Ces médecins contre l'obligation vaccinale : "De l'obligation naît la défiance"
Ils sont à cent lieues des antivaccins aux discours alarmistes et fallacieux, et pourtant ils s'opposent avec ferveur au nouvel élargissement de l'obligation vaccinale. Malgré l'hyper sensibilité du sujet, quelques médecins et sociétés savantes tentent de faire entendre une troisième voix. Ils redoutent une politique contre-productive et le clament : de l'obligation naîtra la défiance.
"On n'est pas encore au 1er janvier, et la ministre nous fout déjà dans la merde". Quand il parle de l'extension de l'obligation vaccinale, le Dr Christian Lehmann ne mâche pas ses mots. S'il s'empresse de préciser qu'il n'a rien contre Agnès Buzyn "qui est une femme d'une autre trempe que les deux qui l'ont précédé", il reste interdit devant le discours de la ministre. "Elle explique que de l'obligation naîtra la confiance. C'est un véritable néologisme orwellien ! Nous savons que l'obligation créera la défiance. Nous le voyons tous les jours au cabinet. J'ai déjà une maman qui est venue avec un bébé en me demandant si elle allait devoir faire les 11 vaccins. Quand je lui ai dit que ce n'était que pour les enfants nés après le 1er janvier, elle était soulagée ! Comme si son enfant échappait à une mort certaine ! C'est terrifiant. Nous allons nous retrouver dans une situation ubuesque, avec des parents qui vont être plus difficiles à convaincre." "La confiance, ça se mérite" Avec quelques autres confrères généralistes, le Dr Lehmann a diffusé une lettre ouverte aux députés contre l'extension de l'obligation de vaccination des nourrissons. En quatre pages et d'abondantes annexes, ils disent leurs craintes et leur incompréhension. "Nous ne nous situons pas dans une perspective qui serait celle d'une controverse stérile et idéologique entre partisans et opposants à la vaccination en général", préviennent d'emblée les dix signataires du courrier. C'est une voix différente qu'ils tiennent à faire entendre. "La confiance, ça se mérite", martèle Christian Lehmann. Mis en place par Marisol Touraine en 2016, le Comité d'orientation de la concertation citoyenne avait conclu à une levée de l'obligation vaccinale. Mais assortie d'un élargissement temporaire de l'obligation. Un chemin tortueux mais indispensable, indiquait déjà le Comité, pour convaincre les Français du "bien-fondé de la vaccination". Reprenant ces conclusions, Edouard Philippe avait annoncé début juillet une extension de l'obligation vaccinale à 11 vaccins. Fin octobre, la mesure a été votée à l'Assemblée nationale. "La concertation a eu lieu, il est temps d'agir", a annoncé Agnès Buzyn. "Incompétence" Mais pour les médecins signataires, ces nouvelles obligations apparaissent contre-productives et inutiles. S'ils admettent une "baisse relative" de la couverture vaccinale chez les nourrissons, elle s'explique, assurent-ils, avant tout par deux épisodes "dont les autorités portent l'entière responsabilité" : une "gestion pitoyable" de la campagne de vaccination H1N1 en 2009 orchestrée par Roselyne Bachelot, mais aussi les pénuries "récurrentes et durables" des vaccins recommandés pour les nourrissons. "Et on ne parle par des gens qui ne veulent pas d'aluminium ! On connaît tous des parents qui ont du mal à trouver les vaccins recommandés en pharmacie. C'est honteux de se défausser de son incompétence en martelant que l'obligation créera la confiance. C'est faux", s'agace le Dr Lehmann. Et si le discours tenu par ces généralistes n'est pas majoritaire, ils sont loin d'être isolés pour autant. Dès le mois de juillet, la Société française de Santé publique avait déploré l'extension de l'obligation vaccinale. Une levée de l'obligation aurait pu "permettre à l'usager, comme dans d'autres domaines de santé, d'être acteur de sa santé". A l'heure où l'on plaide contre le paternalisme médical, où émerge la figure des patients-experts, où la démocratie sanitaire est encensée, ces nouvelles obligations semblent aller à contre-courant, expliquent les médecins. D'autant que la vaste Concertation citoyenne mise en place par Marisol Touraine sous l'autorité du Pr Alain Fischer semblait avoir pris en compte cette dimension en associant les patients à la réflexion. "La concertation ? Elle a demandé aux patients d'écrire des lettres, avec lesquelles ils ont fait un cloud de mots pour faire ressortir les plus utilisés… C'est une démarche d'agence de communication, pas d'agence de santé !", fulmine le Dr Christian Lehmann. Au lendemain de la déclaration de politique générale du Premier ministre, le Collège national des généralistes enseignants (CNGE) s'était lui aussi élevé contre cette extension. Dans une tribune publiée dans Le Monde, début juillet, le Pr Vincent Renard, président, et le Dr Olivier Saint-Lary, vice-président, soulignaient : "Il s'agit d'une mauvaise stratégie qui ne règlera pas le problème de l'insuffisance de couverture vaccinale. L'obligation risque même d'être contre-productive et de renforcer la défiance d'une partie de la population". Et de pointer les failles de l'argumentaire gouvernemental : si une adolescente non-vaccinée a succombé à une forme de rougeole en juin dernier, et que cette maladie a été à l'origine d'une dizaine de décès depuis 2008, "la majorité des victimes étaient des enfants souffrant déjà d'un déficit immunitaire contre-indiquant de fait cette vaccination", notent les élus du CNGE. A noter que plus de 24 000 cas ont tout de même été déclarés en France entre 2008 et 2016 et que près de 1 500 cas ont présenté une pneumopathie grave, et 34 une autre complication. "Propagande fallacieuse" S'ils mettent la désastreuse campagne H1N1 au rang des responsables de la défiance observée ces dernières années envers la vaccination, ils accusent aussi "la propagande fallacieuse" de certains mouvements sectaires. Ces mouvements avaient déjà trouvé avec Internet une caisse de résonnance inédite, et voilà que ces nouvelles obligations pourraient les faire redoubler de vigueur. Enfin, ajoutent les Drs Renard et Saint-Lary, "aucun élément scientifique ne plaide en faveur d'une efficacité de l'obligation. Certains pays européens comparables ont des taux de couverture vaccinale équivalents ou supérieurs aux nôtres sans aucune obligation." Dans la même logique, le médecin généraliste et bloggeur Luc Périno fait remarquer que les vaccins non-obligatoires ont été mis en place avec des taux de couverture identiques à ceux des vaccins obligatoires, à une époque "où les médecins en étaient les seuls promoteurs". Un argument que partage le Dr Christian Lehmann. "Ces nouvelles obligations, ça donne des parents qui s'asseyent devant nous en disant "Mon enfant ? Les onze vaccins ? Jamais !" On regarde le carnet et on compte. Ça va parfois jusqu'à 12 !", rapporte le généraliste. "Cela prouve que l'éducation l'information éclairée et la confiance en son praticien peuvent faire beaucoup mieux que toutes les obligations", assure le Dr Périno. "Tout particulièrement dans un pays peuplé de Français", ajoute-t-il avec ironie.
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