Le débat autour des déserts médicaux occupe la place publique depuis plusieurs années déjà, mais aucune solution n’a pour l’heure permis d’endiguer ou de mettre fin à ce problème. Au contraire, l’accès aux soins apparaît de plus en plus compliqué sur l’ensemble du territoire – dans des zones rurales comme dans des villes moyennes ou des zones périurbaines, et l’inquiétude des Français à ce sujet ne cesse de croître. C’est dans ce contexte, et alors qu’est débattu le budget de la Sécurité sociale, que les sénateurs Philippe Mouiller (LR, Deux Sèvres) et Patricia Schillinger (LREM, Haut-Rhin) ont présenté leur rapport intitulé "les collectivités à l'épreuve des déserts médicaux : l'innovation territoriale en action". D’emblée, les sénateurs font état dans leur rapport d’une "fracture territoriale" au cœur de laquelle se trouvent "les oubliés de la santé".
Philippe Mouiller et Patricia Schillinger ont ainsi recherché les "bonnes pratiques locales" en vue de formuler des recommandations. 7 recommandations sont destinées aux élus locaux, 5 à l’Etat, qui, aujourd’hui, "ne remplit pas sa mission de garant de l'équité territoriale en matière de santé, mais il n'est pas toujours facilitateur des projets locaux et impose des contraintes inutiles". Par ailleurs, la stratégie nationale n’a pas suffisamment associé les collectivités territoriales, pointe le rapport. La politique visant à garantir l’accès territorial aux soins relève bel et bien de l’Etat mais cela doit être fait avec "une étroite concertation avec les élus locaux". "Complexité du montage" des MSP D’emblée, les rapporteurs soulignent donc l’importance de donner plus de poids aux communes et collectivités en matière de santé. Dans le cadre de la mise en œuvre de projets de santé, "la commune doit être préférée à l’intercommunalité et au département sauf s’il est établi que l’action de ces derniers est plus efficace". Ils encouragent par ailleurs les expérimentations locales, différentes en fonction des territoires. Première des initiatives locales saluées par le rapport : les centres de santé. Philippe Mouiller et Patricia Schillinger citent par exemple le modèle de la commune de Sourn (Morbihan) qui a mis sur pied le premier centre médical communal de Bretagne en septembre 2015. Cette commune de 2000 habitants salarie aujourd’hui 4 médecins. Mais, déplorent les sénateurs, leur développement...
est encore limité par "la demande des médecins pour le salariat inférieure à l’offre des centres de santé". A ce sujet, les départements ont un rôle à jouer, note le rapport, citant le cas de la Saône-et-Loire où a ouvert en 2017 le premier centre de santé départemental de France. Entre 2017 et 2019, 55 médecins généralistes salariés ont été recrutés et 24 lieux de consultations (5 centres et 19 antennes) ont ouvert. Un projet qui semble porter ses fruits puisque "75% des habitants de Saône-et-Loire disposent désormais d’un lieu de consultation à moins de 15 minutes de chez eux et 15.000 personnes ont pu déclarer un médecin traitant". En parallèle, existent les maisons de santé pluriprofessionnelles, plébiscitées par de nombreux élus, mais dont la "complexité du montage" aboutit à une concrétisation des projets qui "peut prendre 3 à 5 ans". Saluant l’initiative de la MSP de Fontainebleau qui est dotée du label universitaire, les rapporteurs encouragent le "resserrement des liens entre les collectivités territoriales et les universités de médecine" afin que ces derniers puissent bénéficier de stages dans des territoires sous-denses.
