"La liberté de prescription a des limites" : elle dénonce ces médecins qui ont fait des enfants autistes leurs cobayes
Egora.fr : Dans votre livre, vous dénoncez en premier lieu le "désert médical" de l'autisme. Comment expliquer cette impasse de la médecine française ? Olivia Cattan : Je pense qu'il y a un vrai problème politique. Pour qu'il y ait des programmes de recherche intéressants, qu'il y ait des médecins formés et que l'ensemble des professionnels concernés soient sensibilisés, comme on le demande depuis des années, il faut une impulsion politique et des investissements. La volonté politique manque. Il n'est quand même pas si compliqué de former les personnels, que ce soit les pompiers ou les dentistes : à chaque fois qu'on fait appel à eux, il faut expliquer, re-expliquer l'autisme. Parfois, on ne trouve pas de praticiens formés, et c'est valable dans n'importe quelle spécialité médicale. Avec le nombre d'autistes en France [600 000 environ, NLDR], il faudrait que chaque médecin ait une petite formation pour accueillir au mieux les patients autistes au cabinet.
Selon vous, c'est ce "vide abyssal" qui a laissé la place à tous ces thérapeutes qui prétendent guérir l'autisme, en particulier au mouvement biomédical, dont le Pr Luc Montagnier est une figure. Groupes fermés, "adeptes" qui recrutent des parents désespérés, réseaux de médecins et de pharmaciens "amis"… Peut-on parler de secte ? Je n'irais pas jusque-là. Il y a effectivement des médecins qui sont liés à des mouvements très étranges, qui font des conférences et parlent tout d'un coup de symboles, d'évangiles. Il y a une espèce d'amalgame entre médecine, sciences et spiritualité. C'est vrai que cela pose question et on espère que le procureur de la République va mener son enquête. Nous, on a alerté. On a trouvé des documents attestant tout ça, des liens avec l'anthroposophie notamment. Ce sera au parquet de définir si ce sont des dérives sectaires ou non. Dans le fonctionnement, en effet, il y a quelque chose d'étrange. On se cache dans des groupes Facebook fermés, avec à leur tête des présidents d'association, on recrute, on appâte des parents. On va les convaincre avec tout un charabia. On ne cite pas les médecins, mais seulement les initiales. C'est vrai qu'on a l'impression qu'il y a des gens à la tête de tout ça, et des gens qui suivent, qui se trompent, car ils sont dans une certaine errance. Je les ai rencontrés aussi et j'aurais pu tomber dedans. On peut être intelligent, clairvoyant et tomber malgré tout dans leurs pattes : à partir du moment où vous avez un grand professeur de médecine qui cautionne en signant une attestation expliquant qu'il est derrière le protocole, vous êtes impressionnés et vous faites confiance. En tant que parents, on a besoin de réponses et ces médecins-là prétendent vous donner des réponses. Tout un tas de réponses qui peuvent toucher quelque chose chez vous : s'ils parlent de microbiote et que vous avez un petit problème d'estomac, vous vous dites que c'est peut-être vous qui avez refilé l'autisme à votre enfant. C'est une sorte de propagande, avec des mots clés qui ressortent, des études. On a l'impression que c'est scientifique, que c'est validé. Et quand on fouille, on se rend compte que ni le protocole, ni l'origine de l'autisme qui est avancée ne fait consensus. L'autisme reste une énigme. Et tout ça reste des pistes de recherches qui peuvent être intéressantes, mais il fallait les mener de façon officielle. Pas comme ça, sous le manteau, en prenant les enfants pour cobayes.
En 2018, d'après votre enquête, quelques 3000 enfants avaient été traités selon le protocole "Chronimed"* par antibiotiques, anti-infectieux, antiparasitaires et autres médicaments hors AMM pris au long cours… Oui, on a une caméra cachée d'un médecin qui prescrit de la naltrexone, qui est un traitement de l'alcoolisme et la toxicomanie. Chaque médecin de ce groupe y va de sa petite touche personnelle, pour...
rajouter de l'horreur à l'horreur. Ces généralistes pour beaucoup (mais il y a aussi des psychiatres, des naturopathes et autres thérapeutes non médecins…) vont piocher un peu de cortisone, un peu de DHEA, un peu de n'importe quoi, pour voir ce que ça donne. Je suis étonnée de voir que tout cela sévit depuis 2012 [date de la présentation d'une étude controversée du Pr Montagnier devant l'Académie de médecine, NDLR] et que beaucoup de gens sont au courant : des élus politiques, des grands chercheurs, des présidents d'association, de fondation… Certains ont été complices, d'autres ont laissé faire et voilà où on en est aujourd'hui. Il était temps qu'on ouvre une enquête.
