il se souvient que, dès son installation, "il y a quelques années", il était de garde continuellement en alternance avec son autre confrère généraliste. "Pendant 40 ans, c’était une journée sur deux et on passait la nuit dehors en allant chez les gens. Les gardes d’aujourd’hui, c’est de la rigolade, de 20 h à minuit, au cabinet. Il ne s’agit bien sûr pas de revenir à ce que j’ai pu connaître, mais de gérer, au moyen d’astreintes, les soins non programmés", défend Daniel Chasseing.
Pourtant, les médecins généralistes, aujourd’hui, ne cessent d’alerter sur le manque de temps médical et leurs conditions de travail, de plus en plus compliquées. Récemment, la mobilisation des syndicats, les manifestations nationales, les grèves dans les cabinets, se sont enchaînées pour dénoncer une politique de devoirs toujours plus importante, imposée par le ministère de la Santé et l’Assurance maladie… Sans aucun droit en contrepartie. En témoigne le déroulement des négociations conventionnelles, que les représentants syndicaux ont fait le choix de quitter à plusieurs reprises et l’appel à la mobilisation générale du 14 février prochain.
Même s’il dit "comprendre" leur position, le sénateur Chasseing distingue la nécessité de libérer du temps médical d’un côté et "le travail qui doit être fait pour les patients", de l’autre. "La solution, c’est l’exercice coordonné", insiste-t-il. "Grâce à un duo médecin-IPA, beaucoup de patients atteints de maladies chroniques pourront être suivis, renouvelés. Prenons le cas d’une personne dont certains indicateurs ont bougé après une prise de sang. Il faut adapter la prescription. L’IPA va faire des propositions, le médecin va valider. A partir du moment où ils sont dans la même maison de santé, ça va prendre 30 secondes. L’exercice coordonné ne peut pas se faire uniquement avec le dossier médical partagé !”
Au-delà de la coopération entre les différents professionnels de santé, l’élu ne peut s’empêcher de se positionner en faveur d’une gestion des soins territorialisée. "Il faut travailler avec le département", confirme-t-il, regrettant parfois une politique trop hospitalo-centrée. Ce défaut, le sénateur le constate d’ailleurs dès les études de médecine. "Les internes, même ceux de médecine générale, restent trop à l’hôpital", dénonce-t-il, appelant à prévoir des stages en ville "dès le premier cycle".
Alors qu’une quatrième année d'internat se profile pour les futurs MG, le sénateur émet certaines réserves quant à son déroulé. "Je rappelle qu’ils seront en dixième année. Ils seront thésés et donc médecins. Ils auront aussi déjà trois années d’internat derrière eux… Et maintenant, on voudrait leur demander de faire une année supplémentaire avec un maître de stage (MSU) ?". Pour lui, il faudrait plutôt prévoir six mois d’encadrement des “Docteurs juniors” avec un MSU, puis six mois avec un "médecin référent", qui connaît la patientèle et vers qui ils pourraient se tourner au besoin. D’autant que selon le sénateur, imposer ou "inciter fortement" les jeunes médecins à faire un stage en zone sous-dotée pour leur donner envie de s’y installer… n’a rien d'efficace. "Ma consoeur était maître de stage pendant 20 ans, on en a vu défiler des étudiants. Et malgré tout, il n’y a pas de médecin qui s’est installé à nos côtés"; rapporte-t-il.
Conscient que la nouvelle génération de généralistes entend respecter un équilibre vie personnelle-vie professionnelle et que l’internat d’aujourd’hui est plus long que celui qu’il a pu connaître, Daniel Chasseing leur lance un vrai appel : "Il faut absolument prendre en charge les soins non programmés dans les territoires". Un sujet qu’il continuera de défendre au Sénat en attendant le prochain projet de loi sur lequel il est très engagé, celui du Grand âge.
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