Médecin oncologue, on m'a virée du jour au lendemain

12/07/2016
Témoignage

En 2013, le Dr Eléonore Djikeussi a été licenciée d'un centre hospitalier de province après 20 mois d'exercice. Elle s'était plainte de difficultés au sein de son service. Trois ans après cette affaire, le chef de son ancien service a porté plainte contre elle pour violation du secret médical. Une affaire qui est toujours en cours. Aujourd'hui, le Dr Djikeussi se dit victime de harcèlement. Elle raconte son histoire dans une lettre adressée à Egora. J'avais espéré que le suicide récent d'un médecin de l'hôpital Georges Pompidou, déclenche une enquête sur la souffrance des médecins et la question du harcèlement. Il est important que ce sujet ne tombe pas aux oubliettes et fort heureusement les langues se délient. Je témoigne à la suite de mes confrères harcelés. Médecin, oncologue, j'ai été licencié brutalement sans avertissement ni blâme aucun, sans aucune indemnité,  pour inaptitude professionnelle. Plus de quinze ans d'expérience. Et le soutien de mes confrères, le plébiscite des malades. Aucun avertissement, aucun blâme, aucune plainte de malade.   Comportement discriminatoire du chef de pôle   Médecin diplômé depuis 1999, je suis spécialisée en oncologie médicale. En 2012, après douze ans d’exercice en centre public hospitalier et secteur privé, le directeur du Centre National de Gestion des praticiens (CNG) me nomme au pôle d’oncologie d'un centre hospitalier de province pour une période probatoire de douze mois suite à ma réussite au concours de praticien hospitalier en 2010. Je prends mes fonctions le 11 avril 2012.  Je suis rapidement confrontée à des difficultés pour exercer mes fonctions, notamment en raison du comportement du chef de pôle à mon égard, comportement que j’estime discriminatoire et entravant ma pratique professionnelle. Par de multiples courriers, j’en informe alors le CNG et les instances hospitalières, y compris celles responsables de la gestion des risques psychosociaux.
 
Le 26 juin 2013, le CNG me notifie par courriel les avis négatifs de la hiérarchie de l’hôpital relatifs à ma titularisation, qui aurait dû intervenir douze mois après ma prise de fonction. Un mois plus tôt leur ont été transmis les avis du directeur du centre hospitalier, du chef de pôle et du Président de la Commission Médicale d’Établissement. Tous trois sont défavorables à ma titularisation. Au préalable, il n’y a eu aucun avertissement, ni conseil disciplinaire ou déontologique.
 
Le CNG me demande de transmettre mes observations en vue d’une commission devant statuer sur la décision de me licencier pour inaptitude professionnelle. Il ne me propose ni de prendre connaissance de mon dossier administratif, ni de me faire assister par un conseil, et encore moins d’être entendue. J’ai cinq jours pour répondre, car la date de cette commission est le 3 juillet 2013.
 
L’avis du Centre National de Gestion à la suite de cette commission ne m’a jamais été communiqué, ni les suivants. En effet, trois commissions me concernant se sont succédées. Le procès-verbal de la dernière est visé dans l’arrêté du 17 décembre 2013, prononçant mon licenciement. Je perds ainsi le bénéfice du concours de praticien hospitalier et la possibilité d’un exercice hospitalier statutaire : bref, je suis quasiment bannie du service public hospitalier.   Après 20 mois d’exercice, je suis priée de quitter le centre hospitalier sur le champ
 
L’Agence Régionale de Santé, sollicitée depuis le 26 avril 2013 par le directeur général du CNG, pour diligenter une enquête sur ma manière de servir, avait établi son rapport définitif daté du 23 octobre 2013. Bien qu’elle tienne peu compte de mes observations, elle y admet que mes compétences professionnelles sont reconnues de tous, dans les termes suivants : "Les compétences professionnelles et la relation avec les patients sont apparues comme des points forts du Dr Djikeussi, mis en avant par toutes les personnes rencontrées par la mission d’inspection, confirmé par les patients et par ses confrères dans leurs écrits."
 
