Tant pis pour ceux qui avaient imaginé que l'Agence nationale du DPC, issue de la loi de modernisation de notre système de santé de janvier 2016, allait résoudre les crises du développement professionnel continu. Tant pis pour eux, car la commission scientifique indépendante (CSI) des médecins vient de cesser son travail, officialisant ainsi la crise qui avait éclaté chez les généralistes, voici trois mois. En cause : les nouvelles règles plus dures régissant les conflits d'intérêts, refusées par les MG. "On en a assez. On est tous médecin, ce sont des guerres d'un autre âge. J'ai clairement dit au Haut conseil du DPC que j'avais honte de devoir bloquer le DPC de tous les médecins à cause de la sous-section médecine générale qui ne veut pas se plier aux règles du comité d'éthique, qui applique la loi. Nous avons officiellement demandé aux pouvoirs publics de trancher notre différend." Après avoir réuni les présidents de toutes les CSI de l'Agence, le Dr Klein, ORL et président de la CSI médecins, vient de co-signer avec le Dr Jean-François Thébaut, président du Haut conseil du DPC, une lettre à Agnès Buzyn, la ministre de la Santé, lui exposant l'origine de la crise. Le cabinet a assuré la directrice de l'Agence, Michèle Lenoir-Salfati, qu'il "suivait de très près ce dossier", et allait recevoir les principaux protagonistes du DPC. Tel est d'ailleurs le cas du Dr Pierre-Louis Druais, président du Collège de médecine générale, qui défend la position des généralistes, reçu tard mercredi soir avenue de Ségur. La CSI médecins comporte deux sous-sections (généralistes, autres spécialistes), de 14 membres chacune (7 titulaires et 7 suppléants) plus un représentant de l'Ordre et de la médecine des Armées dans chaque sous-section. Or, le Dr Klein ne peut admettre que contrairement aux spécialistes, les membres de la sous-section des médecins généralistes refusent de se plier aux nouvelles règles d'incompatibilité, dictées par la loi pour signaler les liens et prévenir les conflits d'intérêts - il est vrai plus dures qu'avant la réforme. "L'argent a filé sans frein, alors que l'enveloppe est contrainte" Désormais, personne ne peut siéger en CSI s'il est membre d'un conseil d'administration (ce qui était le cas auparavant) ou d'un conseil scientifique -ce qui est nouveau-, de plus sur une période rétroactive de cinq ans, autre nouveauté. Nommés en novembre 2016, les membres de la CSI médecins se sont tous pliés à l'obligation de remplir une déclaration publique d'intérêt, remise à Edouard Couty, le président du comité d'éthique de l'Agence. Lequel a rendu son avis : des candidatures de médecins spécialistes ont été jugées incompatibles et d'autres candidats ont été proposés. Mais 3 titulaires et 3 suppléants de la section médecine générale (qui siégeaient du temps de l'OGDPC, l'ancêtre de l'Agence) à qui il a été proposé de choisir entre la CSI ou leur poste dans un organisme de DPC ou un conseil scientifique, ont refusé la proposition, jugée "irréaliste". Position dure qui, par solidarité, a entraîné le retrait de tout le groupe des médecins généralistes.
"La sous-section spécialiste continuait son travail d'évaluation, raconte le Dr Klein, mais durant les trois mois de carence de la sous-section médecine générale, tous les dossiers proposés ont été acceptés sans aucun filtre et certains en ont largement profité ! L'argent a filé sans frein, alors que l'enveloppe est contrainte. Cela se faisait à notre détriment et au bout d'un moment, nous avons décidé d'arrêter de nous tirer une balle dans le pied". D'où la décision d'arrêter la CSI médecins dans sa globalité et d'alerter le ministère. 40% de dossiers retoqués Michèle Lenoir-Salfati confirme. La sous-section était en roue libre car, au-delà d'un premier filtre basique, la direction de l'Agence n'a pas le pouvoir d'évaluer les actions de DPC proposées par les organismes. "Depuis la réforme et dans un cadre d'enveloppe contrainte, explique-t-elle, décisions douloureuses et responsables ont été prises par les représentants des médecins, avec notamment une révision du montant du forfait. Mais nous misons également sur une régulation par la qualité. Or, s'il n'y a plus de contrôle de la qualité, cela ne va pas dans le sens d'une meilleure régulation de l'enveloppe", signale-t-elle. Selon le Dr Klein, 40 % environ des dossiers sont retoqués d'ordinaire par la CSI médecins. Il est clair que certains d'entre eux ont pu se faufiler sans encombre à travers les mailles du filet. Pourquoi cette rigidité du côté des médecins généralistes ? Le Dr Pierre-Louis Druais, président du Collège de médecine générale, a eu un entretien de deux heures avec Edouard Couty, lequel a proposé, pour une période transitoire, de réduire 5 à 3 ans la durée d'incompatibilité. Sans succès. "Depuis quand le fait de siéger dans un conseil scientifique représente-t-il un conflit d'intérêts ? Le Dr Druais justifie le blocage. "Ce n'est pas une décision individuelle, mais un choix collectif, ce qui écrête la notion de conflit." A ses yeux, les médecins "subissent le fait du prince. Ce qui était compatible hier ne l'est plus aujourd'hui, on change les règles a posteriori", regrette-t-il. Assouplir de 5 à 3 ans la période d'interdiction "ne changerait rien au fond du problème, assure-t-il. Depuis quand le fait de siéger dans un conseil scientifique représente-t-il un conflit d'intérêts ? Quand on parle de formation, le statut d'expert est une qualité", ajoute-t-il en qualifiant de '"marques d'incompétence" les "confusions" qui sont véhiculées dans ce dossier. Mais Jean-Michel Klein n'a pas du tout le même point de vue. "Nous subissons des rivalités d'un autre âge entretenues par des réseaux. MG France, pour le citer, a infiltré les instances de médecine générale. Il bloque tout. Il faut que les syndicats trouvent un autre moyen que la formation pour se financer", lâche-t-il en rappelant qu'il est lui-même syndicaliste, à la CSMF. Madame Lenoir Salfati s'avance bien plus prudemment sur ce terrain miné, estimant tout de même que "certains semblent avoir quelques nostalgies de la période où la formation continue était conventionnelle et gérée par les syndicats". La directrice signale que cette page est bien tournée, d'autant que la libre circulation a obligé d'élargir l'appel d'offre à de très nombreux opérateurs, qui ne sont pas issus du cénacle. Néanmoins, le Dr Druais n'en démord pas. "Ce gouvernement veut réformer. Nous aussi, nous voulons une réforme du DPC, qui est pitoyable en France comparativement à d'autres pays d'Europe." Cette crise serait "la goutte d'eau qui a fait déborder le vase. Nous ne voulons plus de cette gouvernance qui prend des décisions non réfléchies et non négociées. C'est insupportable", insiste-t-il. "Usine à gaz" Le collège demande une "révision complète de l'accompagnement des professions de santé et particulièrement des médecins. Il nous semble impossible que tout le monde soit dans le même moule, structurellement et hiérarchiquement, les kinésithérapeutes et les pharmaciens par exemple, n'ont rien à faire ensemble", ajoute-t-il. "Si le gouvernement veut réformer ce cadre contraint, nous sommes preneurs. Nous en avons assez de cette usine à gaz qui détruit ce qui commençait à devenir une culture partagée". Une situation, à l'entendre, qui pourrait avoir deux objectifs, qu'il rejette : mettre tout le monde dans le même moule et, sous-jacent, faire organiser la formation des médecins généralistes par l'université.
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