Comment expliquez-vous que tout cela perdure alors que tant de personnes sont au courant et que vous avez alerté le ministère et l'Ordre des médecins à plusieurs reprises au cours de ces deux dernières années. Comment ces médecins peuvent-ils encore exercer ? C'est cela que je ne comprends pas. On a quand même réuni suffisamment de pièces, des films, des ordonnances remises par les parents… On ne comprend pas pourquoi ces médecins ne sont pas radiés, ni pourquoi l'Etat a trainé la patte : nous serons reçus la semaine prochaine, mais cela fait quand même deux ans que l'on dénonce ces faits. On a l'impression qu'ils ne veulent pas trop toucher au milieu associatif, que ça va faire mauvaise presse auprès de certains parents. On sait bien que la prise en charge de l'autisme est catastrophique en France, il y a peut-être une culpabilité de ne pas avoir assez fait. Donc on laisse faire des pratiques alternatives. On parle même aujourd'hui d'un essai officiel qui s'appuie sur le résultat de ces essais sauvages, les bras m'en tombent… Vous parlez de l'étude Antibiotism du Pr Marion Leboyer (Henri-Mondor, AP-HP ; Fondation Fondamental)**? Tout à fait. Je trouve ses recherches sur le microbiote intéressantes, c'est une piste à explorer, tout comme celle du Pr Ben Ari (Inserm) sur l'excès de chlore dans les neurones gamma, ou celle du Pr Bourgeron (Institut Pasteur) sur les gènes. Ce qui me pose problème, c'est le procédé, c'est l'éthique. L'audition du Pr Leboyer au Sénat me pose question : elle parle de son étude et explique qu'un millier d'enfants suivis par un généraliste ont été traités par des antibiotiques depuis plusieurs années, et parle d'une étude "non randomisée". Aujourd'hui, on sait ce que ça vaut : on l'a vu avec la chloroquine. A un moment, il faut du sérieux dans les recherches, surtout sur des personnes aussi vulnérables que les enfants autistes. Ça me pose question. Mais j'ai tenté de l'interviewer et elle n'a pas répondu, c'est bien dommage car j'aimerais savoir si elle trouve ça normal qu'on ait administré ce protocole à des milliers d'enfants sans aucune recommandation ou validation scientifique. Moi je trouve ça assez problématique. Pourquoi avoir mis tant de cadres, de garde-fous, avec la HAS, l'ANSM et l'Ordre si n'importe quel médecin généraliste peut faire ce qu'il veut avec les enfants autistes ? D'accord, il y a la liberté de prescription. Mais elle a des limites. Et ça devient du charlatanisme quand les traitements ne sont pas prouvés scientifiquement.
Pourquoi les parents concernés ne portent-ils pas plainte, auprès de l'Ordre ou de la justice, lorsqu'ils s'aperçoivent que ces traitements ont de lourds effets secondaires, voire peuvent être dangereux ? Il y a une espèce de loi du silence, d'omerta, dans le milieu de l'autisme. Parfois ces enfants sont dans des établissements qui sont tenus par des présidents d'association impliqués dans ces protocoles. Et puis, ces parents ont donné des médicaments potentiellement dangereux à leur enfant, avec parfois des réactions...
