Financiarisation de la santé : un rapport du Sénat appelle à mieux protéger l'indépendance des professionnels
Après les cliniques, les secteurs de la biologie et de l’imagerie, et les centres de santé dentaires et ophtalmologiques, "l’intérêt des investisseurs se porte depuis peu" sur les soins primaires généralistes, alerte un rapport du Sénat sur la financiarisation de la santé, publié mercredi 25 septembre. Les sénateurs formulent 18 propositions pour mieux maitriser le phénomène, limiter ses conséquences "indésirables" et mieux protéger l'indépendance des professionnels.
Le phénomène n'est pas nouveau mais il s'amplifie. Alors que quatre groupes détiennent 40% du secteur hospitalier privé en France et que six groupes se partagent 62% des sites de biologie médicale, que le "secteur de l'imagerie enregistre une dynamique très active de financiarisation", "l'intérêt des financeurs se porte depuis peu sur les centres de soins primaires", met en garde un rapport du Sénat. Un phénomène de financiarisation est même observé dans le secteur officinal, "pourtant protégé par un cadre juridique réservant la propriété des officines aux pharmaciens diplômés".
La santé, un investissement "rentable et sûr"
L'offre de soins est en effet un "investissement rentable", soulignent en effet les sénateurs. "L'accroissement continu de la demande" et le "haut niveau de sociabilisation de la dépense" ont font un investissement "sûr".
La régulation des dépenses de santé "a pu constituer un cadre propice au développement de la financiarisation", relèvent-ils par ailleurs. "Dans la biologie médicale, des protocoles d’accord successifs ont permis, par une régulation couplée des prix et des volumes, de contenir la croissance annuelle des dépenses à 0,9 % entre 2014 et 2021. Cette régulation, permise par les gains de productivité réalisés par les groupes de laboratoires, favorise en retour une poursuite de la concentration du secteur en fragilisant les structures indépendantes."
Les exigences de qualité des soins, et notamment la "coûteuse" procédure d'accréditation des laboratoires, ont pu constituer une autre incitation au regroupement.
"Sélection d'activités"
La financiarisation, comme l'a souligné la Cnam, "entraîne une modification de la structure de l'offre de soins", avec également "un risque d'aggravation des biais de sélection d'activités" et "un risque non négligeable de détournement de l'objet non lucratif des centres de soins primaires polyvalents".
Et elle "fait craindre un amoindrissement du pouvoir de négociation des régulateurs – assurance maladie et ARS – face à des groupes puissants". " Ainsi, les négociations du dernier protocole d’accord fixant le cadre d’évolution des tarifs pour 2024-2026 pour la biologie médicale ont été perturbées par un positionnement ambigu des syndicats, soumis à la pression des groupes pour que la profession s’oppose aux baisses de tarifs envisagées par l’assurance maladie", avance le rapport.
Si la réglementation sur les sociétés d'exercice libéral (SEL) de médecins et de sages-femmes exige qu'au moins 50% des parts soient détenues par les professionnels et limite à 25% la part maximale détenue par des tiers non professionnels, le principe déontologique d'indépendance professionnelle peut être aisément bafoué. "Les mécanismes de contournements, puisés dans le droit des sociétés" sont "nombreux et largement mis à profit par les acteurs financiers : règles de majorité qualifiées pour contrôler la prise de décision, recours au système d’actions de préférence**". Ils peuvent rendre dans les faits "incontournable la voix des investisseurs financiers dans la prise de décisions stratégiques".
"Veiller à ce que les tarifs conventionnels négociés permettent la viabilité financière des structures indépendantes"
Le rapport formule 18 propositions pour mieux maitriser le phénomène, limiter ses effets "indésirables" et préserver l'indépendance des professionnels de santé. Il recommande ainsi de renforcer la régulation par les ARS en s'appuyant sur les autorisations d'activités de soins et d'équipements matériels lourds" et de conditionner l'ouverture des centres de soins primaires à un agrément (comme c'est désormais le cas pour les centres de santé dentaires et ophtalmologiques). Elle propose encore de "veiller à ce que les tarifs conventionnels négociés permettent la viabilité financière des structures indépendantes" et de "renforcer la rémunération sur des critères de qualité et de pertinence". Les sénateurs plaident pour "compléter les dispositions législatives et réglementaires encadrant la détention des droits sociaux et des droits de vote au sein des SEL".
Aider les ordres
Enfin, "s’inspirant de jurisprudences récentes du Conseil d’État visant la profession vétérinaire, les rapporteurs jugent souhaitable de préciser dans le droit que le principe d’indépendance fait obstacle, notamment, à toute clause statutaire ou extra-statutaire ayant pour effet de priver les professionnels exerçants d’un contrôle effectif sur une société d’exercice". Ils appellent à établir "une doctrine claire concernant les modalités de fonctionnement". Ils recommandent d'"adapter le périmètre des documents devant être transmis aux ordres" et de "constituer des cellules régionales d'appui aux ordres professionnels" pour les aider à examiner les statuts des SEL.
*Ramsay Santé, Elsan, Vivalto et Amalviva.
**Elles conférent à leurs titulaires des prérogatives différentes de celles attachées aux actions simples.
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