"J'étais à bout, chaque appel était comme une agression" : la défense de l'opératrice au procès de l'affaire Naomi Musenga
Corinne M., l'ancienne opératrice du Samu qui avait reçu l'appel de Naomi Musenga, comparait devant le tribunal correctionnel de Strasbourg ce jeudi 4 juillet pour non-assistance à personne en danger. A la barre, elle a confié son épuisement professionnel au moment des faits.
"Je sais que c'est terrible cet appel. J'étais à bout dans mon travail, je ne supportais pas le stress, chaque appel était ressenti comme une agression", a déclaré Corinne M. à la barre du tribunal correctionnel de Strasbourg. Agée de 60 ans, l'ancienne assistante de régulation médicale (ARM), définitivement suspendue du Samu et actuellement sans emploi, comparait ce jeudi pour non-assistance à personne en danger suite au décès de Naomi Musenga le 29 décembre 2017.
Il lui est reproché de "ne pas avoir respecté les protocoles" de prise en charge "et les bonnes pratiques" du Samu. Au lieu de transférer l'appel à un médecin, l'opératrice avait raillé la jeune femme de 22 ans, qui se plaignait de violentes douleurs à l'abdomen et peinait à demander de l'aide. "Si vous ne me dites pas ce qui se passe je raccroche", "oui vous allez mourir, certainement un jour, comme tout le monde", "appelez SOS Médecins, je ne peux pas le faire à votre place", lui avait-elle notamment lancé. Diffusé quelques mois plus tard, l'enregistrement de l'appel avait provoqué une onde de choc.
"Pour moi c'est une gastro, j'ai pas cherché plus loin"
"Je vous demande de m'excuser, c'était inqualifiable", a déclaré ce matin l'ancienne ARM, se tournant vers la mère de la victime, son frère et sa sœur. "Je reconnais les faits, bien sûr. Mais ils ne sont pas venus tout seuls", a-t-elle ajouté. "On est sous pression, on travaille 12 heures, on a une demi-heure de pause. Je n'étais plus en état de faire face."
A la barre, Corinne M. a décrit l'accumulation d'appels, à traiter "très vite", les décisions d'orientation à prendre en quelques "fractions de seconde". Elle a aussi évoqué le souvenir d'un médecin qui l'avait "pourrie, humiliée devant les collègues" parce qu'elle avait "passé un appel qui ne lui avait pas plu". Alors "parfois on pense bien faire en orientant vers SOS Médecins, on gagne du temps", a-t-elle précisé.
"Une jeune femme de 22 ans qui a mal au ventre, pour moi c'est une gastro, j'ai pas cherché plus loin", a-t-elle admis. Le problème, "ce n'est pas que vous vous êtes trompée, c'est que vous ne posez pas les questions que vous auriez dû poser", a réagi la présidente du tribunal, Isabelle Karolak. "Je suis incapable de vous expliquer pourquoi. Je suis restée dans ce truc de gastro, je n'ai pas percuté plus que ça", répond la prévenue. Avant d'ajouter, un peu plus tard : "Je n'arrivais plus à avoir d'empathie".
Dans le "flot incessant d'appels", les douleurs abdominales constituent "un piège", a expliqué à la barre le Dr Hervé Delplancq, ancien responsable du Samu, car il est "extrêmement difficile de faire la part des choses entre quelque chose de grave et quelque chose de banal". "Ça suppose d'autres questions, évidemment : où ? comment ? quelle intensité ?", a-t-il détaillé.
Le médecin a également pointé "un biais cognitif évident" : "L'appel passé à notre opératrice est dédramatisé par le premier intervenant", une opératrice des pompiers. "On comprend que ce n'est pas si grave, et je pense que (Corinne M.) s'est fait piéger : elle est dans un biais de confirmation, une autre professionnelle a analysé l'appel, et elle reste sur la même ligne."
Naomi Musenga est décédée à l'hôpital de Strasbourg après avoir été prise en charge après un retard global de 2h20, d'après un rapport de l'Igas. Mais d'après l'enquête, son décès n'est pas lié à ce retard, la charge d'homicide involontaire a donc été abandonnée.
[avec AFP]
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