Alors que la généralisation de la téléconsultation et de la télé-expertise prises en charge par l’Assurance maladie est annoncée pour septembre, le créneau de la télémédecine est déjà occupé, depuis quelques années, par les complémentaires. Dans quels buts ? Décryptage d’une stratégie visant à introniser les assureurs privés dans le très concurrentiel créneau de la prestation de services, au-delà de leur strict rôle de payeur.
Quatre millions de vos patients clients de l’assureur AXA, souvent par le biais de leur couverture complémentaire collective d’entreprise, ont accès à des télé-consultations 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. C’est sur ces mêmes plateformes que peuvent également se connecter les assurés de la Mutuelle Bleue ou de la Mutuelle Saint-Christophe à qui AXA fournit le service sous une marque blanche. De même, dix millions d’assurés d’un certain nombre de mutuelles, comme la Mgel, Apivia, la Mutuelle générale de la police, Eovi MCD, Adréa ou encore Audiens peuvent bénéficier d’une consultation médicale sur le site medecindirect.fr, un des premiers opérateurs historiques de la télémédecine, fondé en 2008 par une équipe de pharmaciens, médecins et ingénieurs.
2 millions de consultations en 2020
Puis, dans les prochains mois, ce sera au tour des dix millions d’assurés du groupe VYV, le nouveau mastodonte de la protection sociale, fruit du rapprochement de la Mgen, d’Istya et d’Harmonie mutuelle, qui vont progressivement pouvoir téléconsulter. En effet, le groupe a annoncé, en novembre, sa prise de position majoritaire dans la start-up MesDocteurs dans le but de "proposer au plus grand nombre une offre de télémédecine". Dans un premier temps et actuellement, ce sont les sociétaires d’Harmonie qui se voient proposer ce nouveau service. "L’adossement au groupe VYV nous permet d’avoir les moyens de financer notre développement et de déployer notre service auprès d’acteurs de la santé publics et privés, commentait Séverine Grégoire, cofondatrice en 2014 de MesDocteurs au moment de cette acquisition. Nous avons d’ailleurs déjà contractualisé avec d’autres entités du monde de l’assurance, telles que le réseau Santéclair, Mutualia ou CNP." Pour sa part, VYV affiche une ambition de deux millions de téléconsultations en 2020 grâce à son réseau de 300 médecins généralistes et spécialistes. C’est évidemment une goutte d’eau par rapport aux millions de consultations réalisées dans les cabinets des généralistes chaque jour. Mais c’est aussi mettre la barre très haut si on compare aux 15 000 téléconsultations annuelles réalisées par AXA, première complémentaire à s’être lancée sur ce créneau en 2015. "Nous soutenons de manière volontariste le développement de la télémédecine car nous considérons qu’il s’agit d’un des leviers pour améliorer l’accès aux soins dans les territoires et pour décloisonner l’organisation du système de santé", explique Séverine Salgado, directrice déléguée santé de la Fédération nationale de la Mutualité française. Pour autant, même si tous les assurés vont finir par disposer bientôt des téléconsultations dans leur contrat de complémentaire, l’offre semble pensée surtout pour le petit risque.
Jeunes actifs
En amont des négociations sur la télémédecine, Nicolas Revel, le directeur général de la Cnam, n’avait pas caché ses réserves sur la télémédecine à la sauce complémentaire. "C’est très bien pour les cadres stressés qui veulent pouvoir consulter un médecin tard le soir pour de la bobologie, avait-il souligné en octobre, lors d’un petit déjeuner organisé par le cabinet de consultants Nile. Mais si on favorisait ce type d’approche qui exclut le médecin traitant, je crains que nous fassions reculer la bonne organisation de notre système de soins." "De plus en plus de mutuelles proposent aujourd’hui à leurs adhérents de bénéficier de téléconsultations 7 jours sur 7 et 24 heures sur 24, des dispositifs qui peuvent correspondre aux besoins de certaines catégories de population, par exemple les jeunes actifs en milieu urbain, reconnaît Séverine Salgado. Ce sont des consultations aujourd’hui prises en charge au premier euro, en dehors du champ conventionnel." C’est ce même risque qui avait été pointé dès 2015 par le Conseil national de l’Ordre des médecins (Cnom) en réaction à l’offre mise en place par AXA. Dans une note d’analyse adressée à la ministre de la Santé de l’époque, Marisol Touraine, le Cnom s’inquiétait de la création "en marge du médecin traitant et du parcours de soin financé par l’Assurance maladie obligatoire, d’un système qui va doublonner et sera pris en charge uniquement pas l’Assurance maladie complémentaire". Du coup, AXA et les autres avaient alors fait le dos rond pendant les mois suivants. Leurs offres étant complètement dans les clous réglementaires et déontologiques, ils ont continué à étoffer leurs produits, sans publicité. "Les assureurs maladie complémentaire ont été quelque peu précurseurs dans le développement des plateformes de télé- consultations, répond Séverine Salgado. Nous aurions trouvé intéressant que ces télé- consultations soient intégrées dans le dispositif conventionnel qui a été négocié entre l’Assurance maladie et les syndicats de médecins libéraux. Cela aurait notamment permis de mieux les intégrer dans le parcours de soins et de faciliter les retours d’information vers le médecin traitant." Ce ne sera pas le cas mais les complémentaires devraient toutefois prendre en charge