Pour se défausser de la mort d'un patient, l'hôpital Pompidou aurait falsifié son dossier médical

07/12/2018 Par Aveline Marques

"Un homme est mort parce que le service est débordé et qu’aucun médecin n’a pu le voir durant plus de 6 heures malgré les appels", déplore un médecin anesthésiste de l'Hôpital européen Georges-Pompidou (AP-HP), au sein duquel un patient est décédé en avril dernier. D'après Mediapart, l'hôpital aurait maquillé les causes de son décès pour camoufler des dysfonctionnements.

  Le 12 avril 2018, un patient de 58 ans atteint d'un cancer est admis à l'HEGP pour être opéré d'une fracture de vertèbre, relate Médiapart. L'intervention se déroule bien, mais le patient contracte une infection à staphylocoque doré. Sous antibiotique, son état s'améliore. Mais le 10 mai, lorsque ses proches viennent lui rendre visite, ils constatent une dégradation. Après avoir alerté l'infirmière d'orthopédie, ils se résolvent à rentrer chez eux vers 21 heures.  

"Appel vers 22 h : l’équipe de réanimation était débordée"

  Soupçonnant une hypoglycémie, l'IDE alerte une première fois le service anesthésie-réanimation. Elle pose une perfusion de sucre sur les conseils téléphoniques de la réa. Mais l'état du patient empire : l'infirmière sonne à nouveau la réa. "Appel vers 22 h : l’équipe de réanimation qui était débordée, n’a pas pu répondre à la demande pour régler le problème d’hypoglycémie, relate un médecin dans un compte-rendu daté du 22 mai, que Mediapart s'est procuré. L’interne d’anesthésie-réanimation appelle son collègue d’orthopédie pour obtenir des informations sur le patient qui n’allait pas bien et connaître son nom, mais ces informations n’ont pas été transmises. L’interne d’anesthésie est donc retourné au bloc sans voir le patient." Vers 4 heures du matin, l'IDE appelle directement le numéro d'urgence de réa. Plus de 6 heures après la première alerte, le patient est enfin vu par un médecin, qui constate "un patient conscient mais comateux, avec signes de détresse respiratoire, en désaturation à 80 %". Le patient décède le 14 mai. Dans le compte-rendu, le retard de la prise en charge du patient et l'erreur de transmission sont clairement mis en cause.  

Les heures des premières alertes ont été gommées

  Mais lorsque la famille demande des explications, on leur répond que le quinquagénaire "est décédé des suites d’une crise cardiaque". La cause du décès étant connue, on leur refuse une autopsie. Cinq mois plus tard, après de multiples relances, le dossier médical de leur proche leur est enfin remis. Le compte-rendu de réanimation y figure… en version corrigée : les heures des premières alertes ont été gommées, l'absence de transmission effacée et son semi-coma est passé sous silence, tout comme le fait qu'il n'a été vu par aucun médecin avant d'arriver en réa à 4 heures du matin. Contacté par Mediapart, le Pr Bernard Cholley, chef de pôle, de garde le jour du décès et auteur du compte-rendu remis aux proches, renvoie la journaliste vers son "entreprise". La direction de l'AP-HP finit par répondre et confirmer "plusieurs écarts aux bonnes pratiques", concernant "les délais de réponse lors d’un appel téléphonique à la réanimation, une information qui ne figurait pas dans le dossier médical du patient remis par ailleurs hors délai à la famille". Une "première enquête" a été confiée par la direction de l'HEGP "à la cellule qualité de l’hôpital", informe l'AP-HP, et un audit a été déclenché "afin d’analyser ces dysfonctionnements et mettre en œuvre des mesures correctrices". Rien n'est dit en revanche sur la falsification du dossier médical.  

"Aujourd’hui un drame s’est produit"

  Le personnel de réanimation avait pourtant alerté depuis plusieurs mois sur la "dégradation croissante" des conditions d'exercice dans un service "à flux tendu". "Les demandes pressantes de rentabilité mettent en péril la qualité des soins et la sécurité des patients", s'alarmaient-ils dans le cadre d'une réunion du CHSCT en juin 2017. "Nous avons alerté la direction sur les risques qu’on fait prendre pour la santé des patients, témoigne un médecin réanimateur sous couvert d'anonymat. Et aujourd’hui un drame s’est produit, un homme est mort. Un homme est mort parce que le service est débordé et qu’aucun médecin n’a pu le voir durant plus de 6 heures malgré les appels."   [Avec Mediapart.fr]

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