Malgré cela, par courrier du 27 décembre 2013, le directeur du centre hospitalier me notifie l’arrêté pris le 17 décembre 2013 par le directeur général du CNG, portant licenciement d’un praticien hospitalier à l’issue de sa période probatoire et prononçant mon licenciement "pour inaptitude à l’exercice des fonctions de praticien hospitalier à compter de la notification du présent arrêté". Après 20 mois d’exercice, je suis priée de quitter le centre hospitalier sur le champ et aucune indemnité ne m’est versée.
 
A l’heure où le fameux rapport Véran, intitulé "Hôpital cherche médecin coûte que coût", nous interpelle sur la pénurie de ressources humaines et les difficultés du service public hospitalier, mon bannissement pour inaptitude est prononcé malgré mon expérience et le soutien de mes confrères. Dans le compte-rendu de l’inspection de l’Agence Régionale de Santé, ils reconnaissent : "ses compétences médicales, son organisation, sa ponctualité et ses bonnes relations avec les patients". Le Syndicat National des Médecins Hospitaliers a adressé un courrier au CNG. Il y souligne que ma demande d’éviction par la hiérarchie de l’hôpital ne résulte pas de mes compétences professionnelles : "Elles tiennent à son indépendance professionnelle". Il ajoute "La CSN (Commission Statutaire Nationale du CNG) aura à se prononcer sur le fait qu’un praticien, parce qu’il défend son indépendance professionnelle, peut ou pas être titularisé. L’enjeu est d’importance pour l’indépendance et l’existence de cette institution."
 
J'ai osé me plaindre de possible discrimination. J’ai été déboutée par le tribunal administratif alors que le dossier de l'accusation s’appuyait sur 9 attestations anonymes sur l'honneur entres autres. Le rapporteur public du tribunal administratif reconnaissant lui-même des "incertitudes curieuses" dans ce dossier.   Plainte pour manquement déontologique   Près de 3 ans plus tard, le chef de service  de cancérologie de cet hôpital provincial porte plainte contre moi pour manquement déontologique, m'accusant d'avoir violé le secret médical. Il n’y a aucune plainte de malade. Le fait évoqué ne relève en rien de l'état de santé d'un patient. Ce qui est cité correspond à la transmission d'un compte rendu de réunion où le directeur de l’établissement évoque l’état de santé d’un praticien lors d’une réunion avec des médecins et autres personnels. Ce compte rendu a été envoyé au comité d’hygiène et sécurité au travail de l’établissement ainsi qu'au centre national de gestion des praticiens hospitaliers. Je n'ai jamais remis les pieds dans cet établissement depuis mon licenciement. Aucun contact depuis avec cet individu. Etrange ! Le conseil de l’ordre des médecins de ce département dit avoir tenté une conciliation dans cette affaire: il affirme m’avoir convoquée une première fois sans en apporter la preuve. Il affirme aussi m’avoir convoquée une deuxième fois. J’ai reçu cette convocation par un courrier recommandé, le jour même de cette réunion, 5 jours après son envoi. Mon "conciliateur" a été désigné par je ne sais qui, en tous les cas pas par moi et il n’avait donc a priori aucune connaissance de mes arguments. Je n’ai pas pu assister à cette réunion compte tenu du délai. C’est ce conseil de l’ordre départemental qui porte plainte contre moi auprès de la chambre disciplinaire. L'affaire est en cours. Je suis convoquée à la chambre disciplinaire.   Combien de suicides, de vies brisées faudra-t-il attendre ?   C’est le même conseil de l’ordre qui a écrit quelques mois plus tôt à mon ex employeur lui "demandant de revoir mon contrat avec peut-être si cela est possible un avenant réduisant de façon conséquente la présence du Dr Djikeussi en activité d’oncologie, ceci vous permettant de rechercher un autre professionnel qualifié pour votre structure". Le poste  de médecin en soins de suite polyvalent régi par le décret n2008-377 du 17 avril 2008 ne requière cependant aucune caractéristique de spécialité pour les médecins exerçant dans ce type de structure. Combien de suicides, de vies brisées faudra-t-il attendre ? Je pense que ce sont des meurtres dans le silence, de véritables chasses à l’homme qui ne sont pas sans rappeler le film 7 morts sur ordonnance. J’ai osé me plaindre.

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Stéphanie Beaujouan

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