les téléconsultations et les télé-expertises prévues dans l’avenant conventionnel qui vient d’être négocié avec les syndicats médicaux, en vue d’une application à partir du mois de septembre. Des syndicats qui regardent les offres des complémentaires avec une certaine distance. "Il faut vraiment distinguer les téléconsultations dans le cadre que nous avons négocié avec l’Assurance maladie qui seront accessibles à tous les Français, des plateformes des assureurs complémentaires qui sont avant tout des produits d’appel à visée commerciale et qui ressemblent plus à du téléconseil", met en garde Jean-Paul Ortiz, président de la Csmf. Cet avis est partagé par Jacques Battistoni, le président de MG France. S’il estime qu’il est difficile de mesurer aujourd’hui l’ampleur du phénomène des téléconsultations, il ne s’oppose pas non plus à leur existence. "À nous de faire en sorte que l’offre de téléconsultation remboursable et fléchée soit au moins aussi attractive pour les patients et réponde à leurs besoins", juge-t-il, alors que son syndicat doit justement se prononcer sur l’avenant télémédecine le 9 juin, deux semaines après la Csmf. Xavier Gouyou-Beauchamp, secrétaire général du Bloc, l’union des syndicats de praticiens à plateau technique lourd, souligne enfin que "les complémentaires qui développent leurs propres systèmes de téléconsultations hors convention intègrent les coûts dans les tarifs de leurs contrats d’assurance, alors qu’avec les tarifs trop bas proposés par la Cnam aujourd’hui, cela va être difficile de démarrer", ajoute-t-il. En effet, il rappelle que dans le projet d’avenant télémécine, Nicolas Revel a proposé la cotation de la télé-expertise à 12 ou 20 euros selon la complexité, alors que le site deuxiemeavis.fr facture un service équivalent à 295 euros. Cette plateforme qui avait créé la controverse à sa création en 2016, affirme aujourd’hui avoir trouvé des accords de prise en charge avec certains assureurs complémentaires.
29 euros par mois en illimité
De nouveaux venus sur le marché s’essayent même aujourd’hui à des modèles économiques, sans même chercher néces- sairement une prise en charge par des complémentaires. C’est par exemple le cas de la start-up Qare, dont le comité scientifique est composé de personnalités comme l’ancien ministre Claude Évin, le Pr Guy Vallancien ou le Dr Jean-François Thébaut, ancien membre de la Haute Autorité de santé. Elle propose une offre de téléconsultations illimitées sur abonnement à partir de 29 euros par mois. "Nos clients sont des particuliers ou des entreprises, explique David Lescure, fondateur et directeur des opérations de Qare. Nous sommes ouverts à travailler avec des complémentaires, cependant notre modèle est un peu différent du leur car nous promouvons un taux d’usage élevé du service." Ouvert depuis novembre, le service compte aujourd’hui 1 200 abonnés qui peuvent avoir accès à une téléconsultation de généraliste en permanence. Et sur rendez-vous à une téléconsultation avec un dermatologue, un gynécologue, un psychologue, une sage-femme ou un pédiatre. Un modèle à des années-lumière de celui qu’est en train de bâtir l’Assurance maladie.
Claude Le Pen, économiste de la santé (Paris Dauphine), considère que les plateformes sont des espaces concurrentiels.
Egora.fr : Comment analysez-vous le développement de l’offre de téléconsultations par les assureurs complémentaires ? Veulent-elles ainsi sortir de leur seul rôle de payeur ?
Pr Claude Le Pen : Oui, tout à fait, c’est pourquoi elles évoluent vers un rôle de prestataire de service. Cela s’explique notamment par le fait qu’elles n’ont plus beaucoup de latitude dans leur rôle de payeur car le domaine du remboursement est de plus en plus régulé par l’État. Les contrats responsables et la généralisation de la complémentaire pour les salariés ont eu pour conséquences que les contrats sont de plus en plus homogènes. La télé-médecine leur permet ainsi de trouver des nouveaux espaces concurrentiels et de se démarquer. Cette stratégie peut se traduire par la prise en charge d’objets connectés, une offre de coaching en santé ou encore, depuis plus récemment, l’accès à des téléconsultations.
N’est-ce pas là aussi un risque que les complémentaires s’approprient le « petit risque » ?
Les téléconsultations ne sont pas utiles que pour le petit risque, on peut aussi les utiliser pour faire du suivi de maladies chroniques comme l’hypertension artérielle ou le diabète. En l’occurrence, les complémentaires vont être amenées à rembourser les actes de téléconsultations réalisés dans le cadre de la convention médicale comme n’importe quelle consultation. S’agissant des téléconsultations qu’elles prennent en charge à travers leurs propres plateformes, cela restera une activité commerciale un peu à part.
Ne peuvent-elles pas également récupérer des informations sur leurs assurés par ce biais ?
La télémédecine génère effectivement des données de santé mais ce sujet est très cadré par la loi. Les complémentaires ne peuvent pas faire n’importe quoi avec les données. De plus, le nouveau règlement européen sur la protection des données personnelles (Rgdp) qui entre en vigueur le 25 mai apporte encore des garanties supplémentaires. Et, surtout, les complémentaires n’ont pas le droit de prendre en compte la santé des personnes pour calculer leurs tarifs. La seule donnée qu’elles peuvent utiliser est l’âge des assurés.
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