Pourquoi les médecins ont peur du directeur de cabinet de la ministre de la Santé

23/05/2017 Par Catherine le Borgne
Politique de santé

Gilles de Margerie, qui vient du secteur assurantiel complémentaire, va diriger le cabinet d'Agnès Buzyn, la nouvelle ministre de la Santé. Une nomination qui a fait flamber les réseaux sociaux, où l'on redoute qu'elle préfigure le démantèlement de la Sécurité sociale solidaire et la prise de pouvoir inéluctable des assurances privées.

La lune de miel entre les médecins et la nouvelle ministre de la Santé n'aura été que de très courte durée. En fait, elle a commencé à sentir le roussi dès que les attributions des nouveaux ministres ont été annoncées et qu'on a su que Gérald Darmanin, jeune transfuge des Républicains, aura la haute main sur l'action et les comptes publics. Et exercera donc sa tutelle sur la Sécurité sociale. Et puis voilà qu'en fin de semaine dernière, commence à enfler le bruit de la nomination prochaine de Gilles de Margerie à la direction du cabinet de la ministre - ce qui se concrétisera demain mercredi. Or, cet homme brillant (Ecole normale supérieure, agrégé de sciences sociales et ancien élève de l’ENA), avait commencé sa carrière en 1983 à l’Inspection générale des finances, informe L'Opinion.  Et occupait jusqu'à la nomination du nouveau gouvernement le poste de directeur général de Humanis, un institut de prévoyance qui fait notamment de la protection complémentaire santé et de la retraite collective*. Il vient d'en démissionner et arrive avenue de Ségur. Tout un symbole. Alors comme ça, sous le masque avenant du nouveau président, se cacherait en fait le destructeur masqué de la Sécurité sociale née sous de Gaulle, et l'arrivée en fanfare du privé décomplexé dans le régime obligatoire ? Immédiatement, cette interprétation a enflammé le forum d'egora.fr et les réseaux sociaux.

Les plaies du quinquennat écoulé

"La société civile sur le devant et les inspecteurs de finance à la manœuvre", grince bob. "Revoilà donc déjà les mutuelles et autres groupes financiers… dommage, le rêve des jours meilleurs est donc fini", regrette e.libre, soutenu par JMBAD, qui voit immédiatement "les médecins libéraux aux mains des assureurs (…)", pour ne citer qu'eux. Les fantômes des sombres arrière-pensées de Marisol Touraine, supportrice de la loi Leroux sur les réseaux de soins, ou mère de la loi de Santé, qui 'privatise' la Sécu, ont tôt fait de ressurgir. Signe que les plaies du quinquennat écoulé sont loin d'être guéries dans le corps médical. "C'est ce que nous redoutions en menant le mouvement contre la loi de Santé, confirme le Dr Jérôme Marty, le président de l'UFML, le désengagement de l'assurance maladie obligatoire et le pouvoir donné aux complémentaires." Pour le leader de l'Union française pour une médecine libre, la configuration du nouveau ministère de la Santé est l'inverse opposée de la  précédente. "Marisol Touraine faisait avant tout des affaires sociales, et ne s'est investie que plus tard dans la santé", analyse-t-il. Le Pr Buzyn, à l'inverse, semble se diriger vers un ministère de santé et santé publique, avec un directeur de cabinet "qui vient du monde des assurances" et s'investira dans l'économie et l'assurance maladie.

Le président "place des hommes à lui partout"

La crainte du Dr Marty ? Que la promesse d'Emmanuel Macron d'un reste à charge zéro pour les prothèses dentaires, auditives et les lunettes d'ici à cinq ans, se traduise par "l'ouverture des frontières pour obtenir des meilleurs prix, du low cost et à terme des réseaux de soins qui, dans un deuxième temps, s'attaqueront aux médecins". C'est en tout cas, ajoute-t-il, ce que demandent de gros organismes comme Malakoff Méderic, et ce qui est en train de se développer dans le privé, dans l'univers des cliniques "et dans l'illégalité, pour la prise en charge des prothèses de hanches notamment. François Fillon proposait la mise en place d'une autorité de régulation, réunissant les assureurs obligatoires et privés, les professionnels et les patients, sur un cahier des charges, note-t-il. Cela limitait les risques. Là, il n'y a rien de tel alors il faut mieux faire de la prévention..." "Un peu surpris", sans plus, Jean-Paul Hamon, le président de la FMF. Il se contente d'observer simplement que "le nouveau président qui veut tout contrôler, place des hommes à lui partout". Il a échoué à imposer le directeur de la CNAM, Nicolas Revel à la direction du cabinet du nouveau Premier ministre, mais, estime le président de la FMF, "cela n'est pas bon signe pour l'avenir. Le budget se décidera entre la direction de la CNAM, Bercy et, in fine, le président. La capacité de manœuvre d'Agnès Buzyn sera réduite." Il redoute que les nouveaux arrivants se contentent de "gérer le déficit" de l'assurance maladie, sans réformer notre système de santé et ses "parcours de soins incontrôlables", sans initier une véritable "responsabilisation du patient par les remboursements, dès la prévention", comme cela se fait dans d'autres pays d'Europe, pour le dentaire notamment. "Nous attendons un vrai programme", lance-t-il en espérant avoir personnellement le Pr Buzyn à son prochain congrès de Marseille, du 8 au 10 juin prochains. Le président de MG France est, en revanche, assez stoïque. "Notre interlocuteur, c'est Nicolas Revel, le directeur de la Cnam. Mais nous avons également des discussions avec les régimes complémentaires", expose le Dr Claude Leicher, le président du syndicat.  Il voit "plutôt une main élyséenne" dans la nomination de ce directeur d'institut de prévoyance, "où la gestion est paritaire, comme la Sécurité sociale, avec des syndicats patronaux et salariés".  Il estime que Gilles de Margerie devrait plutôt s'investir "dans le champ des retraites, que le président s'est engagé à réformer, et de la protection complémentaire". Pas de procès d'intention, donc. "Le président a été banquier, le directeur de cabinet a eu un parcours particulier. On imagine que ses compétences seront utiles." En revanche, le Dr Leicher compte bien exposer à Gilles de Margerie la revendication du syndicat, toujours opposé au tiers payant obligatoire : supprimer le ticket modérateur, pour rendre les choses "beaucoup plus faciles".

"Il y a une place à trouver pour l'assurance maladie complémentaire"

Lors de sa dernière assemblée générale, la Confédération des syndicats médicaux français (CSMF) a mandaté son président, Jean-Paul Ortiz, pour qu'il œuvre auprès des assureurs complémentaires, "pour envisager des relations permettant une meilleure prise en charge des soins couverts par l'assurance maladie obligatoire, tout particulièrement des compléments d'honoraires", mais également ouvrir d'autres champs, tels des actions de prévention, de développement de télémédecine, de certains enjeux de santé publique. Le Dr Ortiz salue donc l'arrivée de Gilles de Margerie. "Il connaît bien le secteur, c'est plutôt une opportunité." Regrettant, dans le passé, l'absence de débat sur les places respectives de l'assurance maladie obligatoire et des complémentaires, "problématique maladroitement posée par François Fillon", le président de la CSMF estime qu'il est temps de "mettre le débat sur la table. Il y a une place et une stratégie à trouver pour l'assurance maladie complémentaire", plaide-t-il. Il voit donc plutôt "d'un bon œil", l'arrivée d'un assureur au cabinet de la ministre de la Santé.

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Stéphanie Beaujouan

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