inquiétantes -vertiges, nausées, voire un arrêt cardiaque- donc ils peuvent aussi avoir peur des services sociaux. C'est la raison pour laquelle nous n'avons pas mis le nom des parents quand on a envoyé tous ces documents à l'ANSM : il faut les protéger. Vous évoquez dans votre livre des détox à l'eau de javel pratiquées sur des très jeunes enfants au Royaume-Uni… Cette pratique a-t-elle cours en France ? On n'a pas trouvé de cas. Mais si ça s'est fait aux Etats-Unis, si ça s'est fait en Angleterre, je pense que ça s'est fait en France. Malheureusement, ça fait partie des bons conseils qu'on trouve sur le net. L'autre volet de notre combat sera d'attaquer les géants du net qui laissent perdurer sur leurs chaines ou plateformes des livres pseudo-scientifiques ou des vidéos lamentables qui expliquent comment chélater son enfant. Ces gens sont responsables. J'ai quand même eu le témoignage de parents qui m'ont dit "dans mon frigo, il y a plus de cellules souches que de nourriture"… Il y a des choses très graves qui se déroulent en France. Il faut que les médecins et les pharmaciens soient vigilants quand ils voient passer des ordonnances étranges…
Vous dites que les médecins biomed envoient leurs patients dans des pharmacies "amies"… Oui il y a des pharmacies complices. Ces parents ne vont pas dans la pharmacie près de chez eux, mais sont dirigés vers des pharmacies particulières. C'est un réseau organisé : de médecins, de laboratoires d'analyses, de pharmaciens. Combien de médecins sont impliqués? On a en a identifié 54 pour être exacte. D'autres se sont rajoutés depuis. Il n'y a pas que des médecins : il y aussi des nutri-détoxicologues, des naturopathes, des homéopathes… On trouve de tout dans leur groupe...
Ça montre le degré de sérieux de ces gens-là. C'est un vrai mouvement, c'est pour cette raison que l'Etat devrait être plus réactif : on ne parle pas de 2 ou 3 personnes, mais d'un réseau organisé. Avec le Pr Montagnier en figure de proue. C'est en tout cas le Pr Montagnier qui a présenté cette étude à l'Académie, puis aux conseillers de Xavier Bertrand pour obtenir un financement. Puis Marisol Touraine en a jugé autrement. Mais l'étude du Pr Leboyer, qui aurait obtenu un financement dans le cadre du PHRC, c'est fondamentalement la même chose : l'autisme serait une maladie immuno-inflammatoire d'origine bactérienne donc on donne des antibiotiques. Je suis étonnée que l'Etat ait accordé des crédits vu le déroulement de ces essais depuis 2012. Certains médecins vont jusqu'à faire le lien entre Lyme et autisme… Ces "Lyme doctors"' font un amalgame entre la maladie de Lyme et certains cas d'autisme ("autisme régressif") oui… Ils énumèrent à peu près tout. On a une caméra cachée où le médecin évoque les métaux lourds, les amalgames dentaires dans la bouche de la maman, les ondes électromagnétiques, les chemtrails… ça devient grotesque. Ce n'est plus de la science. Il faut que le procureur de la République enquête, y compris dans certains établissements. Le protocole aurait été testé dans un IME et malgré nos alertes depuis deux ans, il n'y a eu à ma connaissance aucun contrôle de cet établissement. Claire Compagnon [déléguée interministérielle autisme, NDLR], la ministre du Handicap Sophie Cluzel ainsi qu'Adrien Taquet, qui s'occupe du droit des enfants, à qui on a en parlé, sont quand même mis en cause. On a l'impression que c'est un dossier brulant dont personne ne veut se saisir. J'aimerais que les médecins généralistes soient vigilants avec les familles, que quand elles leur disent qu'ils sont allés voir un autre médecin qui a prescrit tel protocole, qu'ils alertent immédiatement l'Ordre des médecins et notre association. Ça permettra de mettre fin à tout ça.
Olivia Cattan,
Le Livre noir de l'autisme,
Editions du Cherche Midi. *Association créée en 2012 notamment par le Pr Luc Montagnier et les Drs Phillipe Raymond et Philippe Bottero, parmi les premiers médecins généralistes à avoir utilisé des antibiotiques dans la prise en charge de l'autisme. **"Traitement par Minocycline des symptômes du trouble du spectre autistique a haut niveau intellectuel chez des patients adultes : étude randomisée en double aveugle contre placebo" : étude financée dans le cadre du programme hospitalier de recherche clinique (PHRC) 2017.
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