"Je n'avais pas vocation à être 'lanceur d'alerte'. J'ai juste raconté ce que j'ai vu. C'était impressionnant, un moment d'histoire." Le praticien, qui reçoit l'AFP dans son cabinet du quartier ouvrier Bel Air, se remémore ces journées charnières de février et mars 2020 lorsque, il y a presque un an, sa ville natale, puis la France entière, ont basculé dans une nouvelle ère, celle de la pandémie, dont elles ne sont toujours pas sorties. Le virus, d'abord localisé en Chine, faisait déjà des ravages en Italie. En France, des cas positifs avaient été localisés, dans les Alpes ou dans l'Oise, mais officiellement, "tout était sous contrôle", poursuit, avec une lueur d'ironie dans les yeux, ce père de deux grands enfants, marié à une assistante sociale et généraliste à Mulhouse depuis 1986.
"Déni total" Fin février, lui-même pense avoir attrapé le Covid, probablement à son cabinet où il recevait "beaucoup de gens qui toussaient". Suspicion vite balayée par un éminent confrère : il n'y a pas de Covid en Alsace. Pourtant, plusieurs de ses amis médecins tombent à leur tour malade. A ce moment-là, "on travaillait sans masques", pointe le Dr Vogt, qui perdra fin mars un ami gynécologue, emporté à 66 ans par le virus. Tout bascule le 3 mars 2020. Ce mardi-là, il prend à 18H00 son service de régulation au Samu, à l'hôpital. Un appel à témoins destiné à recenser les participants à un rassemblement évangélique de 2 à 3.000 personnes qui s'était tenu une dizaine de jours plus tôt à Mulhouse, vient d'être lancé. Plusieurs fidèles ont déjà été testés positifs, le risque de dissémination du virus est considérable. "Les téléphones ont explosé. Normalement, on a quelque chose comme 450 appels. Là, on a terminé à 2.500." "Dès ce moment", les choses...
deviennent "évidentes" : "le virus est là, il est à Mulhouse où il a contaminé" des milliers de personnes, explique le Dr Vogt, qui se souvient qu'au même moment, la préfecture évoquait une situation "stable". Dur à avaler pour cet homme "pas spécialement 'grande gueule'" mais qui refuse d'être "complice de cette situation" et décide d'alerter les médias locaux. Le 5 mars, à 19H45, les quotidiens régionaux Les Dernières Nouvelles d'Alsace et L'Alsace mettent en ligne son témoignage. "Nous sommes sans doute le plus grand foyer de coronavirus de France", s'alarme le généraliste, pointant "le déni total" des autorités. L'article totalise des milliers de vues. Le lendemain matin, le 6 mars, c'est "l'explosion médiatique". Les journalistes français et étrangers s'arrachent la parole de ce médecin à l'allure bonhomme mais au verbe bien trempé. Quelques heures plus tard, la préfecture du Haut-Rhin annonce plusieurs mesures pour tenter d'enrayer la diffusion du virus (écoles fermées, rassemblements de plus de 50 personnes en milieu clos interdits...) Y a-t-il un lien avec le "coup de gueule" du médecin? Quoi qu'il en soit, ce dernier, qui a également dénoncé la pénurie de masques pour les soignants, reste convaincu que "si la presse n'avait pas été là, l'information restait bloquée". "Troubles psychiques" La suite lui donnera raison. Mulhouse va effectivement devenir l'un des principaux foyers français du coronavirus, poussant les autorités à y déployer des moyens inédits : hôpital militaire, évacuations de patients dans d'autres régions, en Suisse ou en Allemagne. Un an après le déclenchement de l'épidémie, quel regard porte-t-il sur la stratégie gouvernementale contre le Covid-19? Confinements et couvre-feux permettent de ralentir la progression du virus, concède-t-il. Mais attention aux "troubles psychiques" (angoisses, dépressions...) qu'ils génèrent dans la population, explique ce généraliste à la "fibre sociale", qui dispense "depuis 34 ans" des consultations quotidiennes à la prison de Mulhouse. Carton rouge en revanche à la politique de vaccination, à ses yeux trop molle. "C'est la seule chose qui va nous protéger !" s'agace-t-il, appelant à "booster" la campagne. Avant de glisser un dernier tacle : "mais pour ça, il faut de la volonté politique..."
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