La télémédecine, solution "de dernier recours" Autre solution qui commence à se développer sur le territoire – d’autant plus depuis la crise sanitaire : la télésanté avec, entre autres les cabines de téléconsultation et cabinets de télémédecine. Leur installation nécessite néanmoins "une connexion Internet au début". Pour les centres de téléconsultations, ils appellent à respecter le parcours coordonné de soin : "ces dispositifs doivent être pleinement intégrés au sein de la communauté professionnelle territoriale de santé (CPTS)". Enfin, la télémédecine doit constituer une "solution de dernier recours" Dans un but d’aller toujours plus proche des patients, les solutions de "médecine ambulante" (Médicobus, bus département de santé bucco-dentaire, bus santé femmes) doivent également être soutenues. Sur le plan des inégalités sociales provoquant des inégalités d’accès aux soins, une autre initiative originale a été détectée à Menton où les administrés peuvent bénéficier – sans condition - d’une "mutuelle communale". "Sa mise en place, qui correspond à une simple logique d’achat groupé, permet ainsi de proposer aux mentonnais une assurance complémentaire santé à des tarifs négociés". Plus d’aides personnalisées pour les médecins Si certaines communes ou départements ont fait le choix du salariat, d’autres ont plutôt incité à l’installation. Le conseil départemental de l’Aveyron se distingue à ce sujet. Comment ? Grâce à trois piliers : une aide personnalisée apportée au médecin et à sa famille (permettre au conjoint de trouver un travail par exemple), le recrutement de maîtres de stage susceptibles d'accueillir et de former des internes, ainsi que des opérations de communication sur la qualité de vie offerte dans le département et d’autres à destination des internes (aide à l’hébergement, par exemple). Ces dispositifs (bourses, salariat, aides à l’installation personnalisées…) doivent être développées pour améliorer l’attractivité du secteur de la santé, recommande le rapport. Doivent également être déployées les instances locales de dialogue et de concertation : les CPTS notamment mais aussi les contrats locaux de santé. Sur la liberté d’installation...
les rapporteurs préconisent néanmoins à l’Etat de s’interroger sur "l’opportunité de renforcer les dispositifs d’incitation, voire d’adopter des mesures coercitives aménageant le principe de liberté d’installation". Philippe Mouiller et Patricia Schillinger alertent par ailleurs sur la multiplication des "opérations séductions visant à attirer des médecins peut conduire à des tensions concurrentielles entre les territoires et à accentuer ainsi la désertification". Une mission de réflexion devrait ainsi être menée entre le ministère de la Santé et les associations d’élus locaux en vue "d’identifier les bonnes et moins bonnes pratiques en la matière".
Renforcer le rôle facilitation de l’ARS Après avoir analysé le rôle des ARS dans la réduction des inégalités territoriales en santé, les sénateurs ont conclu à un "défaut d’accompagnement et de conseil de ces agences". En l’occurrence, dans le montage des MSP, ils se sont rendu compte que certaines ne jouaient pas leur rôle d’expertise auprès des élus locaux. De fait, ils appellent à "renforcer le rôle facilitateur de l’ARS à l’égard des élus locaux" : "la crise sanitaire a montré que les délégations départementales, censée rapprocher la gestion des ARS du terrain, ne jouent pas suffisamment le rôle de proximité escompté eu égard à leur périmètre d’intervention limité et à leur faible capacité d’expertise et d'accompagnement des élus". Face au constat des limites de l’organisation centralisée, ils insistent sur l’importance de "mieux associer les collectivités territoriales à la politique de santé menée par l’ARS" car la France "ne peut se passer d’un échelon local solide et agile". Les élus locaux sont en effet les premiers sollicités par la population et sont au fait des réalités de terrain. Pour renforcer le poids de ces élus, plusieurs options sont évoquées : d’abord, en renforçant leurs fonctions au sein du conseil de surveillance de l’ARS, ensuite en élargissant les attributions de ce conseil, et, enfin en associant les collectivités locales à la détermination, par l’ARS, des déserts médicaux. Constatant également que "le compte n’y est pas" dans la lutte contre les déserts médicaux, le groupe MoDem entend expérimenter l’accès direct, sans ordonnance, à certains professionnels de santé, les kinésithérapeutes et les orthophonistes notamment. En effet, a déploré hier le député Philippe Vigier, lors d'un point presse du parti sur le budget de la Sécu, la fin du numerus clausus ne suffira pas à pallier le manque de médecins disponibles.
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