"Etre médecin, c'est se tromper souvent"
"Si le souhait de mieux évaluer le savoir-être et le savoir-faire est louable, l’objectif reste questionnable : à quoi sert de classer les internes en fonction des Ecos ?", interroge le Dr Michaël Rochoy, généraliste à Outreau et membre du comité scientifique du CMGF.
"Être médecin, c’est échouer quotidiennement. Échouer sur notre savoir, par manque de connaissance. Échouer sur un savoir-faire, par un examen clinique imparfait. Échouer sur un savoir-être, pour des raisons intrinsèques (fatigue, agacement, etc.) ou extrinsèques (retard, dérangement, etc.). Être médecin, c’est se tromper souvent, parfois s’en rendre compte et tenter de se défaire de nos erreurs pour éviter de les reproduire.
Pour évaluer notre aptitude à devenir interne (puis médecin), il y a deux phases : la validation et le classement. Nous sommes validés de façon longue par les six premières années facultaires, avec le savoir, le savoir-être et le savoir-faire. Notamment à travers les QCM, modèle imparfait mais qui reste ce qu’on fait de mieux en matière d’égalité des chances, avec une évaluation froide par une machine.
Mais pour se défaire de l’idée qu’on devient médecin « en cochant des cases », une énième réforme propose de complexifier le passage à l’internat. Depuis 2024, les étudiants en 6e année seront également validés et classés par les EDN (60 %), des Ecos (30 %) et leur parcours (10 %). Contrairement aux EDN, les Ecos ne sont pas anonymisés : les étudiants passent devant deux évaluateurs (dont au moins un extérieur à leur faculté) et un "patient standardisé". Il faudrait être (faussement) naïf pour prétendre que l’égalité des chances pourrait être assurée avec un oral ; que les patients évaluateurs seraient impartiaux, justes, équitables, quels que soient le patronyme, le genre, l’âge, l’aspect physique, les tics de langage, la timidité ou le stress d’un étudiant… Personne n’est parfait, et s’il y a des discordances notables entre évaluateurs en double aveugle devant un cas clinique à l’époque des ECN, comment prétendre qu’une évaluation conjointe de deux évaluateurs sur une situation orale pourrait être juste ?
Si le souhait de mieux évaluer le savoir-être et le savoir-faire est louable, l’objectif reste questionnable : à quoi sert de classer les internes en fonction des Ecos ? En l’état, ça permet d’assurer à la population que les médecins auront aussi choisi leur spécialité en fonction de leur savoir-être. Est-ce vraiment pour cet objectif que nous acceptons de dégrader l’accès aux soins, en favorisant le redoublement d’internes (et donc le retard à l’exercice de professionnels de santé) ? Peut-être qu’au fond, la meilleure leçon que ces Ecos apprendront aux internes, c’est qu’à tout niveau, on peut faire fausse route. Être médecin, c’est se tromper souvent ; parfois, on s’en rend compte…"
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