En ce jour d'octobre, la dépouille d'un soldat de la Première Guerre mondiale repose à la chambre mortuaire du CHU de Verdun, en attendant que sa nationalité, française ou allemande, soit déterminée. Il a été découvert au printemps lors de travaux sur la route du fort de Douaumont. "La pelleteuse, en grattant à peine 10 ou 15 cm, est tombée sur des ossements. Depuis un siècle, tout le monde roule sur cette route avec dessous le squelette entier d'un combattant", relève le docteur Frémont, 62 ans, médecin légiste et urgentiste à l'hôpital de Verdun.
Avec "deux grands-pères qui ont fait 14-18 et un arrière-grand-père correspondant de guerre et écrivain, je suis imprégné par la Grande guerre", raconte-t-il. "Enfant de Verdun", il a manipulé des os de Poilus dès son plus jeune âge. "On allait à vélo sur le champ de bataille. On nous disait deux choses: ne jamais toucher aux obus et si on trouvait des ossements, il fallait les porter à l'ossuaire."
Le docteur Frémont est appelé, en vertu de la loi, dès que des ossements sont mis au jour pour la levée de corps médico-légale. La plupart du temps, il s'agit de restes osseux. Tibias, fémurs, mâchoires, humérus et autres fragments de quelque 130.000 hommes sont conservés à l'ossuaire de Douaumont. Pour le centenaire, des travaux ont creusé la terre plus profondément, dévoilant des squelettes parfaitement conservés dans la glaise. "Il y a des endroits où ils sont les uns sur les autres. Il y en a un, 20 cm plus loin, un pied apparaît et ainsi de suite... Si on continuait, on n'arrêterait pas", détaille le docteur.
Quand le légiste repère une dépouille, il fouille méticuleusement la terre pour dénicher la plaque d'identité militaire. Sur ce minuscule objet (2,5 sur 3,5 cm), porté autour du cou ou au poignet, sont gravés nom, prénom, année et lieu d'incorporation. "Tout est rattaché à cette plaque. Si on ne la trouve pas, le soldat restera à jamais inconnu", insiste-t-il. On la retrouve rarement: des Poilus ne voulaient pas la porter ou "le soldat qui trouvait un compagnon mort lui retirait sa plaque et l'apportait à l'officier du régiment". "J'ai beaucoup de regrets pour un officier allemand qui était sous les escaliers du Mémorial de Verdun avec des bottes à lacets. Sa plaque était à côté de lui, malheureusement complètement rouillée donc inexploitable", raconte le Dr Frémont. Les médailles ont été fabriquées à partir du milieu du conflit dans un alliage de zinc et de maillechort qui les rend lisibles encore aujourd'hui. Pour le soldat Hans Winckelman, "j'ai fait recasser toutes les mottes et dans la dernière, on l'a trouvée. On est remonté jusqu'à son village en Allemagne et il a été enterré à côté de son frère, tué lui aussi pendant la guerre". "En larmes" devant la dépouille de son grand-père Persévérant, le légiste a aussi déterré en 2015 le médaillon du sergent Claude Fournier: grâce à un descendant, il est devenu l'an dernier le tout premier Poilu identifié grâce à l'ADN. "Le devoir de mémoire est le plus important", précise-t-il. Il se souvient avec émotion de la petite-fille du 2e classe Jean Peyrelongue, "tombée à genoux, en larmes" devant la dépouille de ce grand-père qu'elle n'avait jamais connu. "A la perte de tous ces hommes s'ajoute la souffrance terrible pour les familles de ne pas avoir retrouvé leur corps", selon Bruno Frémont. Le soldat Peyrelongue a été inhumé, avec les hommages militaires, à la nécropole de Douaumont avec ses frères d'armes découverts en 2013 à Fleury-devant-Douaumont. Parmi ces 26 soldats tombés au champ d'honneur en 1916, trois ont été réclamés. Un Corse, André Giansily, a rejoint, presque un siècle après sa mort à 22 ans, son village de Vescovato (Haute-Corse). "Il faut mettre un nom sur un combattant. Pour que les jeunes générations s'approprient cette histoire et comprennent cette souffrance qu'on aimerait qu'ils n'oublient pas", dit-il.
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