Allo papa bobo : une interne en croisade contre les pères largués aux urgences
Tout le monde trouve ça normal, sauf elle. Choquée de voir des pères si peu investis dans la prise en charge de leur enfant malade, une interne en médecine générale a créé un compte Twitter pour dénoncer ce qu'elle appelle la "charge mentale en pédiatrie". Ses témoignages ont suscité une prise de conscience.
"J'étais de garde aux urgences pédiatriques. J'étais couchée depuis vingt minutes quand on m'a réveillée", relate Mathilde*, interne en médecine générale en Ile-de-France. Il est 4h30 du matin. Un père vient de se présenter avec son enfant de 18 mois : le bébé a du mal à respirer. "Je ne sais pas faire les lavements de nez… est-ce que vous pouvez le faire?", implore-t-il. L'interne et l'infirmière qui l'accompagne tombent des nues. "En 18 mois, vous n'avez jamais appris ?", se souvient d'avoir réagi Mathilde. "Bah non, d'habitude c'est ma femme qui les fait, répond le papa. Mais elle est en déplacement. Et moi quand je le fais, il pleure." "Choquées", les deux soignantes se mettent en tête d'apprendre à l'homme démuni ce que son épouse effectue "8 fois par jour", depuis un an et demi. "Je n'avais pas envie de me salir" L'histoire ne s'arrête pas là. Plus tard, au cours de la même garde, un nourrisson fait une selle sur un brancard. L'infirmière tend le bébé à son père le temps de changer le drap. "Il l'a pris et tout de suite, l'a passé à la mère", se souvient Mathilde. "Je n'avais pas envie de me salir", se justifie-t-il. Abasourdie, l'interne raconte les deux scènes autour d'elles. Infirmiers, co-internes, pédiatres… Aucun n'est véritablement surpris. "Tout le monde a une histoire à raconter", constate alors Mathilde. Au lieu de s'énerver "seule dans [son] coin", la jeune féministe décide d'ouvrir un compte Twitter pour dénoncer ce qu'elle appelle "la charge mentale en pédiatrie", en référence à la BD d'Emma sur le partage inégal des tâches ménagères qui a fait le tour des réseaux sociaux en 2017. Même pour un sujet aussi grave que la santé de leur enfant, certains pères ont tendance à s'en remettre entièrement à leur conjointe et à ne pas se sentir concernés, déplore-t-elle. Pour leur propre santé aussi, d'ailleurs. "Je l'avais constaté en stage chez le praticien. On le voit chez les personnes âgées : le mari ne sait pas s'il a une mutuelle, quels médicaments il prend et à quelle heure… puisque c'est sa femme qui les lui prépare", pointe Mathilde. En pédiatrie, "tous les hommes ne sont pas comme ça, ça reste une minorité, nuance-t-elle. Mais ça arrive trop souvent. Et c'est rarement l'inverse."
"Mais elle a eu du sang dans les selles ?
- Ma femme m'a pas dit.
- Elle a vomi ?
- Ma femme m'a pas dit.
- Et la fièvre était à combien ?
- C'est ma femme qui l'a prise."— ChargeMentale Pédiatrie (@chargementale) 18 août 2018
Comment expliquer que les pères soient si peu investis ? Pour l'interne, les 11 jours du congé paternité -quand ils sont pris- ne permettent pas aux pères de "s'intéresser à la vie, à la santé de l'enfant". Mise à part la visite obligatoire du 8e jour, le père est dans l'incapacité d'accompagner son épouse aux différentes visites médicales qui jalonnent la première année de vie de son bébé, car il travaille. Et cela s'ajoutent les "représentations de la société" sur le rôle des deux parents : les "choses sérieuses" pour la mère, le sport et le jeu pour le père. Un rôle parfaitement assumé par certaines mamans, a constaté Mathilde. "Deux fois, j'ai voulu apprendre au père à faire un lavement de nez, leurs femmes n'ont pas voulu, en disant que ce n'était pas leur rôle. Les hommes ne sont pas de mauvaise volonté, il faut simplement leur laisser prendre leur responsabilité", plaide-t-elle. La féminisation de la pédiatrie –"10 hommes pour 70 femmes dans la promo de mon amie"- n'aide sans doute pas à changer cette image de la femme qui soigne l'enfant.
Enfant de 2 ans amené en ambulance avec son papa :
— ChargeMentale Pédiatrie (@chargementale) 21 juillet 2018
"Je suis venu car il a de la fièvre et il ne veut pas prendre la pipette de Doliprane."
Mathilde reste marquée par cette petite patiente de 3 ans à qui l'on venait de diagnostiquer un diabète. Sa mère s'est effondrée : le choc de la découverte de la maladie a été immédiatement suivi d'une crainte toute maternelle : "Comment je vais faire ? Je vais devoir être à l'hôpital avec elle, donc le père va être tout seul avec la grande… Comment il va lui donner le bain ? Faire les courses ?", s'est-elle affolée, en pleurs, face à l'interne.
Enfant de 8 ans, hémophile, épileptique sous un lourd traitement.
— ChargeMentale Pédiatrie (@chargementale) 29 juin 2018
"Il faut attendre ma femme, je connais pas son historique ni ses traitements."
Mais le cas le plus emblématique et le plus commun, reste l'oubli du carnet de santé. Conséquence : "les pères ne savent jamais si leur enfant est à jour par rapport au calendrier vaccinal", déplore l'interne, qui ne manque pas de leur faire une piqûre de rappel. "En tant que soignant, on ne doit pas être dans le jugement, reconnaît-elle. Mais humainement, c'est irritant." Certains de ses collègues, "blasés", ont appris à faire avec. "Entendu en staff, tweete la jeune femme : 'Médicalement, il est sortant, mais il va rester car la mère est hospitalisée et le père ne sait pas s'en occuper.'"
"J'ai pas le carnet de santé, ma femme me l'avait pas préparé."
— ChargeMentale Pédiatrie (@chargementale) 13 octobre 2018
Mathilde, future MG avec "patientèle pédiatrique", est entrée en croisade. Actuellement en stage au cabinet, elle continue de dénoncer des situations qu'elles jugent anormales.
Entendu en cabinet :
— ChargeMentale Pédiatrie (@chargementale) 14 novembre 2018
" Votre enfant a un asthme, il faut prendre rendez-vous avec le pneumologue et faire une radiographie.
- Attendez, j'appelle ma femme pour qu'elle prenne ça en note."
D'autres soignants ont commencé à lui rapporter des anecdotes. Son compte Twitter vient de dépasser les 10.000 abonnés. *Le prénom a été modifié pour préserver l'anonymat
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